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de progrès sans émulation, et l'émulation résulte en grande partie du nombre; elle est une force, elle anime la classe; en diminuant par trop le nombre des enfants, on arrive à perdre par le défaut d'émulation ce qu'on peut gagner par des soins plus assidus. On ne sent jamais mieux l'importance de l'émulation que dans les leçons dites particulières, qui sont tout peu fructueuses pour l'élève et très ennuyeuses pour lui et pour

à la fois son maître.

Les premiers pas dans l'enseignement tel que nous venons de l'exposer sont guidés par la Citolégie, qui se trouve entre les mains du maître et entre celles de l'élève. Lorsque ce premier livre a été parcouru, l'enfant sait lire et écrire quelques centaines de noms et possède un certain nombre de notions sur les êtres ou les objets qu'ils représentent. On a eu soin de choisir ces noms, de les grouper, de les ordonner de manière qu'ils présentent des difficultés progressives.

On aborde alors avec lui le premier recueil d'exercices; l'expression avec lui n'est pas au figuré, il est toujours de moitié dans tout travail avec son maître; c'est une suite de demandes provoquées, de réponses préméditées, une sorte de conversation suivie. Ce recueil d'exercices contient les noms disséminés dans la Citolégie; mais ces noms sont maintenant accompagnés de l'article, ce qui va nous permettre de donner à l'enfant la notion du genre et bientôt après celle du nombre. Chaque exercice est d'abord oral, puis écrit. L'enfant prononce le nom d'un objet qu'on lui désigne, ou indique un objet dont il prononce le nom et sur lequel on lui demande quelques renseignements; il l'écrit, met l'article, énonce le genre, forme le pluriel, et, comme contre-épreuve, déduit le singulier si on lui donne le pluriel.

On passe alors à l'étude des qualités et par conséquent à celle des adjectifs. Ainsi le tapis est rouge, bleu ou vert; grand ou petit, carré ou rond, etc. Suit la formation du genre et du nombre de l'adjectif, et la composition de phrases élémentaires contenant l'article, le nom, l'adjectif et l'un des auxiliaires, à la troisième personne du présent de l'indicatif. En résumé, voici un exemple de la suite et de la gradation observées dans les exercices 1. Étude du nom seul; ex.: Chapeau. -2. Étude du genre et du nombre; ex. : Le chapeau. 3. Étude de l'adjectif; ex. : Le chapeau noir.-4. Construction de la phrase élémentaire; ex. : Le chapeau est noir.

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Nous n'indiquons que le point de départ de l'enseignement; mais ce qu'il est au début, un enseignement intelligent, il ne cesse pas de l'être. C'est toujours l'intelligence qu'on cultive, qu'on développe par un concours habile de moyens variés. Point de notions abstraites, point de définitions ni de théories: cela viendra plus tard. Rappelons-nous que Lhomond, qui se connaissait en matière d'éducation, disait avec raison que la métaphy

sique ne convient pas aux enfants. L'enfant est constamment intéressé, aussi aime-t-il l'étude, et dès lors rien que de très naturel dans les progrès rapides qu'il fait, dans les résultats remarquables que l'on obtient.

La méthode que nous préconisons n'est pas d'invention récente; ni Jacob Rodrigues Pereire ni M. Magnat ne l'a inventée. On peut dire que Rabelais l'a pressentie, et, depuis Rabelais jusqu'à nos jours, tous les pédagogues se sont préoccupés de donner l'instruction d'une manière intelligente, agréable et partant profitable; de la faire servir en même temps au développement de l'esprit et du cœur; de la faire contribuer à accroître la somme des connaissances et la valeur morale de l'enfant. C'est la méthode courte et facile de Fénelon; c'est en partie la méthode de Rousseau; c'est la méthode que M. Gréard recommande dans ces directions pédagogiques que nous avons nommées le Bréviaire des instituteurs. Il n'est pas de maître intelligent et capable qui, dans son enseignement et ses programmes, ne s'inspire des idées des grands éducateurs. Mais autre chose est de donner programme d'un enseignement intelligent ou de mettre cet enseignement en pratique. Rabelais, Montaigne, Fénelon, Rousseau et leurs successeurs moins célèbres ont été le plus souvent des théoriciens; si quelques-uns ont joint la pratique à la théorie, ils l'ont fait dans des conditions essentiellement différentes de celles où nous nous trouvons dans nos écoles. Ils fournissent des indications générales, des vues sur l'éducation, ils dressent des plans; en un mot, ils donnent l'esprit de la méthode, des directions pédagogiques. Reste après cela à fournir les voies et moyens d'exécution. C'est là le but que nous poursuivons, non seulement au début, mais dans tout le cours de l'enseignement et pour toutes les matières de l'enseigne

le

ment.

J'ai terminé, Mesdames et Messieurs, cet exposé sommaire de notre méthode d'enseignement. Vous avez pu juger que, si l'on obtient des progrès sérieux dans un temps relativement court, ce n'est pas sans efforts de la part du maître. Aucune méthode, si bonne qu'elle soit, ne dispense d'efforts; c'est par l'importance des résultats obtenus avec une même somme de travail que les diverses méthodes diffèrent, mais en aucun cas il ne faut espérer de succès sans peine; on ne saurait récolter si l'on n'a pas semé. Aussi je me réjouis en ce moment d'avoir un auditoire composé en grande partie d'instituteurs, puisque j'ai à faire appel à la qualité maîtresse, je devrais dire à la vertu de l'instituteur: je veux parler du zèle, du dévouement, du sacrifice de soi-même. L'instituteur n'offre pas une part de son superflu, - le superflu, hélas! lui est inconnu; la veuve, il prend un denier sur son nécessaire. S'il ne se dévoue à sa tâche; s'il se borne à remplir ses fonctions comme un emploi ordinaire; s'il ne fait qu'y appliquer son esprit sans y intéresser son cœur, il trans

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comme

forme la plus noble profession en un métier vulgaire. (Applaudissements.) N'avons-nous pas autant et plus que les parents la garde de l'enfant? Cet enfant est là près de nous, éclairé par nos conseils, soutenu par notre expérience, vivant de notre vie; son âme se forme à l'image de la nôtre. Combien n'importe-t-il pas que notre influence soit heureuse, si nous ne voulons l'égarer ou même le perdre! A cette condition seule de pratiquer sans trêve et sans défaillance un devoir sacré, nous mériterons d'être appelés éducateurs de la jeunesse. C'est dans les jouissances suprêmes de l'accomplissement de ce devoir, et non dans des bénéfices matériels toujours précaires, qu'il nous faut chercher notre récompense. Faire son devoir, tout son devoir, plus que son devoir, telle est la devise de l'instituteur ! (Applaudissements répétés.)

A la suite de cet exposé, les élèves de M. Magnat ont été interrogés par leur maître et par plusieurs personnes, membres du Jury ou simples auditeurs. Ils ont répondu avec une sûreté, une précision, une netteté qui ont causé la plus vive satisfaction dans l'auditoire. A plusieurs reprises, ils ont été interrompus, ainsi que M. Magnat, par les applaudissements les plus sympathiques.

La séance est levée à 3 heures et demie.

(1) On ne saurait s'attendre à trouver dans une conférence autre chose que des indications générales. Les personnes qui voudraient connaitre les choses à fond devront se rendre à l'école de l'avenue de Villiers, 94, où M. Magnat leur donnera toute satisfaction. Elles feront bien, en outre, de consulter le Bulletin qui a été publié mensuellement l'année dernière et qui a cessé de paraître par des circonstances indépendantes de notre volonté. (Note de l'auteur.)

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L'ENSEIGNEMENT DES SOURDS-MUETS

DANS LES ÉCOLES D'ENTENDANTS,

PAR M. ÉMILE GROSSELIN,

VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ POUR L'ENSEIGNEMENT SIMULTANÉ DES SOURDS-MUETS

ET DES ENTENDANTS-PARLANTS.

BUREAU DE LA CONFÉRENCE.

M. BOURGUIN, ancien magistrat.

Président :

Assesseurs :

MM. BERGER, inspecteur de l'instruction primaire du département de la Seine; BLONDEL (Émile), professeur à l'école Turgot;

BLONDEL (Henri), architecte;

CHALLAMEL, bibliothécaire à Sainte-Geneviève;
Camille GROSSELIN, ex-officier de marine.

La séance est ouverte à 2 heures.

M. BOURGUIN, président. Je dois faire connaître tout d'abord que M. Villain, député, et M. Gréard, directeur de l'enseignement primaire du département de la Seine, tous deux absents de Paris, expriment par écrit le regret de ne pouvoir pas assister à cette réunion.

Mesdames, Messieurs, la plupart d'entre vous savent très probablement qu'il y a en France trois manières d'enseigner les sourds-muets, La première se pratique plus particulièrement dans les institutions subventionnées par PÉtat; là l'enseignement se donne au moyen de la langue mi

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