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temps, la notion du respect va sans cesse s'affaiblissant, les principes d'autorité sont constamment battus en brèche, et que l'on réserve, en politique, une place de moins en moins large aux sentiments et aux idées». On ne peut nier la vérité de ces observations, et force est bien de reconnaître dans ces défaillances les causes vraies de la crise morale » dont souffre actuellement le pays. S'il en est ainsi, les multiples remèdes que nous offrent à l'envie les hommes politiques : revision constitutionnelle, institutions nouvelles imitées de l'étranger, ou institutions anciennes copiées dans notre histoire même, ne sauraient nous guérir; tout au plus, quelquesunes d'entre elles pourraient-elles peut-être faciliter la guérison. La tâche que nous avons devant nous et dans laquelle il nous faut réussir, sous peine de voir la France perdre petit à petit ce qui lui reste encore de son prestige passé est autrement difficile: «< il faudrait arriver à changer les hommes, modifier leur état d'esprit et leur état d'âme ». Tâche lente et ingrate sans doute, mais qui vaut bien la peine d'être tentée.

A. VIALLATE.

Henry Lucien Brun. La condition des Juifs en France depuis 1789; Lyon, Effantin, 1 vol. in-8o, 350 pp.; 1901. Cette étude très complète très nourri de faits et de documents de première main, est, en même temps qu'un travail historique sur un sujet d'un intérêt considérable et peu connu, un commentaire bien fait de la législation spéciale qui régit le culte israéliste. La partie historique y est la plus développée, avec raison, à notre avis, car l'exposé de la législation gagne à n'être pas séparé de l'exposé des circonstances qui l'ont vu naître.

En suivant dans le travail de M. L. B. l'histoire des transformations du peuple d'Israël de 1789 à 1850, on aperçoit nettement comment une inégalité plusieurs fois séculaire a cédé devant l'esprit généreux de la génération de 1789. C'est à la Révolution française en effet qu'est due l'émancipation du peuple juif. L'auteur nous montre d'abord la condition misérable des Juifs sous l'ancien régime, traités en étrangers et soumis à une législation qui les tenait à l'écart du reste de la nation, inspirée par deux principes : l'aversion du peuple chrétien pour le peuple hébreu, et les intérêts du trésor public. Il fait rapidement l'histoire de quelques communautés privées celles de Bordeaux, d'Avignon et de Lorraine. Louis XVI, plus humain que ses prédécesseurs, abolit en 1774 l'impôt du pied fourchu, c'està-dire le péage corporel que les villes percevaient sur leur passage et qui les assimilait aux animaux.

La Constituante se réunit et bientôt le décret des 28 janvier-9 février 1790 marque l'émancipation des Juifs portugais, espagnols et avignonnais en leur donnant les droits de citoyens actifs.

Un des plus curieux chapitres de cette étude est sans contredit celui où M. L. B. nous fait voir comment l'opinion publique avait été préparée à cette émancipation. La Société royale des sciences et arts de Metz en 1785 met au concours cette question: Est-il des moyens de rendre les Juifs

plus utiles et plus heureux en France? Le 25 août 1788 les résultats étaient proclamés. L'un des lauréats était l'abbé Grégoire, curé d'Emberménil. Ce fut lui qui à l'Assemblée constituante devait être le protecteur vigilant du peuple hébreu. « Ministre d'une religion qui regarde tous les hommes comme frères, je réclame en cette circonstance, disait-il à la tribune, l'intervention du pouvoir de l'Assemblée en faveur de ce peuple proscrit et malheureux. » — Grâce à lui, à Mirabeau, à Duport, à Clermont-Tonnerre, le 13 novembre 1791, le bénéfice du décret du 28 janvier est étendu à tous les Juifs du royaume. Ils ont tous également les droits de citoyen.

Mais la vieille séparation n'a pas complètement disparue entre juifs et chrétiens. Napoléon va se charger de l'œuvre d'assimilation, que les siècles avaient rendue plus difficile. Il convoque, le 30 mai 1806, l'assemblée des notables israélistes et le 9 février 1807 le grand Sanhedrin, « ce corps tombé avec le temple et qui va reparaître pour éclairer par tout le monde le peuple qu'il gouvernait ». Composé de 71 membres, 1/3 de laïques, 2/9 de rabbins, il tint 8 séances et adopta des décisions doctrinales interdisant la polygamie, le divorce non précédé d'un jugement civil, prescrivant l'obligation du mariage civil avant le mariage religieux, la fraternité, l'observation des devoirs civiques, interdisant le prêt à intérêt et à plus forte raison l'usure.

C'est à la suite de ces réunions solennelles que les décrets du 17 mars 1808 furent rendus pour l'organisation du culte mosaïque. M. L. B. étudie ici avec précision les attributions des Consistoires et des ministres du culte. Il nous montre ensuite le gouvernement de Juillet complétant l'œuvre commencée d'assimilation du culte israélite aux autres cultes par la loi de 1831 qui en met la dotation à la charge de l'État, et par l'ordonnance de 1844 qui, comblant les lacunes du décret de 1808, constitue le véritable code du culte israélite.

M. A.

Eugène d'Eichthal.

Socialisme, communisme et collectivisme (aperçu de l'histoire et des doctrines jusqu'à nos jours). Deuxième édition, revue et augmentée. Guillaumin et Cie, 1 vol. in-16, 327 pp., 1901. Cet ouvrage, qui est une seconde édition, mais remaniée et fort augmentée, d'un petit volume paru il y a dix ans déjà et aujourd'hui épuisé, n'a pas la prétention d'être une histoire détaillée du socialisme. L'auteur, ainsi qu'il le dit dans sa courte préface, s'est simplement proposé d'indiquerdans un tableau résumé la genèse et l'enchainement des idées principales et comme centrales du communisme, puis du socialisme». La clarté et la simplicité sont les qualités indispensables pour réaliser une entreprise de ce genre M. d'Eichthal les possède toutes deux à un degré rare. Au communisme et aux théories des écoles socialistes de 1830 et de 1848, l'auteur n'a donné, avec raison, que peu de pages. Il avait surtout hâte d'arriver à l'exposé des doctrines collectivistes contemporaines. Les chapitres consacrés au collectivisme industriel et au collectivisme agraire sont fort inté

ressants. L'analyse des théories de Lassalle et de Karl Marx, et de Henry George, débarrassées des superfluités dont les auteurs, et leurs disciples plus encore, les ont comme à plaisir surchargées, est d'une très grande netteté, et la critique qui suit met bien en lumière les sophismes qu'elles abritent et les impossibilités auxquelles se heurterait fatalement leur mise en pratique, ou les injustices nouvelles, plus grandes encore que celles existantes sous le régime actuel, qui seraient la conséquence de leur application. Les deux derniers chapitres, qui ont pour objet les programmes collectivistes et le socialisme bâtard, purement opportuniste, des candidats députés et conseillers municipaux, que M. d'Eichthal a baptisé du titre de socialisme politique et électoral ne sont pas moins intéressants. M. d'Eichthal n'a pas plus de sympathie pour le socialisme d'État que pour le socialisme tout court, et il est convaincu que la liberté doit être avant tout et à tout prix sauvegardée par ceux qui ont à cœur l'avenir des collectivités humaines. Il ne faudrait pas conclure qu'il croie inutile de tenir compte des idées et des sentiments qui ont donné naissance au socialisme et lui ont permis de s'assurer une prise sérieuse sur une partie de plus en plus grande de la population, à mesure que se répandait l'instruction. « Il y a, dans toute conception socialiste, comme il le dit très bien, — une vibration profonde de la solidarité humaine or, à mesure que la civilisation se développe, la connexion des intérêts et des existences morales et physiques des hommes se révèle plus étroite et s'impose avec plus de puissance..., la solidarité est devenue un dogme, parfois mal défini, mais qui s'impose aux cœurs et aux aspirations... » C'est au nom de la solidarité qu'on fait appel à l'État pour intervenir dans la lutte économique et remédier aux maux nombreux dont on accuse souvent la liberté d'être la cause. Ce remède est suspect à M. d'Eichthal et il lui paraît plus dangereux encore pour les sociétés démocratiques que pour les autres. On ne peut nier cependant la force du courant qui porte de plus en plus ces sociétés à réclamer l'intervention toujours plus grande de l'État. Peut-on quelque chose contre ce mouvement? M. d'Eichthal le pense, et il croit que « le moyen le plus sûr de retenir les sociétés sur la pente du régime autoritaire à tendances communistes qui les menace, est le développement rapide et actif des associations dues à l'initiative des citoyens ». A. V.

Pierre du Maroussem.

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Les Enquêtes. Théorie et Pratique. Félix Alcan, 1 vol. petit in-8°, 1900. Ceux à qui les doctrines importent peu et qui préfèrent à de longues et pâteuses dissertations philosophiques l'exposé des méthodes et des moyens de travail sauront gré à M. du M. de nous avoir dévoilé la structure intime des enquêtes savantes exposées par lui dans quelques cours libres de la Faculté de Droit.

Ainsi qu'il le fait remarquer, les écoles même déductives sont aujourd'hui obligées de s'incliner devant l'expérience, et c'est une des caractéristiques de l'École monographique française d'être surtout une école d'observateurs. Accumuler le plus grand nombre de faits sur la plus vaste surface possible est le premier devoir de l'enquêteur. » Deux procédés permettent d'arriver à cette amplitude d'accumulation: La statistique et l'enquête

qui sont inséparables. C'est pourquoi M. du M. déclare en tête de son livre que l'enquête monographique telle qu'il la comprend diffère profondément de la monographie de Le Play. Celle-ci, en effet, présente les deux graves défauts d'être insuffisante pour déterminer les petites surfaces composées de familles analogues, et de fonctionner à faux au point de vue du type. La famille prospère n'est pas un échantillon, c'est un bon exemple, par suite une exception ». Néanmoins l'auteur conserve à la statistique et à l'enquête réunies le nom d'enquête monographique parce que les trois éléments primordiaux de l'idée monographique se retrouvent pleinement dans son procédé : unité d'objet, objet concret, réduction des échantillons à l'ensemble en cas de pluralité des sous-groupes.

Le livre de M. du M. se divise en quatre parties. Dans la première Points de repère et points de vue », il se livre rapidement à quelques considérations générales sur les méthodes qu'il prétend employer et dont nous venons de résumer les principales. Dans la seconde, « la cité moderne (non pas celle de M. Izoulet) il considère la cité envisagée comme unité et les sous-groupes dont elle se compose le métier, le marché, l'organisation d'intérêt général.

En ce qui concerne le métier, il prend pour exemple la ville du meuble, le faubourg Saint-Antoine, et il l'étudie sous toutes ses faces. Le cadre d'un grand atelier de couture de la rue de la Paix lui fournit d'autres points de comparaison; celui de la famille d'un piqueur de la mine aux mineurs de Monthieux lui donne l'occasion d'opposer d'une manière concrète sa méthode raccourcie et modernisée à celle de Le Play trop compliquée et peu rapide.

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La troisième partie est consacrée à la région rurale : ce sont les mêmes subdivisions monographie de pays, le marché, l'organisation d'intérêt général, et la même méthode : enquête bibliographique, enquête monographique atéliers et familles. Comme monographie d'atelier rural l'auteur décrit une grande ferme du Soissonnais, une de ces belles et prospères exploitations de la France du nord où les fermiers sont plus riches que bien des châtelains de certaines contrées à l'autre extrémité; une famille de fermiers montagnards du Haut Forez.

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La quatrième partie sous ce titre un peu ambitieux : la formation empirique de l'esprit », est pour M. du M. l'occasion d'enseigner à ses lecteurs la défiance du livre. Le livre c'est l'abstraction économique. Rien ne remplace pour la formation de l'esprit le contact immédiat des choses. Qu'estce que le livre le plus puissant et le plus sincère? Une reproduction déformée qui s'intercale entre nous et le réel. L'auteur nous montre comment une question économique devient concrète et comment le point de vue concret doit être maintenu au cours de l'étude d'une question. Le conseil est bon et peut être médité avec fruit par ceux dont l'esprit se plie difficilement à cette dure discipline, qui consiste à regarder les choses comme elles sont et non comme nous souhaiterions qu'elles fussent; il ne faudrait pas cependant l'exagérer, et c'est parfois le défaut des enquêteurs de dédaigner un peu trop les livres écrits avant eux sur le sujet qu'ils étudient. ROBERT SAVARY.

Paul Louis. Histoire du Socialisme en France. Éditions de la Revue blanche, 313 pp., Paris, 1901.- L'ouvrage de M. Paul Louis, très condensé et très nourri, prend le socialisme français au XVIIIe siècle, et le mène jusqu'à nos jours : la Révolution de 1789 lui apparait avant tout comme un phénomène économique et social, et il met en lumière, une fois de plus, l'importance de la vente à vil prix des biens nationaux qui a consacré ce que Michelet appelait, d'une manière si saisissante, le mariage du paysan avec la terre. Au cours de ce siècle, l'histoire de la classe ouvrière française lui semble comporter trois grandes dates: 1831, 1848, 1871. Toutefois le socialisme de 1848 reste, à ses yeux, comme une gigantesque et touchante plainte contre les abus et les iniquités; il n'avait pas encore réussi à systématiser ses aspirations, à sortir de la phraséologie pure pour se faire réaliste. Son organisation est de date plus récente, mais, d'une façon générale, l'une des causes profondes du mouvement socialiste serait, d'après M. Paul Louis, dans ce fait que la bourgeoisie a oublié son origine et essayé de renouer la chaîne des temps, d'effacer la tache de sa naissance et de se faire traditionnelle, héritière de la légitimité d'antan. Ce n'est pas ici le lieu de discuter les opinions de M. Paul Louis; il suffit de constater que son livre, très documenté, écrit dans un style nerveux, plein de vues hardies et personnelles, est un livre qui fait penser.

GASTON SALAUN.

Georges Villain.

Le fer, la houille et la métallurgie à la fin du XIXe siècle. Librairie A. Colin, 1 vol. in-16, 342 p., 1901. — L'industrie métallurgique est à coup sûr une des plus importantes du monde moderne, et une de celles qui voient leur champ d'activité grandir de jour en jour. L'usage du fer et de l'acier s'est développé d'une manière extraordinaire depuis un demi-siècle, et, cependant, malgré l'accroissement de la demande, grâce aux perfectionnements nombreux des procédés de production, leur prix est allé constamment en s'abaissant, sauf pendant des périodes de courte durée. Mais ces perfectionnements mêmes apportés à la fabrication, en amenant une concentration de plus en plus grande de l'industrie, a eu pour effet de provoquer de la part des producteurs des tentatives de relèvement des prix. Cette question des comptoirs et syndicats de vente, qui fournit une étude particulièrement intéressante à l'économiste, est la partie principale de l'ouvrage de M. Villain, résultat d'une enquête sur l'industrie métallurgique, faite pendant les années 1899 et 1900. Il a fort bien analysé les causes qui ont amené la formation de ces syndicats de producteurs en Allemagne et en France, et il explique très bien leur fonctionnement, et aussi leurs nombreuses et graves défectuosités. Les chapitres relatifs à l'usine du Creusot offrent aussi un véritable intérêt, ainsi que les quelques pages trop peu nombreuses consacrées au grand trust de l'acier qui vient d'être inauguré récemment aux États-Unis.

V. A.

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