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de ces ressources est un des moyens à employer pour le réduire. La situation actuelle de la France (était-il dit) était notoirement telle, qu'il était nécessaire d'employer ce moyen de la réduire par les opérations collectives des différentes puissances engagées dans la guerre; et le raisonnement que tous les jurisconsultes appliquaient aux cas de cette espèce était encore plus applicable au cas présent, dans lequel la détresse résultait du mode inusité de guerre adopté par l'ennemi lui-même, qui avait armé la classe presque entière des cultivateurs de France, pour entamer et soutenir les hostilités contre presque tous les gouvernements de l'Europe. Mais ce raisonnement était par-dessus tout applicable à un commerce qui était en grande partie conduit par le gouvernement actuel de la France, et qu'on ne devait pas regarder plus longtemps comme une spéculation mercantile d'individus privés, mais comme l'opération immédiate des personnes qui avaient déclaré la guerre et la dirigeaient alors contre la GrandeBretagne 1.

Ce raisonnnment rencontra l'opposition des puissances neutres de la Suède et du Danemark, et surtout des ÉtatsUnis. Le gouvernement américain insistait sur ce que quand deux puissances sont en guerre, les autres nations qui choisissent de rester en paix conservaient leur droit naturel de continuer leur agriculture, leurs travaux manufacturiers, et toutes leurs autres industries ordinaires; leur droit de conduire le produit de leur industrie en échange dans tous les pays belligérants ou neutres, comme de coutume; leur droit d'aller et venir librement sans injures et sans vexations; enfin que la guerre chez les autres devait être pour les nations neutres comme si elle n'existait pas. La seule restriction à cette liberté générale du commerce à laquelle se fussent soumises les nations en paix était de

1 Lettre de M. Hammond à M. Jefferson, 12 sept. 1793. WAITE'S State Papers, vol. I. p. 398.

ne fournir à aucune des parties les approvisionnements purement de guerre, ni d'introduire quoi que ce soit dans une place bloquée par l'ennemi. Ces approvisionnements de guerre avaient été assez souvent énumérés dans les traités, sous le nom de contrebande, pour qu'il restât alors peu de chose à en dire. Il suffisait de dire que les grains, le blé et la farine n'étaient pas de la classe des objets de contrebande, et restaient par conséquent articles de commerce libre. L'état de guerre alors existant entre la GrandeBretagne et la France ne fournissait pas de droit légitime à l'une ou à l'autre de ces puissances belligérantes, d'interrompre l'agriculture des Etats-Unis, ni l'échange paisible de leurs produits avec toutes les nations. Si une nation quelconque avait le droit de fermer à leurs produits tous les ports de la terre, excepté les siens et ceux de ses amis, elle devait aussi fermer ces derniers pour prévenir en même temps l'exportation de ces produits 1.

Dans le traité conclu par la suite entre la Grande-Bretagne et l'Amérique, le 19 novembre 1794, il fut stipulé (art. 18) que sous la dénomination de contrebande, seraient compris toutes les armes et approvisionnements servant pour la guerre. << Et aussi les bois de construction pour les navires, le goudron, ou la résine, le cuivre en feuille, les voiles, le chanvre et les cordages, et généralement tout ce qui peut servir directement à l'armement des vaisseaux, excepté seulement le fer brut et les planches de sapin. >> continue alors en établissant que: «Attendu que la difficulté de s'accorder sur les cas précis dans lesquels les provisions de bouche et autres articles qui généralement ne sont pas de contrebande peuvent être regardés comme tels, rend nécessaire de pourvoir aux inconvénients et aux malentendus qui pourraient alors s'élever: il est en outre consenti que toutes les fois que de pareils articles, qui

L'article

1 Lettre de M. Jefferson à M. T. Pinkney, 7 sept. 1793. WAITE'S State Papers, vol. I, p. 393.

deviennent ainsi de contrebande, d'après le droit des gens existant, seront pour cette raison saisis, ces mêmes articles ne seront point confisqués, mais leurs propriétaires seront promptement et complètement indemnisés; et ceux qui auront fait la capture, ou, à leur defaut, le gouvernement sous l'autorité duquel ils agissent, payeront aux maltres ou propriétaires de ces vaisseaux l'entière valeur de tous ces articles avec un raisonnable bénéfice mercantile sur eux, ainsi que le fret et le droit de starie se rattachent à cette détention. >>

anglais sur les provisions;

Les instructions de juin 1793 avaient été révoquées Règlement avant la signature de ce traité; mais avant sa ratification, le gouvernement anglais rendit, en avril 1795, une ordon- avril 1795. nance du conseil enjoignant à ses croiseurs d'arrêter et détenir tous vaisseaux chargés entièrement ou en partie de grains, de farine, de blé, et autres articles de provisions de bouche, destinés à un port de France, et de les diriger dans les ports qui seront le plus commodes pour que ces grains, farines, etc., puissent être achetés de la part du gouvernement.

Cette dernière ordonnance fut ensuite révoquée, et la question de sa légalité devint le sujet d'une discussion devant la commission mixte constituée, d'après le traité, pour décider sur les réclamations des citoyens américains pour raison de captures irrégulières ou illégales, et de condamnation de leurs bâtiments, et autre propriété sous l'autorité du gouvernement anglais. L'ordonnance était justifiée sur deux fondements:

1° Qu'elle avait été faite alors qu'on avait en vue de réduire l'ennemi par famine, et que dans un tel état de choses des provisions dirigées dans les ports de l'ennemi devenaient assez de contrebande pour justifier la GrandeBretagne de les saisir, sous la condition de payer le prix de facture d'expédition avec un raisonnable bénéfice mercantile sur ce prix, ainsi que le fret et le droit de starie.

2o Que l'ordonnance se justifiait par la nécessité, la nation anglaise étant à cette époque menacée d'une disette des articles qu'on avait ordonné de saisir.

Le premier de ces principes reposait non-seulement sur le droit des gens général, mais sur l'article précité du traité entre la Grande-Bretage et l'Amérique.

L'évidence alléguée de ce prétendu droit des gens était principalement le passage suivant de Vattel: «Les choses qui sont d'un usage particulier pour la guerre, et dont on empêche le transport chez l'ennemi, s'appellent marchandises de contrebande. Telles sont les armes, les munitions de guerre, les bois et tout ce qui sert à la construction et à l'armement des vaisseaux de guerre, les chevaux et les vivres même, en certaines occasions, ou l'on espère de réduire l'ennemi par la faim 1.»

En réponse à cette autorité, on exposa qu'il suffirait de dire qu'elle était tout au plus équivoque et indéfinie, puisqu'elle ne désignait pas quelles sont les conjonctures au moyen desquelles on puisse soutenir «qu'il y ait espoir de réduire l'ennemi par la faim,» et qu'il était tout à fait conséquent d'affirmer que cet espoir doit reposer sur une chance évidente et palpable d'effectuer la réduction de l'ennemi par ce mode odieux de guerre, et que le droit des gens n'admet l'existence d'une pareille chance que dans certains cas déterminés, tels qu'un véritable siége, un blocus ou l'envahissement de places particulières. On rendrait cette réponse encore plus satisfaisante, en comparant le passage ci-dessus cité avec les opinions plus précises d'autres écrivains respectables sur le droit international, au moyen de quoi on pourrait découvrir ce que Vattel ne semble pas expliquer: la combinaison de circonstances auxquelles ce principe soit applicable ou auxquelles on veuille l'appliquer.

1 VATTEL. Droit des gens, liv. III, chap. vii. § 142.

Mais il n'était pas nécessaire de se reposer entièrement sur cette réponse, puisque Vattel. fournissait lui-même un commentaire assez exact sur le texte vague qu'il avait donné. Le seul exemple cité par cet écrivain qui vint se ranger sous son principe général, est celui que Grotius avec lui a tiré de Plutarque. «Le roi Démétrius,» comme le dit Grotius, «avait déjà soumis l'Attique, il avait pris la ville de Rhamus, et était sur le point d'affamer Athènes, quand il vint un vaisseau étranger qui y portait des vivres. » Vattel en parle comme d'un cas où les provisions étaient de contrebande (section 17), et quoiqu'il ne se serve pas de cet exemple dans le but déclaré de spécifier davantage le passage ci-dessus cité, cependant, comme il n'en mentionne pas d'autre auquel il puisse se rapporter, il devient très-évident qu'il ne veut pas pousser la doctrine de contrebande spéciale plus loin que ne le permettrait cet exemple.

On devait observer aussi que, dans la section 113, il déclare expressément que tous biens de contrebande (y comprenant naturellement ceux qui deviennent tels en raison des conjonctures dont il a parlé à la fin de la section 112), doivent être confisqués. Mais personne ne prétendait que la Grande-Bretagne eût pu légalement confisquer les cargaisons capturées d'après l'ordonnance de 1795. Et encore si les saisies opérées en vertu de cette ordonnance rentraient dans l'opinion exprimée par Vattel, la confiscation des cargaisons saisies aurait pu être justifiée. Il avait été établi depuis longtemps que tous les biens de contrebande sont exposés à confiscation selon le droit des gens, qu'ils soient contrebande de leur nature ou qu'ils le deviennent par la force des circonstances existantes. Même dès les temps anciens, alors que cette règle n'était pas si bien établie, nous trouvons que les nations qui cherchaient à s'exempter de la confiscation ne réclamèrent jamais cette exemption en prenant pour base des descrip

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