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Nous allions oublier un trait dans le tableau que nous venons d'esquisser à la hâte. Nos deux dernières Assemblées, il faut le reconnaître, ont dépassé leurs devancières sous un rapport: nous entendons parler ici de cet échange perpétuel d'injures d'un banc à l'autre, de ces grossiers outrages, de ces poings furieux et crispés, de toutes ces scènes de pugilat dont nos législateurs ont donné si souvent le désolant spectacle, et qui faisaient ressembler le temple de la loi à une halle ou à un cabaret où se querellent des hommes ivres.

Oui, il faut le dire bien haut, car le moment de la vérité est venu. Les deux dernières Assemblées délibérantes, comme celles qui les ont précédées, n'ont pas eu de plus grands ennemis qu'elles-mêmes; elles ont compromis le système parlementaire, elles ont tout discrédité, jusqu'au droit d'interpellation, dont elles ont fait un si vain et si fréquent usage; jusqu'au droit d'initiative, qui n'a servi qu'à faire défiler journellement à la tribune les propositions les plus indigestes, les théories les plus extravagantes.

Dans cet état de choses, est-il donc étonnant que l'opinion ne se soit pas émue de la chute de l'Assemblée législative? c'est le contraire qui nous aurait surpris. Maintenant, pouvait-elle, devaitelle s'émouvoir davantage du silence imposé à la presse et à la Constitution?

La presse, ce quatrième pouvoir dans l'Etat, comme on l'a appelée, qui pouvait faire tant de bien et qui a déjà fait tant de mal! qui n'a jamais rien su édifier et n'a amoncelé que des ruines! qui aurait pu être le flambeau qui éclairé, et n'a été dans quelques mains que la torche qui dévore et qui brûle! la presse, outil de calomnie et de dénigrement systématiques!

Mais la Constitution, dira-t-on, la loi fondamentale!

La Constitution! belle Constitution en effet que cette loi républicaine qui dit à l'électeur: « Tu « n'auras pas le droit d'accorder deux fois de « suite ta confiance au même homme. Cet homme « aura beau avoir bien gouverné, bien rempli • ton premier mandat, tu n'auras pas le droit ⚫ de le récompenser ; je te condamne à en nom<< mer un autre. » Belle Constitution, que celle qui exige les trois quarts des suffrages des membres de l'Assemblée Nationale pour que la loi fondamentale puisse être révisée, plaçant ainsi la majorité sous le joug de la minorité! Belle Constitution, que celle qui refuse au pouvoir exécutif toute part dans la puissance législative! qui crée une Assemblée unique, sans contre-poids et sans contrôle, et met ainsi aux prises, d'un côté un corps si puissant, de l'autre un Président issu de cette force immense qui s'appelle le vote universel! - Evidemment il ne pouvait sortir de là que

des

tempêtes, et c'est ce qui aurait eu lieu si l'énergique prévoyance du 2 décembre n'y eût pourvu.

Si nous ne nous trompons, nous venons d'expliquer les vrais motifs pour lesquels la France a laissé mourir sans regret l'ancienne presse démagogique, la Constitution, et l'Assemblée. Toutes avaient fatigué le pays, à force de vouloir le passionner contre un homme; c'est là ce que ne voyaient pas les chefs des factions parlementaires, et ce qui n'a pas échappé à la haute sagacité de l'homme qui nous gouverne.

Mais est-ce à dire qu'il ne faille plus désormais ni presse indépendante, ni corps législatif, et que la France soit prête à accepter une dictature sans frein et sans limites? Loin de nous une telle pensée: l'élu des 10 et 20 décembre prépare, avec une sage lenteur, une Charte nouvelle mieux appropriée aux instincts et aux besoins de la France; la presse périodique y trouvera sa place, non plus celle que nous avons connue, mais une autre qui donnera au moins des garanties, qui sera mieux réglée, mieux contenue. Quant à l'élément législatif, nous savons déjà que nous en aurons un: il sera double, et nous aurons deux Assemblées qui pourront se faire contre-poids l'une à l'autre, au lieu d'une Assemblée omnipotente. Toutes deux seront ramenées à leur vraie mission, mission d'ordre, de paix,

de travail sérieux et productif; leur rôle ne sera pas de harceler sans cesse le pouvoir par des taquineries mesquines; le calme succèdera enfin à ces fiévreuses émotions qui paralysaient le commerce et tuaient l'industrie, à cet état inflammatoire et chronique dans lequel des esprits prévenus ne voyaient que les signes de la vie nationale, et qui était peut-être un symptôme de mort prochaine. Les passions politiques s'apaiseront, se tairont peut-être tout-à-fait. Hélas! cela serait que nous n'aurions pas, nous, le courage de nous en plaindre: elles ont fait tant de bruit, que le silence serait sans doute, pour nous un bien, pour elles une juste expiation.

Il est possible que l'organisation nouvelle préparée par Louis-Napoléon soit imparfaite. Quelle est la chose de ce monde qui ne l'est pas ? Mais, en tous cas, elle ne portera pas dans son sein les principes délétères, les deux grands dissolvants qui, depuis vingt années, ont lentement miné d'abord, et fait périr ensuite tous les gouvernements. D'ailleurs, si l'édifice n'est pas irréprochable, qui donc empêchera l'architecte d'en corriger les vices? Celui qui aura fait aura bien le droit d'améliorer; et, en ce cas, nous en sommes certain, ce n'est pas la bonne volonté qui ferait défaut à Napoléon. Ce n'est pas lui qui reculerait devant des réformes jugées indispensables par le pays. Il n'y a que les gouvernements faibles qui refusent de

se modifier, et le gouvernement du 20 décembre sera fort.

Nous disons qu'il sera fort: en effet, il n'aura pas seulement pour lui la force matérielle, mais il s'appuiera sur la force morale qui lui vient de la grande manifestation du mois dernier, force morale que que n'ont eue ni Louis-Philippe, ni la royauté dite légitime. Il est des gens qui, pour amoindrir la portée de l'élection du Prince-Président, vont répétant partout que la France l'a pris à titre de pis-aller, ne pouvant pas en prendre un autre. C'est mal juger les choses, selon nous. Non, ce n'est pas comme nécessité de circonstance que la France a choisi Louis-Napoléon; c'est parce qu'elle l'a préféré à tout autre, sans exception; c'est parce qu'il est le seul homme véritablement populaire, le seul au nom duquel s'attache le souvenir de grandes choses faites pour le pays Que venez-vous nous dire sur vos rois légitimes, sur la dynastie de la branche cadette? Qui donc, dans les chaumières et dans les ateliers, connaît Henri IV, François Ier, Louis XIV?— Personne. Tout le monde, au contraire, y connaît l'homme qui éleva la France à une hauteur inouïe jusqu'alors, qui dompta l'anarchie, et mit l'Europe à nos pieds; l'homme qui sut si bien récompenser les services rendus et découvrir le mérite partout où il était; l'homme qui prenait les fils de bourgeois pour en faire des maréchaux,

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