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Il est temps d'arriver à l'autre partie du problème : la réintégration de la parole sur les lèvres des sourds-muets.

Aucun moyen de communication ne l'emporte sur la parole. Pourquoi cette parole est-elle absente chez les sourds-muets? Ce n'est pas parce que leur organe vocal est altéré; c'est parce que, n'entendant pas, ils ne songent pas à imiter un son dont leur oreille n'a pas la perception. M. Félix Hément, qui a fait dans cette salle même une Conférence très intéressante sur l'enseignement des sourds-muets par un autre procédé que celui que je viens d'indiquer, a expliqué comment les poumons jouent un rôle dans l'acte de la parole; il a montré comment les poumons, qui ressemblent à des soufflets, chassent l'air, et il a ajouté que c'est une quantité d'air plus considérable que celle nécessaire pour la respiration qu'il faut expulser quand il s'agit d'émettre des sons. Quand le sourdmuet a compris ce fonctionnement, il ne s'agit plus que de lui enseigner la série des sons composant l'alphabet oral.

Mais en face de la parole qu'on peut apprendre aux sourds-muets par l'articulation artificielle, quand ils ont compris comment la matière de la parole pouvait être trouvée, il faut mettre la lecture labiale. Or, l'alphabet labial, qui permet de reconnaître aux mouvements des lèvres les mots émis, est plus long à apprendre que l'alphabet oral. Certaines lettres nécessitent des mouvements de lèvres qui sont facilement perceptibles; d'autres, au contraire, n'appellent que des mouvements qui se cachent pour ainsi dire dans ces penetralia de l'organisme formés par le larynx, la luette, le palais, les dents, comme les volets d'une maison empêchent l'œil curieux de pénétrer à l'intérieur. C'est là une chose merveilleuse ! Nous qui entendons, qui ne nous préoccupons guère de la manière dont le son se façonne dans la bouche, nous nous étonnons que les yeux puissent arriver à saisir ces mouvements si délicatement nuancés, si peu marqués, des lèvres, de la langue, du gosier. On y arrive cependant, les faits le prouvent; mais, en attendant ce moment, qui peut être long à arriver, il faut que le geste vienne suppléer à l'imperfection de la lecture labiale. Les gestes phonomimiques seront non seulement un secours pour aider à l'acquisition de la parole, constituant des signes de rappel compris avec certitude, mais ils serviront à suppléer à la parole incomprise quand des mots plus difficiles à saisir, des noms propres, des mots peu usités seront employés.

L'essentiel, c'est le développement intellectuel, c'est à lui qu'il faut apporter tous ses soins. On ne peut imposer aux instituteurs et aux institutrices la tâche d'accepter les sourds-muets dans leurs écoles en s'astreignant pour eux à un travail spécial. Nous nous contenterons de leur dire : Accueillez ces pauvres petits êtres, prenez pour les instruire un moyen qui est excellent pour vos autres enfants; vous aurez ainsi accompli une

bonne œuvre sans avoir failli à aucun de vos devoirs; vous aurez répandu la lumière dans ces jeunes âmes, et en ce faisant vous n'aurez nui en aucune façon aux enseignements que vous avez la mission de répandre dans les âmes de vos autres élèves. La parole viendra plus tard, par un chemin détourné, à ces pauvres enfants; accueillez-les, habituez-les à reconnaître la parole sur vos lèvres, et comme leurs petits camarades ne cesseront pas de leur parler, la fréquence des communications qu'ils auront eues dans ces conditions leur donnera, à force d'habitude, la possibilité de reconnaître aussi la parole sur les lèvres des personnes qu'ils n'auront pas encore vues.

Je ne m'arrêterai pas sur les autres enseignements qui peuvent être donnés à l'école, puisque une fois le moyen de communication établi, tout peut se ramener, pour ainsi dire, à des leçons de choses; les leçons de géographie, d'histoire, de physique, de géométrie, etc. pourront être données aux sourds-muets comme aux entendants.

Tout à l'heure, si vous prenez la peine de vous rendre à l'extrémité du Champ de Mars, vous pourrez voir l'application de la méthode que nous employons; et la mise en pratique d'un système vaut mieux, pour porter la conviction dans les esprits, que toutes les explications qu'on en peut donner. Vous verrez l'entrain qui anime tous les enfants, le plaisir qu'ils éprouvent à répondre aux questions qu'on veut leur poser.

Mais je ne me contenterai pas de dire que la présence des sourds-muets dans les classes n'est pas une cause de trouble pour les entendants. Je puis, sans être taxé d'exagération, aller plus loin et affirmer qu'il y aura quelquefois avantage dans leur présence; le maître y trouvera comme une espèce de pierre de touche pour son enseignement. Quand il rencontrera des difficultés à se faire comprendre par les sourds-muets, il s'apercevra qu'un mot dont il s'est servi, qu'une explication qu'il a donnée peuvent n'avoir pas été compris suffisamment des entendants, et il y reviendra. Ainsi, l'autre jour, dans la petite classe dont je vous parlais, le mot longer avait été confondu par une sourde-muette avec le mot allonger. La maîtresse lui a fait accomplir l'action correspondant au mot et lui a fait comprendre que longer un mur, c'était marcher le long de ce mur, et non pas lui donner une plus grande longueur. Eh bien, l'explication a été profitable à toute la classe et a précisé le sens des deux mots pour tous les élèves.

Au point de vue des enfants eux-mêmes, on peut tirer du mode d'enseignement que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer, et de l'introduction qu'il permet du sourd-muet dans la classe, un véritable avantage. Ça été une idée charmante que d'appeler jardins d'enfants ces écoles où les jeunes générations, espoir du pays, reçoivent des soins plus essentiels à leur âge qu'à aucune autre époque de la vie. Eh bien, la culture mo

rale des élèves recevra une nouvelle impulsion de la présence d'un de ces pauvres infirmes auxquels je cherche à vous intéresser. Les entendants, voyant à côté d'eux ce jeune compagnon qui a besoin de leur concours pour son développement intellectuel, se sentiront utiles; ce sentiment, alors même qu'il s'y mêlerait un peu de l'amour-propre naturel chez ceux qui possèdent une certaine supériorité, les rehaussera à leurs propres yeux et leur donnera peut-être, avec un désir plus grand de s'instruire pour transmettre à leur petit condisciple ce qu'ils auront appris, l'ambition de devenir meilleurs pour se faire plus aimer.

Je m'arrête après ces trop longues explications qui ont pu vous fatiguer. Si j'ai été assez heureux cependant pour porter la conviction dans vos esprits, j'ose exprimer, en terminant, l'espoir que vous voudrez bien joindre vos efforts aux nôtres, à ceux de la Société fondée par mon père, à ceux des instituteurs et institutrices qui se groupent autour d'elle, pour faire prospérer une œuvre qui, en même temps qu'elle vient en aide à une infortune digne d'intérêt, apporte son contingent modeste à ce grand et si utile travail du développement de l'instruction dans notre pays; développement qui contribuera à rendre à la France, que nous chérissons, toute sa grandeur, tout son éclat un moment obscurci, mais aujourd'hui en pleine renaissance. (Applaudissements.)

La séance est levée à 3 heures 40 minutes.

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MM. DE CODRIKA, attaché à la direction des sections étrangères ;

GRÉARD, inspecteur général de l'instruction publique, directeur de l'enseignement primaire;

Ch. DE SCHLICHTEGRATZ, directeur commercial, membre de la commission autrichienne de l'Exposition de 1878;

Julius SONNTAG, professeur et délégué du ministère de l'instruction publique en Autriche ;

Ch. THIRION, Secrétaire du Comité central des Congrès et Conférences de l'Exposition universelle de 1878.

La séance est ouverte à 2 heures 5 minutes.

M. J. Rosenfeld, président. Mesdames et Messieurs, la conférence à laquelle vous assistez aura pour objet la gymnastique des sens, c'est-àdire le développement, l'exercice de tous les organes physiques qui servent directement l'intelligence, l'intuition, la réflexion, en un mot la raison de l'enfant.

La méthode dont il est question s'adresse tout particulièrement aux sens des enfants, chez lesquels ces sens ont une flexibilité et une élasticité qui se prêtent à merveille à une culture délicate.

Je

ne sais pas encore ce qu'il y a d'absolument nouveau dans ce système, mais quelles que soient les nouvelles nuances que l'on va nous faire

connaître, elles nous intéresseront au plus haut point; elles sont d'ailleurs le résultat d'études sérieuses, approfondies, consciencieuses et viennent d'un professeur sérieux lui-même et consciencieux, qui aime les enfants et qui s'en occupe.

Vous le savez, Mesdames et Messieurs, parmi les questions qui se rapportent à l'enseignement public, une des plus difficiles et des plus ardues est l'enseignement élémentaire ou primaire. Quelque simples que les questions de ce genre puissent paraître, elles sont excessivement compliquées.

Un auteur du siècle dernier disait : « La jeunesse, l'âge tendre, est comme une toile fine sur laquelle on veut tracer des broderies, dans le tissu de laquelle on veut insérer tantôt de la soie, tantôt du velours, tantôt de l'or; si l'aiguille est trop grosse, si le fil est trop grossier, la toile se déchire, la broderie se soulève, et nous laisse entrevoir un tissu sans valeur!"

Vous comprenez sans aucun doute le sens de cette allégorie. La comparaison est parfaitement juste.

M. le professeur Delhez, de Vienne, va nous faire connaître de nouveaux instruments qu'il a essayés lui-même, non sans succès; je viens vous prier de vouloir bien lui prêter toute votre attention, qu'il mérite assurément après tant d'études et de recherches pénibles et consciencieuses.

Quant à moi, qui ai accepté l'honneur de la présidence, je veux être aujourd'hui l'élève le plus docile et le plus attentif à écouter un maître; si vous le voulez bien, Messieurs, nous serons attentifs tous ensemble, nous ferons ce qu'on doit faire dans une bonne République, réfléchir et travailler tous pour un, chacun pour tous! (Applaudissements.)

La parole est à M. le délégué de la direction des sections étrangères.

M. DE CODRIKA, attaché à la direction des sections étrangères. Monsieur le Professeur, avant que vous preniez la parole pour nous initier aux résultats de vos études sur un sujet qui embrasse les plus intéressantes questions de l'éducation du jeune âge, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au nom des sections étrangères et de leur chef qui regrette de ne pouvoir assister à cette séance, et de vous témoigner combien elles se félicitent de voir des hommes de votre valeur venir s'associer aux travaux des savants français et contribuer par le concours de leurs lumières à rehausser l'éclat de notre grande fête internationale de l'intelligence et de la paix.

Une des principales gloires de l'Exposition universelle sera sans doute d'avoir offert aux nationalités du monde entier une occasion d'affirmer la solidarité de leurs efforts dans la voie du progrès et du développement des facultés de l'esprit humain; dans cette pensée, les sections étrangères vous expriment par ma voix leur sincère gratitude. (Bravo! bravo! très bien!)

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