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les nations civilisées de la chrétienté, la conquête, même quand elle fut assurée par des traités de paix, ne fut jamais suivie d'une transmutation générale ou partielle de la propriété territoriale. La propriété appartenant au gouvernement de la nation vaincue passe à l'État vainqueur, qui prend aussi la place de l'ancien souverain à l'égard du domaine éminent. A tous autres égards les droits privés ne sont point affectés par la conquête 1.

Les exceptions à ces adoucissements généraux des droits excessifs de la guerre considérée comme une lutte de force, viennent toutes du même principe originel du droit naturel qui nous autorise à nous servir contre l'ennemi du degré de violence nécessaire seulement pour assurer l'objet des hostilités. La même règle générale qui détermine jusqu'à quel point il est légal de détruire la personne des ennemis, servira de guide pour juger jusqu'à quel point il est légal de ravager ou de laisser dévaster leur pays. Si ce moyen est nécessaire pour arriver au juste but de la guerre, il peut être employé légalement, mais non pour un autre objet. Ainsi si nous ne pouvons arrêter les progrès d'un ennemi, ni secourir nos frontières, ou si l'on ne peut approcher d'une ville qu'on veut attaquer sans dévaster le territoire intermédiaire, le cas extrême peut justifier le recours à des mesures que l'objet ordinaire de la guerre n'autorise pas. Si l'usage moderne a sanctionné d'autres exceptions, on les trouvera dans le droit de représailles ou rétorsion de fait. Le code international est en entier fondé sur la réciprocité. Les règles qu'il prescrit sont observées par une nation dans la confiance qu'elles le seront aussi par les autres. Lors donc que les usages etablis de la guerre sont violés par un ennemi, et qu'il n'y a pas d'autres moyens d'arrêter ses

1 VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. IX, § 13. KLÜBER, Droit des gens moderne de l'Europe, pt. II, tit. II, sect. II, chap 1, § 250-253. MARTENS, Précis, etc., liv. VIII, chap. IV, § 279-282.

excès, la nation qui les souffre peut justement recourir aux représailles afin de forcer l'ennemi à revenir à l'observation des lois qu'il a violées 1.

La dernière guerre entre les États-Unis et la GrandeBretagne a été marquée par une série de mesures destructives de la part de cette dernière, dirigées contre des personnes et des propriétés jusque-là regardées comme exemptes des hostilités par l'usage général des nations civilisées. On essaya de justifier ces mesures comme étant des actes de réprésailles pour de semblables excès de la part des forces américaines sur les frontières du Canada, dans une lettre adressée à M. le secrétaire Monroe par l'amiral Cochrane, commandant les forces navales anglaises dans la station de l'Amérique septentrionale, datée à bord de son vaisseau - pavillon, dans la rivière de Patuxent, du 18 août 1814. Dans cette communication il était exposé que l'amiral anglais ayant été appelé par le gouverneur général du Canada pour l'aider à mettre à effet les mesures de représailles contre les habitants des États-Unis. pour l'odieuse destruction commise par leur armée dans le haut Canada, il était devenu du devoir de l'amiral de donner aux forces navales qu'il commandait l'ordre de détruire et de dévaster toutes les villes et cantons sur la côte, qui seraient attaquables.

Dans la réponse du gouvernement américain à cette communication, datée de Washington, le 6 septembre 1814, il fut exposé que le gouvernement avait vu avec la plus grande surprise que ce système de dévastation pratiqué par les forces anglaises, et si manifestement contraire aux usages de la civilisation, fút établi sur le pied de réprésailles. Les États-Unis n'avaient pas plutôt été forcés de recourir à la guerre contre la Grande-Bretagne, qu'ils avaient

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KLÜBER,

1 VATTEL, liv. Ill, chap. vIII, § 142; chap. 1x, § 166–173. MARTENS, Précis, etc., liv. VIII, chap. IV, § 272-280. pt. II, tit. II, sect. II, chap. 1, § 262-265.

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résolu de l'entreprendre d'une manière plus conforme aux principes d'humanité et des relations amicales qu'il était désirable de conserver entre les deux nations après le retour de la paix. Ils s'apercevaient cependant qu'un esprit juste et humain n'avait été ni nourri, ni mis en œuvre par le gouvernement anglais. Sans insister sur les déplorables cruautés commises par les sauvages indiens dans les rangs et à la solde des Anglais sur la rivière Raisin, cruautés qui n'avaient jamais été désavouées ni réparées, le gouvernement américain renvoyait, comme ayant plus particulièrement trait à la communication cidessus, à l'odieuse dévastation commise, en 1813, au Havre-de-Grâce et à Georgetown, dans la baie de Chesapeake. Ces villages furent brûlés et ravagés par les forces navales anglaises, jusqu'à la ruine de leurs habitants nonarmés, qui virent avec étonnement qu'ils ne recevaient des lois de la guerre aucune protection pour leurs propriétés. Pendant la même saison on vit des scènes d'invasion et de pillage conduites sous la même autorité, tout le long des côtes de Chesapeake, jusqu'au point de causer les désastres privés les plus sérieux, et avec des circonstances justifiant le soupçon que la vengeance et la cupidité, plutôt que le but honorable que devaient avoir les hostilités d'un ennemi magnanime, avaient présidé à leur exécution. La dernière destruction des maisons du gouvernement à Washington était un autre acte qui se présentait nécessairement sous les yeux. Dans les guerres de l'Europe moderne on ne pourrait citer aucun exemple de cette espèce, même parmi les nations le plus hostiles les unes aux autres. Dans le cours des dix dernières années les capitales des principales puissances du continent européen avaient été conquises et occupées alternativement par les armées victorieuses de chacune d'elles, et l'on n'avait vu aucun exemple d'une aussi odieuse et aussi inique dévastation. Il fallait se reporter aux siècles reculés

et barbares pour trouver un pendant aux actes dont se plaignait le gouvernement américain.

Quoique ces actes de désolation demandassent, s'ils ne l'imposaient pas, à ce gouvernement, la nécessité de représailles, néanmoins en aucune façon elles n'avaient

été autorisées.

L'incendie du village de Newark, dans le Haut-Canada, postérieur aux premiers outrages ci-dessus énumérés, ne fut point exécuté sur le principe de représailles. Le village de Newark touchait au fort Saint-George, et la destruction en fut justifiée par les officiers qui l'ordonnèrent sous prétexte qu'elle était nécessaire aux opérations militaires du lieu. L'acte cependant fut désavoué par le gouvernement américain. L'incendie qui eut lieu à Long-Point ne fut pas autorisé par le gouvernement, et la conduite de l'officier fut soumise à l'examen d'un tribunal militaire. Quant à l'incendie de Saint-David commis par des vagabonds, l'officier qui commandait dans cette partie fut déposé sans jugement pour ne l'avoir pas empêché.

Le gouvernement américain exposait que ces faits étaient aussi peu compatibles avec les ordres qui avaient été donnés à ses commandants de terre et de mer, que l'humanité connue de la nation américaine l'était peu avec l'exécution du système adopté par les Anglais. Ce gouvernement se devait à lui-même et aux principes qu'il avait toujours regardés comme sacrés de désavouer, comme cela lui était justement imposé, une guerre aussi odieuse que cruelle et inique. Quelles qu'eussent été les irrégularités non-autorisées commises par ses troupes, il aurait été prêt, en agissant d'après les principes d'une obligation éternelle et sacrée, à les désavouer, et, en tant que cela eût été praticable, à les réparer. Mais dans le plan de guerre de désolation que la lettre de l'amiral Cochrane faisait connaître si clairement, et qu'il essayait d'excuser par une justification si complétement dénuée de fonde

ment, le gouvernement américain apercevait un esprit d'hostilité profondément enraciné, à l'existence duquel il n'aurait pu croire sans l'évidence d'un tel fait, et qu'il n'aurait pas pensé pouvoir être poussé à une telle extrémité pour la réparation d'injures de quelque nature qu'elles fussent, extrémités non sanctionnées par le droit des gens, que les forces de terre ou de mer de l'une des puissances auraient pu commettre contre l'autre. Le gouvernement serait toujours prêt à entrer dans des arrangements réciproques. Mais dût le gouvernement anglais persévérer dans un système de désolation si contraire aux vues et à la pratique des États-Unis, si révoltant pour l'humanité, et qui répugne autant aux sentiments et aux usages du monde civilisé, quoique inspirant les regrets les plus profonds, il rencontrerait la résolution et la constance d'un peuple libre, combattant dans une juste cause pour ses droits essentiels et ses intérêts les plus chers.

Dans la réponse de l'amiral Cochrane à la communication ci-dessus, datée du 19 septembre 1814, il fut exposé qu'il n'avait pas d'autorisation de son gouvernement d'entrer dans aucune espèce de discussion relative au point contenu dans cette communication. Il avait seulement à regretter qu'il n'y eût pas d'espoir probable qu'il fût autorisé à révoquer son ordre général, qui avait déjà reçu la sanction d'une requête subséquente du gouverneur général du Canada. Jusqu'à ce que l'amiral ait reçu des instructions de son gouvernement, les mesures qu'il avait adoptées devaient persister, à moins que réparation ne fût faite aux Canadiens pour les injures qu'ils avaient ressenties des outrages commis par les troupes des ÉtatsUnis 1.

Le désaveu de l'incendie de Newark par le gouvernement américain fut communiqué au gouverneur général

1 Correspondance entre M. le secrétaire Monroe et l'amiral Cochrane, American State Papers, fol. edit., vol. III, p. 693 et 694.

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