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MENIPE. Quoy! c'eft pour cela que toute la Gréce s'embarqua fur mille Navires, & que tant de braves gens périrent, & tant de Villes furent ruïnées ?

MERCURE. C'eft que tu ne l'as pas veuë en fa beauté; car je fuis feur que tu n'aurois pas craint d'endurer mille travaux pour cette Belle, comme dit le Poëte. Ne vois-tu pas que les fleurs quand elles font paffées, n'ont plus rien de beau; & lors qu'elles font en leur luftre, tout le monde les admire?

MENIPE. C'est ce qui m'eftonne, Mercure, que tant d'honneftes gens ne fe foient pas apperceus qu'ils entreprenoient de fi grands travaux pour une chofe de fi peu de durée.

MERCURE. Je n'ay pas le loifir de philofopher, Menipe. Choifis un lieu commode pour ta demeure, tandis que j'iray faire paffer le refte des ombres.

Tome I.

T

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D'EAQUE, DE PROTESILAS, DE MENELAUS, ET DE PARIS.

EAQUE. Pourquoy eft-ce, Protefilas,

que tu te jettes fur Heléne,

& que tu l'étrangles!

PROTESILA S. Parce qu'elle eft cause de ma mort, & de ce que ma femme est demeurée veuve, & ma maison imparfaite.

EA QUE. Il s'en faut prendre à Menelaus,qui t'a mené à la guerre de Troye, où tu es mort.

PROTESILAS. Tu as raifon; c'est à toy que j'en veux, miferable.

MENELAUS. Ce n'eft pas encore à moy qu'il s'en faut prendre,mais à Pâris, qui contre tout droit d'hofpitalité m'eft venu enlever ma femme, & mériteroit d'eftre mal-traité, non feule ment par les Grecs, mais par tous ceux qui font morts au Siége de Troye.

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PROTESILA S. Vien donc, malheureux, que je t'étrangle, puifque tu es caufe de la mort de tant de gens; ne m'échapperas point.

Tu

PARIS. Tu as tort, Protefilas, de traiter fi mal un amoureux comme toy, & l'esclave d'un mefme Dieu. Ne fçaistu pas que c'eft luy qui nous force d'aimer, & qui fait de nous ce qui luy plaist?

PROTESILA S. Il eft vray que ce petit Dieu d'amour eft caufe de tout le mal.

EAQUE. Mais on le pourroit excuser auffi, en difant, qu'il n'y a que toy proprement qui fois caufe de ta mort; puis qu'oubliant ta Maistreffe, que tu ne faifois que d'époufer, tu t'allas jetter devant tous les autres pour acquerir de la gloire, & fus le premier tué à la descente du Navire.

PROTESILA s. J'aurois bien plus de fujet de m'en prendre aux Dieux, & d'accufer le deftin qui l'avoit ainfi ordonné,

EA QUE. Prens-t'en donc à eux, & Jaiffe ceux-cy en repos après leur mort.

DIALOGUE

DE MENIPE ET D'E AQU E.
Où plufieurs autres parlent.

MENIPE.

J

E te conjure par le Dieu des Enfers, de me montrer

tout ce qu'on peut voir icy,

EAQUE. Il feroit difficile de te montrer tout; mais voicy le principal: Cerbére, Caron, Phlégéton, & le Marais que tu as paffé,

MENIPE. Je fçay tout cela, & que tu es le portier des Enfers. J'ay veu mefine Pluton & les Furies; mais montre-moy ces illuftres Morts dont on parle tant.

EAQUE. Voilà Agamemnon, Achille, Dioméde, Ulyffe, Ajax, Idomenée, & les autres Princes Grecs.

MENIPE. Grands Dieux, Homere! en quel eftat font les Heros de tes Rapfodies, fans aucune forme ny beauté qui les puiffe faire reconnoiftre? En un mot, rien que cendre & que pouffiere, Mais qui eft celuy-cy, Eaque ?

EAQUE. C'eft Cyrus & Créfus enfuite, puis Sardanapale; & plus loin, Midas & Xerxes.

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MENIPE. C'est donc toy, ble, qui as percé le Mont Athos, & enchaifné l'Hellefpont, & quias fait trembler toute la Gréce! Eft-ce là Créfus ? Dieux ! comme il eft fait ! & Sardanapale! Je te prie que je lui donne un coup de poing.

EAQUE. Tout beau; tu luy romprois la tefte, qu'il a extrêmement délicate, à caufe que ce n'eftoit qu'un effeminé. Mais veux-tu que je te montre auffi les Philofophes.

MENIPE. Je le veux.

EAQUE. Tien, voilà Pythagore. MENI PE. Bon-jour, Euphorbe Apollon, & tout ce qu'il te plaira. PYTHAGORE. Bon jour, Menipe. MENIPE. N'as-tu plus ta cuiffe

d'or?

PYTHAGORE. Non; mais que je voye s'il n'y a rien à manger dans ta Beface.

MENIPE. Il n'y a que des féves mon amy, qui n'eft pas un manger pour

toy.

PYTHAGORE. Donne, donne, în a d'autres fentimens en l'autre monde, & je ne m'aperçois point de ce que j'y remarquois là-haut.

EAQUE. Voilà Solon, Thalés, Pitta

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