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quand ils sont dans le territoire d'un autre État ils ne sont point exempts de la juridiction locale. Cette portion de l'Océan temporairement occupée par eux ne forme pas une portion du territoire neutre; et le vaisseau lui-même, qui est un objet mobilier, propriété d'individus privés, ne forme pas partie du territoire de la puissance aux sujets de laquelle il appartient. La juridiction que cette puissance peut légalement exercer sur le vaisseau en pleine mer est une juridiction sur les personnes et les propriétés de ses citoyens: ce n'est pas une juridiction territoriale. Être sur l'Océan, c'est être dans un lieu où aucune nation particulière n'a de juridiction, et où par conséquent toutes les nations peuvent également exercer leurs droits internationaux 1.

Quel que soit le véritable principe originaire abstrait du droit naturel sur ce point, il n'est pas possible de nier que l'usage constant et la pratique des nations belligérantes, depuis les temps les plus reculés, ont soumis à capture et à condamnation, comme prise de guerre, les marchandises de l'ennemi trouvées dans des vaisseaux neutres. Cet usage constant et universel n'a été interrompu que lorsque dans un traité formé entre les parties, se trouvait une loi conventionnelle dérogeant temporairement à ces stipulations 2.

Les règlements et la pratique de certaines nations maritimes à différentes époques n'ont pas seulement considéré les marchandises de l'ennemi chargées sur des 1 RUTHERFORTH's Instit., vol. II, b. II, chap. ix, § 19. AZUNI, Diritto marittimo, pt. II, chap. 1, art. 2. Lettre des envoyés américains à Paris à M. de Talleyrand, 17 janv. 1798. WAITE's American State Papers, vol. IV, p. 34.

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2 Consolato del mare, cap. CCLXXIII. WHEATON, Histoire du droit des gens, t. I, p. 72, 153, 157. ALBERICUS GENTILIS, Hisp. advoc., lib. I. cap. XXVII. GROTIUS, de Jure belli ac pacis, lib. III, cap. vi, § 6, 26; cap. I, § 1, note 6. - BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap. XIV. VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. vii, § 115. HEINECCIUS, de Nav. ob. vect., cap. 1, § 9. LOCCENIUS, de Jure mar., lib. II, cap. IV, § 12. AZUNI, Diritto marittimo, pt. II, chap. III,

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chandises ennemies sujets

navires amis comme exposées à capture, mais ils ont condamné à la confiscation le vaisseau neutre à bord duquel ordonnances ces marchandises avaient été chargées. On a cherché à jusde quelques

à confiscation par les

États. tifier cette pratique, sur son analogie supposée avec le droit romain, qui enveloppait le moyen de transport des objets prohibés dans la confiscation prononcée contre ces objets eux-mêmes1.

$ 21.

Biens d'une

Ainsi, par l'ordonnance sur la marine de Louis XIV de 4681, tous les vaisseaux chargés des biens de l'ennemi sont déclarés loyales prises de guerre. La règle contraire avait été adoptée par les précédentes ordonnances de prises de la France. Elle fut remise en vigueur par le règlement de 1744, qui déclara que « dans le cas où on trouverait à bord des vaisseaux neutres de quelque nation qu'ils fussent des biens ou effets appartenant aux ennemis de Sa Majesté, les biens et effets seraient de bonne prise et les vaisseaux seraient rendus.» Valin, dans son commentaire sur l'ordonnance, admet que la règle plus rigide qui avait continué à prévaloir dans les tribunaux de prises français, de 1681 à 1744, était particulière à la jurisprudence de la France et de l'Espagne; mais que l'usage des autres nations était seulement de confisquer les biens de l'ennemi 2.

Quoique, d'après l'usage général des nations, indépennation amie damment des stipulations de traités, les biens de l'ennemi

à bord des

vaisseaux

exposés à la

par les codes

de l'ennemi, trouvés à bord de vaisseaux amis soient susceptibles de confiscation capture et de condamnation, cependant la règle réciproque de prises qui soumet à la confiscation les biens d'une nation amie de quelques nations. à bord des vaisseaux ennemis est manifestement contraire à la justice et à la raison. Il peut, il est vrai, comme l'a dit Grotius, naître la présomption que les biens sont la propriété de l'ennemi. Mais c'est là une présomption à

1 BARBEYRAC, Note à Grotius, lib. III, cap. vi, § 6, note 1. 2 VALIN, Comment. sur l'ordon. de la mar., liv. III, tit. 1x; Des prises, art. 7. WHEATON, Histoire du droit des gens, p. 111-114,

laquelle on peut bientôt opposer la preuve du contraire, et qui n'est pas de cette classe de présomptions que les jurisconsultes appellent præsumptiones juris et de jure, et qui sont concluantes contre la partie.

Mais quelque déraisonnable et injuste que soit cette maxime, elle a été incorporée au code de prises de certaines nations, et appliquée par eux à différentes époques. Ainsi par les ordonnances françaises de 1538, 1543 et 1584, les biens d'une nation amie chargés à bord des vaisseaux de l'ennemi sont déclarés bonne et loyale prise. Le contraire a été établi par la déclaration ultérieure de 1650; mais par l'ordonnance sur la marine de Louis XIV, de 1681, la première règle fut remise en vigueur. Valin et Pothier ne peuvent trouver de meilleur argument à l'appui de cette règle, que de dire que ceux qui ont chargé leurs biens à bord des vaisseaux de l'ennemi favorisent par là le commerce de l'ennemi, et par cet acte sont considérés en droit comme se soumettant à suivre le sort du vaisseau; et Valin demande «comment il se peut faire que les biens d'amis et d'alliés trouvés sur les vaisseaux de l'ennemi ne soient pas exposés à confiscation, quand ceux mêmes des sujets le sont.» A quoi Pothier lui-même fournit la réponse propre: qu'à l'égard des biens appartenant aux sujets du roi, en les chargeant à bord des vaisseaux de l'ennemi, les sujets contreviennent aux lois qui leur interdisent tout rapport commercial avec l'ennemi, et pour cette violation des lois ils méritent de perdre leurs biens 1.

La fausseté de l'argument par lequel on essaie de soutenir cette règle, consiste à prétendre, ce qu'il faudrait prouver, que par l'acte de charger ses biens à bord du vaisseau de l'ennemi, le neutre se soumet à suivre le sort du vaisseau. On ne peut pas dire, en effet, que les biens

1 VALIN, Comment. sur l'ordon. de la mar., liv. III, tit. Ix; Des prises, art. 7. POTHIER, Traité de la propriété, no 96.

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soient sujets à capture et à confiscation ex re, puisque leur caractère de propriété neutre les exempte de ce danger. On ne peut pas non plus montrer qu'ils soient ainsi exposés ex delicto, à moins qu'il ne soit d'abord prouvé que l'acte de les charger à bord est un délit contre le droit des gens. C'est donc avec raison que Bynkershoek conclut que cette règle, quand elle est seulement établie par les ordonnances sur les prises d'une puissance belligérante, ne peut être défendue sur des principes sains. Quand elle repose sur une convention spéciale, équivalant à la maxime réciproque, que les vaisseaux libres font les marchandises libres, ce relâchement des prétentions de la guerre peut très-bien s'accorder avec la concession correspondante, par le neutre, que les vaisseaux ennemis font les marchandises ennemies. Ces deux maximes ont en fait été ordinairement accouplées dans les divers traités à ce sujet, en vue de simplifier les enquêtes judiciaires sur les intérêts de propriété du vaisseau et de la cargaison, en les réduisant à la simple question de nationalité du vaisseau. Les deux maximes ne sont cependant pas inséparables. la connexion La loi primitive, indépendamment de la convention intermaximes: nationale, repose sur le simple principe que la guerre

$ 22. Inutilité de

des deux

Les

vaisseaux

libres, donne le droit de capturer les biens de l'ennemi, mais

font les mar

libres,

vaisseaux

ennemis,

les marchandises ennemies.

chandises qu'elle ne donne pas le droit de capturer les biens d'un et les ami. Le droit de capturer la propriété de l'ennemi n'a d'autre limite que celle de l'endroit les biens ont été trouvés, lequel endroit, s'il est neutre, les protégera de la capture. Nous avons déjà vu qu'un vaisseau neutre en pleine mer n'est pas un endroit neutre. L'exemption de la propriété neutre de la capture n'a pas d'autres exceptions que celles résultant d'un commerce de contrebande, d'une violation de blocus, et autres cas analogues la conduite du neutre donne au belligérant le droit de traiter sa propriété en propriété ennemie. Le pavillon neutre ne constitue pas de protection pour la propriété de l'ennemi,

et le pavillon belligérant ne communique pas de caractère hostile à la propriété neutre. Les États ont changé ce principe simple et naturel du droit des gens par une convention mutuelle, en tout ou en partie, selon qu'ils l'ont jugé de leur intérêt. Mais la maxime que les vaisseaux libres font les marchandises libres, n'implique pas nécessairement la proposition reciproque que les vaisseaux ennemis font les marchandises ennemies. La stipulation que les bâtiments neutres feront les biens neutres est une concession faite par le belligérant au neutre, et donne au pavillon neutre une capacité que ne lui donnait pas le droit des gens primitif. D'un autre côté, la stipulation qui assujettit la propriété neutre trouvée dans le vaisseau de l'ennemi à confiscation comme prise de guerre, est une concession faite par le neutre au belligérant, et enlève au neutre un privilége qu'il possédait d'après le droit des gens existant; mais ni la raison, ni l'usage ne rendent les deux concessions tellement indissolubles, qu'elles ne puissent exister l'une sans l'autre.

Ce fut sur ce fondement que la cour suprême des États-Unis décida que le traité de 1795, entre eux et l'Espagne, qui stipulait que les vaisseaux libres feraient les biens libres, n'impliquait pas nécessairement la proposition réciproque que les vaisseaux ennemis feraient les biens ennemis, le traité gardant le silence sur ce dernier cas; et que par conséquent les biens d'un sujet espagnol trouvés à bord d'un vaisseau d'un ennemi des États-Unis n'étaient pas susceptibles de confiscation comme prise de guerre. Et quoiqu'il fût allégué que la loi de prises de l'Espagne soumettait à la condamnation la propriété des citoyens américains trouvée à bord des vaisseaux de son ennemi, la cour refusa de condamner, sur le principe de réciprocité, la propriété espagnole trouvée à bord d'un vaisseau ennemi; parce que le gouvernement américain n'avait pas manifesté sa volonté de rendre la pareille à

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