Page images
PDF
EPUB

France un seul homme qui aurait pu porter sur ses épaules ce terrible fardeau? Car enfin, au Gouvernement il ne suffit pas de la force matérielle; il faut surtout de la force morale, un nom qui ait autorité sur les masses, qui leur impose, un nom que tout le monde puisse accepter, qui commande l'obéissance universelle, qui déconcerte toute rivalité, défie, du haut de sa gloire, toute ambition. Cherchez ce nom autour de vous, dans la société, cherchez-le où vous voudrez, parmi nos géné– raux, parmi nos magistrats, parmi nos hommes politiques, vous ne le trouverez nulle part; vous ne trouverez que des hommes qui tous ont des égaux, sinon des supérieurs; qui tous, dès lors, auraient fait des jaloux, et n'auraient rencontré ni facile obéissance chez les uns, ni confiance chez les autres.

Reconnaissons-le donc franchement, le dévouement auquel vient d'aboutir la situation où nous étions placés, est le plus heureux que l'on pût espérer.

Quant à nous, nous croyons à un bel avenir pour nos concitoyens. A la hauteur où le voilà placé, nous ne craignons pas que Louis-Napoléon s'enivre de son succès, et que, comme tant d'autres, le vertige le prenne. Cœur ferme et esprit calme, il conservera son sang-froid; il comprendra que plus la France l'a grandi par ses choix répétés, plus elle a droit d'attendre de sa recon

naissance. Il est démocrate, dans la bonne acception du mot; il a écrit des ouvrages qui respirent l'amour pour le peuple français. S'il a pu changer de pensée sur les moyens nécessaires pour atteindre le but, son but, du moins, est demeuré le même, la gloire, le bonheur du pays, et, dans la mesure du possible, l'amélioration du sort des classes laborieuses. Il a déjà rendu un décret dans ce sens, le décret sur l'établissement de bains et de lavoirs publics. Il ne s'arrêtera pas en chemin. L'humanité est un homme qui marche, marche et marche toujours: il en est de même pour les Gouvernements. Il ne leur est pas permis de se croiser les bras et de se reposer. Le 20 décembre, le neveu de l'Empereur, après bien des orages, est entré dans le port; mais ce n'est pas pour y rester, c'est, au contraire, pour s'élancer de là, plus ardent que jamais, à la découverte des horizons nouveaux, des mondes inconnus, des réformes praticables à faire, des progrès à réaliser. Que ne peut-on pas accomplir avec la force qu'il vient de recevoir? Archimède, quand il eut trouvé son levier, s'écria: Donnez-moi un point d'appui, et « je soulèverai le monde!» Louis-Napoléon possède son point d'appui, c'est le suffrage universel. C'est à lui maintenant à trouver le levier, et il fera des prodiges.

Les considérations qui précèdent nous amènent à dire un mot du livre auquel elles servent

de préface. L'histoire de Louis-Napoléon n'a pas été encore faite; on n'a écrit sur lui que des biographies incomplètes, dont les unes s'arrêtent en 1848, les autres à des dates antérieures; et encore, parmi ces brochures, il s'en trouve plus d'une où les faits ont été travestis, les intentions dénaturées, l'homme calomnié. Nous avons cru rendre service à nos concitoyens en leur donnant une histoire complète, vraie, fidèle, de la vie d'un homme que tous sont intéressés à connaître sous son vrai jour.

Paris, 10 janvier 1852.

NOTA.

Cette préface, comme on le voit, a été écrite avant la promulgation de la nouvelle Constitution, qui, du reste, a justifié presqué toutes nos conjectures.

DE

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

CHAPITRE PREMIER.

SOMMAIRE.-Portrait de Louis-Napoléon.-Son enfance.-Vive amitié que l'Empereur lui témoignait.-Exil, séjour en Suisse.-Son éducation, sa jeunesse.-Traits de courage et de bonté.-Napoléon en Italie en 1830.-Mort de son frère aîné.-Dangers qu'il court luimême.-Voyage en France, son séjour à Paris avec sa mère en 1831. -Départ pour l'Angleterre.—Retour en Suisse. - Offre des chefs de l'insurrection polonaise. - Les trois premiers ouvrages du Prince.Mort du roi de Rome, son cousin. - Lettres du Prince.- Louis-Napoléon refuse le trône de Portugal.-Nouvelles lettres.-Nouveaux écrits du Prince.-Lettre de la reine Hortense, sa mère.-Prédiction d'une somnambule.

C'est une vie d'épreuves et de combats, une vie riche d'émotions, pleine de péripéties variées, que nous entreprenons d'écrire. Exil, captivité, dangers de toutes sortes, telle a été la route par où Louis-Napoléon est parvenu au gouvernement de la France. Son oncle commença par les Tuileries, d'où il partit pour Sainte-Hélène; il a commencé, lui, par le château de Ham, pour finir par les Tuileries. Jeux étonnants de la fortune! Pendant vingt ans passés il a lutté, souffert; mais

dans l'adversité, dans ces moments où les natures les mieux trempées s'affaissent et désespèrent de leur sort, il n'a jamais du moins vu son courage l'abondonner, sa confiance défaillir; c'est qu'il portait dans l'âme ces deux puissants mobiles, la foi et l'admiration; admiration pour son oncle, et foi en son pays. C'est qu'il avait toujours devant les yeux un grand modèle à suivre, modèle de dévouement patriotique comme de gloire et de génie; c'est qu'il aimait la France en fils passionné, et qu'il savait que la France n'attendait, elle aussi, qu'un moment favorable pour lui prouver qu'elle l'aimait en mère; c'est enfin qu'il sentait qu'il était seul l'homme de l'avenir, l'instrument de la providence prédestiné à l'accomplissement d'une œuvre glorieusement commencée par l'Empereur, mais depuis lors fatalement interrompue.

Cœur fidèle à toutes ses amitiés, regard d'homme d'état pénétrant et profond, intelligence rare des besoins de son siècle, esprit indépendant qui repousse toutes les dominations et a su s'affranchir de la tutelle de tous les partis exclusifs, vie recueillie, austère et studieuse dans tous les temps, ardeur peut-être un peu impatiente dans la jeunesse, et puis dans la maturité, grâce à l'adversité dont les leçons ne sont jamais perdues pour les âmes d'élite, énergie contenue qui, sous des dehors mélancoliques, trompa les esprits

« PreviousContinue »