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sultat par des voies régulières. Ce qui le prouve, c'est qu'il a fait, pour atteindre ce but, bien des efforts et bien des concessions; mais tout était demeuré inutile. S'il a pris alors son parti; s'il s'est écrié à la fin: salus populi suprema lex esto, à qui la faute, sinon aux auteurs d'une Constitution insensée, et aux partis qui invoquaient le texte de cette même Constitution qu'ils avaient si souvent et si justement bafouée ?

Au reste, nous verrons tout-à-l'heure ce qui serait advenu si un scrupule exagéré eût retenu Louis-Napoléon sur la rive du Rubicon, qu'il a si hardiment et si heureusement franchi: nous verrons ce que renfermait de malheurs pour nous tous l'exécution littérale de cette Constitution.

Il est vrai qu'il ressort de tout ceci un grave enseignement: la France n'a tenu aucun compte ni de la loi fondamentale, ni de l'ex-Assemblée Nationale, ni de la presse de l'opposition; hélas! MM. de l'Assemblée, de la presse, MM. les pères de la loi fondamentale, n'accusez que vous-mêmes de cette dédaigneuse insouciance, car vous êtes les seuls coupables.

Voyons d'abord pour l'Assemblée, ou plutôt pour les Assemblées parlementaires qui se sont succédé en France, depuis 1830 notammment; car les mêmes abus se sont perpétués dans toutes, et ont à la longue fini par produire la juste impopularité qui vient de se manifester contre les

corps politiques délibérants, tels qu'ils fonctionnent depuis vingt ans.

D'abord, et en ce qui concerne les Chambres de la monarchie de Juillet, il n'est pas étonnant qu'elles se soient peu préoccupées des intérêts du peuple; elles n'émanaient pas de lui, mais d'une oligarchie censitaire, d'un corps d'électeurs privilégiés. Aussi, qu'y faisait-on, dans le sein de ces Assemblées? Sauf quelques lois comme celles sur les caisses d'épargne, sur les chemins de fer, dont tout l'honneur revient au gouvernement d'alors qui en prit l'initiative, où sont les lois utiles, les mesures vraiment fécondes que ces Assemblées ont votées? Le temps se perdait en débats oiseux et stériles; tous les ans on y dépensait des mois entiers à préparer ou bien à discuter le même projet d'adresse en réponse au même discours du trône. Ajoutez à cela (nous n'avons pas besoin de dire que nous parlons ici des hommes en général, de personne en particulier), ajoutez à cela, ce qui est pis, l'âpre égoïsme de presque tous ces hommes, qui ne semblaient envoyés dans les Chambres que pour s'y occuper d'eux-mêmes et de leurs électeurs; la violence d'une opposition prenant les faits les plus futiles pour texte aux accusations les plus acerbes, et avilissant le principe d'autorité aux yeux de l'opinion publique, par les excès de ses attaques; les coalitions immorales formées entre des partis différents et

hostiles les uns aux autres, pour renverser nn ministère qui gênait toutes les ambitions; ajoutez encore le scandale de ces guerres de portefeuilles, qui allaient jusqu'à faire rejeter les lois les meilleures, par cela seul que c'était le pouvoir qui les présentait, et qu'il fallait à tout prix faire tomber du pouvoir ses rivaux pour se mettre à leur place. Kappelez-vous encore celui-ci montant à la tribune et flétrissant, avec une éloquence indignée, la politique extérieure du ministère, puis, et bientôt après, prenant à son tour le pouvoir et y faisant exactement la même chose que son prédécesseur; jouant le même air, pour nous servir du langage de l'époque, mais avec la prétention souvent fort peu fondée de le jouer mieux. Rappelez-vous enfin celui-là (1), peu content d'attaquer tous les jours, par lui et par les siens, la conduite des ministres responsables, visant plus haut, et dénonçant un jour, dans son dévouement monarchique, ce qu'il nommait le gouvernement personnel, découvrant ainsi la couronne, et livrant l'inviolabilité royale aux discussions et à la haine des partis. Souvenez-vous de tout cela, et vous aurez le triste et fidèle bilan des Assemblées parlementaires depuis Juillet jusqu'à la révolution de Février.

A partir de Février, les choses changent-elles? Ici, au moins, les Assemblées commencent à sortir de leur source légitime, le peuple. Ce fut là

(1) M. Thiers.

le seul bienfait de cette révolution, qui, en déchaînant sur le monde les utopies les plus folles, plaça au moins à côté d'elles le vote universel qu'elle chargea de les apprécier, de distinguer en elles le bon grain de l'ivraie, l'or pur du cuivre et du clinquant. Mais les deux Assemblées issues du suffrage de tous ont-elles bien fidèlement représenté ce peuple, des entrailles duquel elles étaient sorties? Se sont-elles préoccupées plus que leurs devancières des intérêts publics?

Non, l'intérêt national y a été encore sacrifié aux intérêts des coteries, aux mesquines intrigues, aux calculs des ambitions et des convenances personnelles. Voyez d'abord l'Assemblée Constituante. Grande à son origine dans sa lutte avec la démagogie, elle se rapetisse, s'abaisse à ses derniers moments, par son opposition acharnée à l'élection du futur Président de la République. Elle arbore la bannière d'un autre candidat; et puis, quand la France condamne hautement ces préférences par le choix spontané de LouisNapoléon, cette Assemblée refuse de comprendre son arrêt, refuse de se dissoudre en face d'un pouvoir exécutif nommé en dépit d'elle, et marchande avec lui les quelques jours qui lui restent à vivre! Voyez maintenant l'Assemblée Nationale. En 1850, sous la pression de circonstances graves, elle vote la loi du 31 mai; elle ne tarde pas à acquérir la conviction que cette loi

chasse des comices le tiers des anciens électeurs, que c'est dès lors une œuvre de malheur, une loi de guerre civile réprouvée par l'opinion publique; alors Louis-Napoléon, voulant l'associer à un acte réparateur et de bonne justice, propose à l'Assemblée d'abroger cette loi. Mais l'Assemblée répond par un refus au projet du Gouvernement. Et pourquoi ce refus? C'était bien moins, de la part des membres de la majorité, tendresse paternelle pour leur œuvre chérie, que parti pris de repousser tout ce qui pouvait, dans une mesure quelconque, faire honneur ou porter profit au gouvernement.

Ainsi, même opposition systématique aux actes du pouvoir chez les deux Assemblées républicaines et chez les Chambres de la monarchie; outre cela, mêmes coalitions composées d'éléments hétérogènes et destinées à battre en brèche les ministères; même insuffisance d'œuvres utiles, même attention curieuse et avide aux débats personnels, scandaleux, et même indifférence pour les choses sérieuses, les lois pratiques, les lois d'affaires, comme il arrive pour ces hommes qui ont besoin de liqueurs fortes ou de mets énergiquement épicés pour stimuler leur estomac ouleur palais blasé, et qui repoussent les aliments plus simples ou les boissons plus saines; même tapage enfin, et égale stérilité: voilà ce que nous découvrons.

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