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d'oublier l'affaire dont il s'agit, a encore appelé dans deux adresses l'attention du gouvernement sur la Pologne. La première de ces adresses contient entre autres choses ce qui suit :

le

« La France, en sa qualité de partie dans les contrats « européens, a supporté et supporte encore, avec un rare « désintéressement, l'état de possession, si onéreusement « établi à son préjudice. Elle n'a fait aucun effort pour changer; mais, par cela même, elle n'a reconnu et ne << peut reconnaître à aucune puissance le droit de détruire « ou d'altérer sans elle ce qui a été établi avec son cou« cours, ou ce qui existe en vertu d'un consentement antérieur, etc. La chambre des députés a l'assurance que le « gouvernement a protesté contre l'état actuel de la Polo« gne, et qu'il réclamera toujours avec force et persévé<< rance en faveur de cette brave et malheureuse nation. » Enfin la dernière adresse de cette chambre, après avoir fait mention de l'équilibre européen, ajoute positivement : que cet équilibre a été gravement compromis par les atteintes portées à la nationalité polonaise.

Cette fidèle et chronologique exposition prouve :

Que le royaume de Pologne, ainsi que d'autres parties de l'ancienne Pologne soumises à la Russie, se trouvent actuellement dans un état tout différent de celui que leur avait assigné le traité de 1815, acte qui constate les titres des créances dudit royaume envers la France; que cette différence, résultat de la conduite astucieuse et contraire au droit des gens de l'empereur de Russie, n'est appuyée que par les cours d'Autriche et de Prusse, complices de la Russie dans le partage et l'asservissement de la Pologne; que la France et l'Angleterre ayant protesté contre cet état de choses, il n'a pas et ne peut jamais avoir la moindre légalité; qu'en conséquence, et vu la déchéance prononcée dernièrement par la diète polonaise contre l'autocrate, celui-ci ayant cessé d'être roi de Pologne, a perdu le droit de représenter ce pays, et par là même la faculté

de négocier avec la France au sujet de ses créances; que de même les habitans de la Pologne n'étant plus sujets russes, conservent intacts leurs droits aux mêmes créances, et leurs titres primitifs; que la marche des cabinets de Paris et de Londres, suivie jusqu'à ce jour dans les affaires de la Pologne, se trouve conforme aux vœux manifestés par les représentans de la France et de l'Angleterre, d'après l'avis desquels l'état actuel de la Pologne est incom patible avec la sûreté de l'Europe; qu'ainsi le gouvernement français, en entamant aujourd'hui quelques négociations avec la Russie, relativement aux créances du royaume de Pologne, agirait non seulement contre son propre sentiment et contre les droits reconnus de ce dernier pays, mais encore contre le vœu de la nation française et l'intérêt général de l'Europe.

En admettant cependant que le gouvernement russe, en se croyant délié des obligations que lui avait imposées le traité de 1815, voulût fonder ses réclamations sur la possession du royaume de Pologne, et faire valoir à l'appui le projet d'y former de nouvelles troupes, on a déjà prouvé plus haut que, hors du traité de 1815, la Russie n'a aucun droit sur la Pologne: donc la possession physique de ce pays n'a pu lui donner aucun droit, et d'autant moins que les dernières protestations des cabinets de Paris et de Londres, jointes à la déchéance prononcée antérieurement par la diète polonaise, ont enlevé à l'empereur de Russie tous les titres qu'il pouvait avoir par suite du même traité. De là il résulte que la réclamation du cabinet de Pétersbourg ne serait pas mieux basée sur ce dernier motif, que sur les raisons données précédemment.

Quant à la destination des fonds en question, il est à remarquer d'abord que la nature et la propriété de ces fonds ne pouvant être connues avant une liquidation définitive avec la France, tout projet manifesté aujourd'hui à cet égard ne serait nullement admissible.

D'ailleurs la formation de nouvelles troupes en Pologne

ne serait d'aucun intérêt pour ce pays, dans son état actuel, et des ouvertures faites à ce sujet, de la part de la Russie, prouveraient uniquement que le chef de cet état commence à reconnaître lui-même l'injustice qu'il avait commise en supprimant l'armée de la Pologne, ainsi que d'autres marques de la nationalité polonaise.

L'analyse que nous venons de faire nous semble démontrer suffisamment que la justice, la dignité de la France, ainsi que l'intérêt de toute l'Europe, s'opposent à ce que le gouvernement français entre en négociation quelconque avec le gouvernement russe, au sujet des créances polonaises, avant de régler définitivement les affaires de ce pays. Les mêmes raisons s'opposent encore plus fortement à toute convention dont le but serait de réaliser quelque partie de ces créances au profit de la Russie.

La retenue des fonds à provenir desdites créances pourrait même fournir au gouvernement français un moyen de plus pour assurer l'arrangement des affaires de la Pologne. Cette mesure donnerait en même temps quelques garanties aux réfugiés polonais victimes d'aussi grandes spoliations de la part de la Russie.

Au surplus, l'arrangement définitif des affaires de la Pologne pourra mettre ce pays dans une position différente de celle où il se trouvait précédemment vis-à-vis de la Russie. Dans ce cas, le dépositaire de sa propriété en serait responsable et devrait lui en tenir compte d'après les principes de droit et d'équité. Ainsi, les intérêts même de la France exigent des précautions qui garantissent sa responsabilité à l'égard des créances polonaises.

Soutenir le contraire, et attribuer au gouvernement russe le droit de réclamer la propriété de la Pologne, parce que son autorité dans ce pays se fonde sur une force brutale, ce serait plaider la cause de l'arbitraire et de l'oppression. En effet, peut-on supposer quelque consentement soit de la part des victimes de cette force, privées de leur liberté, et par conséquent dans l'impuissance de se pro

noncer valablement à cet égard, soit de la part de ceux qui, plus heureux, étant parvenus à se réfugier sur le sol étranger, sont à l'abri de l'autorité du gouvernement russe, et ne dépendent de lui ni de droit, ni de fait ?

Ces réfugiés ne sont-ils pas mieux placés que qui que ce soit, pour réclamer directement l'exécution des obligations du gouvernement français? et celui-ci ne pourrait-il pas s'arranger avec eux beaucoup plus facilement qu'avec celui qui se dit leur représentant et qui n'est qu'un usurpateur?

La réponse à ces questions paraît toute simple. Or, quant aux réfugiés qui habitent actuellement la France, il ne dépend que du gouvernement français de leur accorder, la même faveur qu'aux habitans du pays, et de les admettre avec ceux-ci à faire valoir leurs créances devant des autorités compétentes. L'exercice de cette faveur pourrait, pour le moment, se borner à des prétentions personnelles à la réclamation de dettes dont la France serait débitrice originelle. Du nombre de ces dernières, celles qui méritent sans doute une attention particulière sont les pensions résultant de dotations, ainsi que celles qui, attachées à des décorations, ont été garanties aux militaires polonais par l'article 19 du traité de Paris du 5 avril 1814, article resté sans exécution jusqu'à ce jour.

On pourrait encore alléguer plusieurs raisons contre tout arrangement avec la Russie, et entre autres que les pensions garanties aux militaires polonais par le traité que nous venons de citer, loin d'être acquittées, étaient même contestées à leurs propriétaires, ainsi que le prouvent diverses réponses faites aux pétitionnaires; que d'autres prétentions des habitans du royaume de Pologne, depuis l'occupation de ce pays par l'armée russe, en 1813, restent encore à satisfaire, bien qu'on ait depuis long-temps réglé les liquidations relatives à cette époque avec l'Autriche et la Prusse, à la suite desquelles des sommes considérables ont été réalisées; que ces circonstances, jointes à la

conduite du gouvernement russe envers la Pologne, ne permettent plus d'avoir la moindre confiance dans les actes de ce gouvernement, qui a foulé aux pieds les droits les plus sacrés, et violé les obligations les plus solennelles ; que la forme du gouvernement russe, différente de toutes formes de gouvernement établies dans les pays civilisés, présente d'autant moins de garantie pour l'accomplissement des obligations qu'il pourrait contracter, que son chef, irresponsable, est au dessus de la loi, et que tous les pouvoirs de l'état, sans en excepter les pouvoirs judiciaire et ecclésiastique, relèvent exclusivement de lui.

Telles sont les causes principales qui doivent faire refuser au gouvernement français le paiement d'une somme que la Russie n'a point droit d'exiger. Espérons que la France s'épargnera une concession aussi contraire à ses propres inté rêts qu'à ceux de la Pologne.

HISTOIRE.

LA VÉRITÉ SUR PIERRE-LE-GRAND,

ET LA RUSSIE MODERNE, SON OUVRAGE.

Il est pour la pensée des crises que l'on ne saurait que difficilement manifester par une expression calme et mesurée; celle sous l'influence de laquelle se trouvent mes sentimens patriotiques, me permettra cependant, j'ose l'espérer, Dieu aidant, de ne point trahir le feu qui me brûle, et même en parlant de la Russie, de ne lui rendre aucune des injustices qu'elle déverse depuis si long-temps sur ma malheureuse patrie. J'ai foi dans les vues providentielles, et je crois que des desseins dont le but est de renverser toute idée de justice éternelle, ne sauraient être ja

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