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les États avoisinants, et l'on verrait les armées françaises ne pas manquer de prévenir son occupation par les Autrichiens. Les deux grandes armées autrichiennes se tenant, soit sur l'offensive, soit sur la défensive, l'une en Souabe, l'autre en Italie, séparées qu'elles seraient par le rempart massif des Alpes, n'auraient aucun moyen de communication entre elles; tandis que les forces françaises, venant du lac de Constance d'un côté, et de la grande chaîne des Alpes de l'autre, pourraient attaquer soit le flanc de l'armée autrichienne dans la Souabe, soit l'arrière-garde de cette même armée en Italie 1.

Durant les guerres de la révolution française, la neutralité de la Suisse fut alternativement violée par chacune des deux grandes puissances engagées dans la lutte, et les vallées jadis paisibles de ce pays devinrent le théâtre sanglant des hostilités entre les armées françaises, autrichiennes et russes. L'expulsion des forces alliées et le départ ultérieur de l'armée française d'occupation, furent suivis de violentes dissensions intestines, qui furent enfin apaisées par la médiation de Bonaparte en qualité de premier consul de la république française, en 1803. Un traité d'alliance fut simultanément conclu entre la république et la Confédération helvétique. D'après ce qui fut stipulé dans ce traité, la neutralité de la Suisse fut reconnue par la France, tandis que la Confédération stipula que le passage à travers son territoire ne serait pas accordé aux armées de la France, et que dans le cas où on le tenterait, elle s'y opposerait les armes à la main. La Confédération s'engagea aussi à permettre l'enrôlement de huit mille soldats suisses pour le service de la France, outre les seize mille hommes qu'elle devait fournir d'après la capitulation signée le même jour que le traité. Il fut fait, en même temps, déclaration expresse que cette alliance

1 THIERS, Histoire du consulat et de l'empire, t. I, liv. III, p. 182.

étant purement défensive, elle ne pourrait, en aucune façon, être amenée à porter préjudice à la neutralité de la Suisse 1.

Lorsque les forces alliées firent invasion sur le territoire français en 1813, le corps autrichien sous le commandement du prince de Schwarzenberg passa par le territoire de la Suisse, et franchit le Rhin à trois endroits différents, à Bâle, à Lauffenburg et à Schaffhausen, sans rencontrer d'opposition de la part des troupes fédérales. La neutralité perpétuelle de la Suisse fut néanmoins reconnue par l'acte final du congrès de Vienne, le 20 mars 18452; mais lors du retour de Napoléon de l'ile d'Elbe, les pouvoirs alliés invitèrent la Confédération à se joindre à la coalition générale contre la France. Dans la note officielle envoyée par les ministres des alliés. à la Diète de Zurich, le 6 mai 1815, il était dit que bien que les alliés s'attendissent à ce que la Suisse n'hésiterait pas à se joindre à eux pour accomplir le but commun de l'alliance, qui était d'empêcher le rétablissement en France de l'autorité révolutionnaire usurpée, ils étaient loin cependant de proposer à la Suisse la levée d'une force armée qui dépasserait ses ressources et les habitudes de son peuple. Ils respectaient le système militaire d'une nation qui, ne subissant pas l'influence de l'esprit d'ambition, ne prenait les armes que pour défendre son indépendance et sa tranquillité. Les alliés étaient loin d'ignorer l'importance qu'attachait la Suisse au maintien du principe de sa neutralité; et ce n'était pas avec l'intention de violer ce principe, mais dans le but de la hâter venue du jour où il deviendrait applicable d'une manière avantageuse et permanente, qu'ils proposaient à la Confédération de prendre un parti et d'adopter des mesures énergiques, et en rapport avec les

1 SCHOELL, Histoire des traités de paix, t. II, chap. xxxIII, p. 339.

2 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. II, p. 178.

circonstances extraordinaires du moment, sans pour cela poser une règle de conduite pour l'avenir 1.

En réponse à cette note, la Diète déclara, le 12 mai 1815, que les relations que la Suisse entretenait avec les puissances alliées, et avec elles seulement, ne pourraient laisser de doutes quant à ses vues et à ses intentions. Elle persisterait, disait-elle, dans ces relations avec cette constance et cette fidélité qui de tout temps avaient caractérisé les habitants de la Suisse. Vingt-deux petites républiques, unies ensemble pour leur sûreté et pour le maintien de leur indépendance, devaient puiser leur force nationale dans le principe de leur confédération. Ceci résultait inévitablement de la nature des choses, de la position géographique, de la constitution et du caractère du peuple suisse. Une conséquence de ce principe était la neutralité de la Suisse reconnue comme base de ses relations à venir avec les autres États. Il résultait du même principe que la participation la plus efficace que pourrait prendre la Suisse dans la grande lutte qui allait s'engager, devait nécessairement consister dans la défense de ses propres frontières. En suivant cette ligne de conduite, elle ne se séparait pas de la cause commune des puissances alliées, laquelle devenait ainsi sa cause nationale à elle. La défense d'une frontière longue de 50 lieues, et servant de point d'appui aux mouvements de deux armées,` était en elle-même une coopération non-seulement effective, mais aussi de la plus grande importance. Déjà plus de trente mille hommes avaient été enrôlés dans ce but. Déterminée à continuer ce développement de ses forces, la Suisse avait le droit d'attendre de la disposition amicale des alliés à son égard, que tant qu'elle n'aurait pas recours à leur assistance, ils voulussent faire en sorte que leurs armées respectassent l'intégrité de son territoire. Les

1 MARTENS, Nouveau Recueil, t. II, p. 166.

puissances alliées devaient, à cet égard, donner des assurances qui devenaient absolument nécessaires pour tranquilliser le peuple suisse, et l'engager à supporter avec courage le fardeau d'un armement aussi considérable 1.

Le 20 mai 1815, une convention fut faite à Zurich, pour régler l'union de la Suisse à la grande alliance existant déjà entre l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie; et par cette convention il fut stipulé qu'en cas de besoin, et si l'intérêt commun rendait nécessaire un passage temporaire à travers une partie quelconque du territoire suisse, on aurait recours à l'autorité de la Diète pour l'obtenir. C'est ainsi que l'aile gauche de l'armée des alliés passa le Rhin entre Bâle et Rheinfelden, et arriva en France après avoir traversé le territoire de la Suisse 2.

Lors du rétablissement de la paix générale, une déclaration fut signée à Paris, le 20 novembre 1815, par les quatre puissances alliées et par la France, et dans cette déclaration ces cinq puissances reconnurent formellement la neutralité perpétuelle de la Suisse, et garantirent l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire au dedans de ses nouvelles limites, telles que les avaient établies et l'acte final du congrès de Vienne et le traité de Paris de la date susdite. Ces puissances déclarèrent aussi que la neutralité et l'inviolabilité de la Suisse, ainsi que sa soustraction à toute influence étrangère, étaient conformes aux véritables intérêts de la politique de l'Europe entière, et qu'aucune influence défavorable ne devait être exercée sur les droits de la Suisse quant à sa neutralité, par le fait qui avait donné lieu au passage d'une partie des forces alliées sur le territoire helvétique. Ce passage librement accordé par les cantons dans la convention du 20 mai,

1 MARTENS, t. II, p. 170.

2 Ibid., t. II, p. 170.

Neutralité

de la

était le résultat nécessaire de l'adhésion complète de la Suisse aux principes professés par les puissances alliées dans le traité d'alliance du 25 mars1.

II. La position géographique de la Belgique, formant Belgique. une barrière naturelle entre la France d'un côté, et l'Allemagne et la Hollande de l'autre, semblerait rendre l'indépendance et la neutralité du premier de ces pays essentielles à la conservation de la paix entre les dernières puissances, comme est la neutralité de la Suisse pour le maintien de la paix entre la France et l'Autriche. La Belgique couvre le point le plus vulnérable de la frontière septentrionale de la France contre une invasion de la part de la Prusse, tandis qu'elle protège l'entrée de l'Allemagne contre les armées françaises sur une frontière moins bien fortifiée que celle du Rhin de Bâle à Mayence. Mais tant que les Pays-Bas appartinrent à la maison d'Autriche de la branche espagnole ou allemande, ces provinces avaient été pendant une suite de siècles le champ de bataille sur lequel les grandes puissances en lutte de l'Europe se disputaient la suprématie. La sécurité de l'indépendance de la Hollande contre les empiétements de la France fut garantie par les traités de limites conclus à Utrecht, en 1713, et à Anvers en 1715, entre l'Autriche, la Grande-Bretagne et la Hollande. Par ces traités les villes fortifiées sur la frontière méridionale des Pays-Bas autrichiens devaient être pourvues de garnisons permanentes de troupes hollandaises. Le royaume des Pays-Bas fut créé par le congrès de Vienne en 1815, pour former une barrière à l'Allemagne contre la France; et à la dissolution de ce royaume dans les parties originaires qui le composaient, la neutralité perpétuelle de la Belgique fut garantie par les cinq grandes puissances européennes, et rendue condition essentielle de la reconnaissance de son

1 MARTENS, t. IV, p. 186.

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