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indépendance dans les traités pour la séparation de la

Belgique de la Hollande 1.

Cracovie,

III. Nous avons déjà vu que, par l'acte final du congrès Neutralité de de Vienne, 1815, art. 6, la ville de Cracovie avec son territoire est déclarée être un État perpétuellement libre, indépendant et neutre, sous la protection réunie de la Prusse, de l'Autriche et de la Russie 2. La neutralité ainsi créée par traité spécial, et garantie par les trois puissances protectrices, depend de l'obligation reciproque de la ville de Cracovie de n'accorder aucun asile ni protection aux fugitifs de la justice ou aux deserteurs militaires apparte nant aux territoires de ces puissances. La question de savoir jusqu'à quel point la neutralité de l'État libre et indépendant ainsi créé a été observée véritablement par les puissances protectrices, ou jusqu'à quel point les occupations temporaires successives de son territoire par leurs forces militaires, et leurs fréquentes interventions forcées dans ses affaires intérieures, peuvent avoir été justifiées par le non-accomplissement de l'obligation ci-dessus de la part de Cracovie, ou par d'autres circonstances autorisant une pareille intervention, d'après les principes généraux du droit international: toutes ces questions ont donné lieu à des discussions diplomatiques entre les grandes puissances européennes, parties contractantes aux traités de Vienne, mais elles sont étrangères au sujet qui nous оссире 3.

La neutralité permanente de la Suisse, de la Belgique et de Cracovie a été ainsi solennellement reconnue comme partie du droit public de l'Europe. Mais la neutralité conventionnelle ainsi créée diffère essentiellement de cette neutralité naturelle ou parfaite que chaque État a le droit d'observer, indépendamment de traité spécial, relativement

1 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. II. p. 219–239.

2 Vide supra, pt. I, chap. 1, § 14, p. 48.

3 WHEATON, Histoire du droit des gens, t. II, p. 128-132.

aux guerres dans lesquelles d'autres États peuvent être engagés. Les conséquences de la dernière espèce de neutralité ne naissent qu'en cas d'hostilités. Elle n'existe pas en temps de paix, pendant lequel l'État est libre de contracter tous les engagements éventuels qu'il juge convenables à ses relations politiques avec d'autres États. D'un autre côté, un État perpétuellement neutre, en acceptant cette condition de son existence politique, est obligé d'éviter en temps de paix tout engagement qui l'empêcherait d'observer ses devoirs de neutralité en temps de guerre. Comme État indépendant il peut légalement exercer, dans ses rapports avec d'autres États, tous les attributs de souveraineté extérieure. Il peut faire des traités d'amitié et même d'alliance avec d'autres États, pourvu qu'il ne se crée pas par là des obligations qui, quoique parfaitement loyales en temps de paix, l'empêcheraient de remplir ses devoirs de neutralité en temps de guerre. En vertu de cette distinction, les traités d'alliance offensive applicables à un cas spécifié de guerre entre deux ou plusieurs puissances, ou garantissant leurs possessions, sont naturellement interdits à l'État perpétuellement neutre. Mais cette interdiction ne s'étend pas aux alliances défensives formées avec d'autres États neutres, pour le maintien de la neutralité des parties contractantes contre tout pouvoir qui pourrait menacer de violation cette neutralité 1.

La question reste donc de savoir si cette restriction du pouvoir souverain de l'État perpétuellement neutre, est limitée aux alliances politiques et aux garanties, ou si elle s'étend aux traités de commerce et de navigation avec les autres États. Il devient encore nécessaire ici de distinguer entre les deux cas de neutralité naturelle et parfaite, qualifiée et conventionnelle. Dans le cas de neutralité ordinaire, l'État neutre est libre de régler ses relations

1 ARENDT, Essai sur la neutralité de la Belgique, p. 87-95.

ou

commerciales avec d'autres États d'après le point de vue de ses intérêts nationaux, pourvu que cette liberté ne soit pas exercée de manière à affecter cette impartialité que le neutre est obligé d'observer envers les puissances belligérantes respectives. Vattel établit que l'impartialité qu'une nation neutre est obligée d'observer se rapporte seulement à la guerre. «Dans tout ce qui ne regarde pas la guerre une nation neutre et impartiale ne refusera point à l'un des partis, à raison de sa querelle présente, ce qu'elle accorde à l'autre. Ceci ne lui ôte point la liberté dans ses négociations, dans ses liaisons d'amitié, et dans son commerce, de se diriger sur le plus grand bien de l'État. Quand cette raison l'engage à des préférences, pour des choses dont chacun dispose librement, elle ne fait qu'user de son droit. Il n'y a point là de partialité. Mais si elle refusait quelqu'une de ces choses-là à l'un des partis, uniquement parce qu'il fait la guerre à l'autre, et pour favoriser celuici, elle ne garderait plus une exacte neutralité 1. »

Ces principes généraux doivent être modifiés dans leur application à un État perpétuellement neutre. La liberté de régler ses relations commerciales avec d'autres États étrangers d'après le point de vue de ses intérêts nationaux, liberté qui est un attribut essentiel de l'indépendance nationale, n'autorise pas l'État perpétuellement neutre à contracter des obligations en temps de paix incompatibles avec ses devoirs particuliers en temps de guerre.

§ 5.

modifiée

par une alliance

limitée avec

une des

Le neutralité peut aussi être modifiée par des engage Neutralité ments antécédents au moyen desquels le neutre est lié à l'une des parties en guerre. Ainsi le neutre peut être obligé par traité antérieur à la guerre de fournir à l'une des parties belligérantes un secours limité d'argent, de troupes, de vaisseaux ou de munitions de guerre, ou d'ouvrir ses ports aux vaisseaux de guerre de son allié avec leurs prises.

1 VATTEL, Droit des gens, liv. III, chap. vII, § 104.

parties belligérantes,

$ 6. Neutralité modifiée

naissant de

L'accomplissement d'une pareille obligation ne détruit pas sa neutralité, et ne le rend pas l'ennemi de l'autre nation belligérante, parce qu'il ne le rend pas l'associé général de son ennemi 1.

La question de savoir jusqu'à quel point une neutralité ainsi limitée peut être tolérée par la partie belligérante adverse, doit souvent dépendre plus des considérations politiques que du droit strict. Ainsi quand le Danemark, en conséquence d'un traité antérieur d'alliance défensive, fournit des secours limités de vaisseaux et de troupes à l'impératrice Catherine II de Russie, dans la guerre de 1788 contre la Suède, le droit abstrait de la cour danoise de rester neutre, excepté en ce qui regardait les secours stipulés, fut à peine contesté par la Suède et les puissances alliées médiatrices. Mais il résulte évidemment de l'histoire de ces transactions que si la guerre avait continué, la neutralité du Danemark n'aurait pas été tolérée par ces puissances, à moins qu'il n'ait refusé à son allié les secours stipulés par le traité de 1773, ou que la Russie ait consenti à le dispenser de l'accomplissement de ce traité 2.

Un autre cas de neutralité modifiée naît de stipulations de traité antérieur au commencement des hostilités, traité stipulations par lequel le neutre peut être forcé d'admettre dans ses ports les vaisseaux de guerre de l'une des parties bellide guerre gérantes avec leurs prises, tandis que les vaisseaux de de l'une des l'autre peuvent être entièrement exclus ou seulement ad

de traité antérieur

admettant

les vaisseaux

et les prises

parties bel

ligérantes mis sous des limites et des restrictions. Ainsi par le traité

dans

les ports neutres

d'amitié et de commerce de 1778, entre les États-Unis et tandis que la France, celle-ci se réserva deux priviléges spéciaux dans les ports américains: 1° l'admission pour ses corsaires

ceux

VATTEL,

1 BYNKERSHOEK, Quæstionum juris publici lib. I, cap. 11. Droit des gens, liv. III, chap. vi, § 101-105. Pour les principes généraux à appliquer à ces traités, et quand naît le casus fœderis, vide supra partie III, chap. II, § 14 et 15, p. 284. 2 Annual Register, vol. XXX, p. 181 et 182. EGGERS, Leben von Bernstorf. 2. Abtheil., p. 118-195.

State Papers, p. 292.

partie en

avec leurs prises à l'exclusion de ses ennemis; 2o l'ad- de l'autre mission pour ses vaisseaux de guerre publics en cas de sont exclus. pressante nécessité pour faire de l'eau, des vivres, des réparations, etc., mais non à l'exclusion des autres nations en guerre avec elle. D'après ces stipulations, les États-Unis n'étant pas expressément obligés d'exclure les vaisseaux publics des ennemis de la France, accordèrent asile aux vaisseaux anglais et à ceux des autres puissances en guerre avec elle. La Grande-Bretagne et la Hollande se plaignirent cependant des priviléges exclusifs accordés à la France à l'égard de ses corsaires et de leurs prises, tandis que la France elle-même n'était pas satisfaite de l'interprétation du traité par lequel les vaisseaux de guerre de ses ennemis étaient admis dans les ports américains. Aux premières il fut répondu par le gouvernement américain qu'elles jouissaient d'une égalité parfaite, modifiée seulement par l'admission exclusive des corsaires et des prises de la France, résultant d'un traité fait longtemps auparavant pour d'importantes considérations, non pas en vue de circonstances semblables à celles survenues dans la guerre de la révolution française, ni contre une nation en particulier, mais contre toutes les nations en général, et qui pouvait alors être observé sans donner à aucune un juste droit de s'offenser 1.

D'un autre côté le ministre de France prétendait avoir le droit d'armer et d'équiper des vaisseaux pour la guerre, et d'enrôler des hommes, dans le territoire neutre des États-Unis. En examinant cette question d'après le droit des gens et l'usage général de l'humanité entière, le gouvernement américain produisit des preuves des écrivains les plus éclairés et les plus estimés sur ce sujet, qu'une nation neutre doit relativement à la guerre observer une exacte impartialité envers les parties belligérantes;

1 Lettre de M. Jefferson à MM. Hammond et Van Berkel, 9 sept. 1793. WAITE's State Papers, vol. I, p. 169, 172.

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