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dance et leurs provinces; et si ce dernier n'aspire pas à la gloire de reprendre son rang d'affranchi parmi les souverains de l'Europe (1)?

(1) En parlant des voisins de la Russie, nous avons omis la Prusse, qui semble faire seule exception à leurs dispositions unanimes.

La Prusse qu'on avait jadis voulu renforcer dans l'espoir qu'elle remplacerait la Pologne comme boulevard de l'Europe, est devenue au contraire le fidèle satellite de la Russie, et sert à augmenter ses forces, à protéger ses desseins.

L'étrange composition des possessions prussiennes oblige cet état à suivre une politique inquiète et suspecte, dont il est impossible de comprendre la direction, et qui souvent puise ses décisions dans des considérations secondaires et momentanées.

La Prusse a besoin de se consolider, de s'arrondir, de rendre plus compacte sa monarchie disjointe et éparpillée. Pour qu'elle devienne puissance bien établie et du premier ordre, objet de tous ses efforts, il faut encore beaucoup de changemens en Europe. Or, la Prusse ne peut les espérer pour le moment, qu'en s'attachant à la seule puissance qui soit aujourd'hui agissante en progrès, et de laquelle seule, par conséquent, on puisse espérer des profits. La Russie lui montre probablement en perspective des arrangemens en Allemagne, auxquels.la grande mesure de douanes prélude déjà. Néanmoins, l'opinion publique en Prusse et en Allemagne est trop sage, trop clairvoyante pour pouvoir être, à la longue, anti-européenne et pour ne pas éclairer le gouvernement prussien lui-même, sur les véritables desseins de la Russie, dont il souffrirait un jour tout autant que ses autres voisins.

Cette union ne peut donc être considérée comme durable et solide: en tout cas, elle ne serait nullement formidable en comparaison de celle que tant de motifs irrésistibles doivent faire surgir sur toute la surface de l'Europe, et en vue de tous les points faibles que lui offrirait la monarchie prussienne, si elle s'obstinait alors à se sacrifier pour défendre l'ennemi commun.

En attendant, l'on ne saurait ne pas être surpris de l'indifférence, au moins apparente, du cabinet de Vienne, relativement à l'union particulière et plus intime qui existe entre la Russie et la Prusse, et à la prépondérance marquée que cette dernière acquiert journellement dans la Confédération Germanique.

Croit-on enfin que l'Autriche elle-même ne soit pas profondément blessée des allures et du ton que prend le gouvernement russe? qu'elle ne soit pas fatiguée de ses exi. gences, qu'elle ne soit pas alarmée au plus haut degré et de l'extension des frontières du grand empire, et des progrès évidens de la propagande slavo-schismatique ?

Est-il possible de refuser au cabinet de Vienne le sentiment de sa propre dignité et de sa propre conservation, au point de croire qu'il ne veuille pas secouer de ses épaules le poids d'un voisin aussi incommode; et qu'il ne verrait pas avec joie, avec exultation, la Russie réduite aux limites qu'elle avait lors de l'existence d'un véritable équi, libre en Europe, et redescendue au niveau des puissances qu'elle domine aujourd'hui ?

D'où vient donc que tous ces états, malgré leur humiliation, leurs craintes, leurs besoins; que tous ces pays divers, ces populations frémissantes sous un joug barbare, baissent la tête à l'unisson, et semblent réunis pour accompagner avec soumission le char du vainqueur, qui continue sa course, de succès en succès, an milieu des larmes dévorées et des secrètes imprécations de la foule qui l'entoure? D'où vient qu'aucun d'entre eux n'ose lever la tête, se plaindre, se détacher du cortége, ni tenter de se délivrer de cet état de contrainte et de souffrance insupportables? C'est que toute possibilité de confiance politique a été détruite; aucun de ces états, aucun de ces pays n'a de confiance, pas plus en lui-même qué dans d'autres, fussent. ils les plus puissans. Tel est le déplorable résultat de la politique européenne, dont la réforme serait si désirable. Elle a forcé les anciens opposans de la Russie à se rendre à discrétion un à un, à se jeter dans les bras de l'ennemi, qui, depuis un siècle, travaillait à leur perte. Abandonné chacun à son tour par ceux qui devaient les défendre, ils ont été réduits à devenir d'abord les alliés, puis les vassaux, puis les sujets du grand empire, qui, sous ces différentes dénominations, entraîne successivement dans son

orbite les divers pays qui se trouvent à sa portée. Si vous voulez les sauver, hâtez-vous de les rendre, pendant qu'it en est temps encore, à l'expression de leurs véritables sentimens, de leurs besoins les plus pressans; écoutez leurs vœux secrets; assurez-vous de ce qu'ils souffrent, de ce qu'ils sont en réalité; vous les verrez bientôt retrouver leur assiette et leurs ressources.

l'on a

Il s'agit, par une marche différente de celle que suivie jusqu'à présent, de dissiper les fausses apparences des méfiances décourageantes, de faire cesser l'ignorance presque complète de l'état réel des choses, et de rendre à la vérité son éclat et sa force.

Nous ne saurions assez le répéter, la faiblesse de la Russie et la certitude du succès de toute entreprise dirigée contre elle, se trouvent renfermées dans le besoin général de la réprimer; dans l'intérêt général de tous, sans exception, de se libérer de sa domination, de recouvrer les provinces, les droits qu'elle a usurpés, le bonheur qu'elle a anéanti; d'obtenir la paix et la sécurité qu'elle a rendues impossibles.

Lors de la campagne de l'année 1812, la situation des choses était absolument différente. Enivré de l'obéissance des rois et des armées étrangères qu'il traînait à sa suite, Napoléon repoussa la Suède et la Turquie, n'agit pas franchement envers les Polonais, fit douter de son intention de rétablir leur patrie; c'était alors lui qui était l'ennemi de la tranquillité, du bonheur, des libertés de l'Europe entière; aucune sympathie générale ne le soutenait : voilà pourquoi il n'a pas réussi, et pourquoi il est tombé ensuite du faîte de sa puissance. Mais aujourd'hui, nous le demandons, quel est le peuple qui n'a pas intérêt à voir la Russie refoulée dans ses propres frontières? Qui ne s'en réjouirait? Qui serait assez ennemi de lui-même et des autres, pour ne pas le désirer?

Cependant, pour que ce mouvement général des esprits vers le recouvrement des biens perdus, ce réveil des gouvernemens et des peuples, livrés, par leur position, à l'in

fluence morbifique du cabinet et du sceptre russe puisse s'opérer, il faut d'abord que les gouvernemens, qui n'ont pas à redouter ses attentats directs, les seuls opposans avoués qu'il puisse encore rencontrer, les deux défenseurs nés des libertés de l'Europe, sachent inspirer partout une pleine et entière confiance. Il faut qu'on puisse croire à la sainteté de leurs intentions, à l'énergie de leurs décisions, à leur volonté positive de ne plus souffrir d'injustice, d'oppression, d'empiétemens, de violation des traités; à la volonté de soutenir, avec persévérance et vigueur, les intérêts et les vœux de ceux qui se trouvent maintenant enveloppés dans les vastes replis du grand serpent, ou fascinés par son regard.

La France et l'Angleterre sont aujourd'hui les seules puissances qui aient leurs mouvemens entièrement libres, qui puissent agir sans crainte, quoiqu'elles ne soient pas sans reproche; c'est vers elles, toujours et nécessairement que se sont reportées nos pensées. Il n'existe pas autre part sur la terre d'autorité établie et puissante, à laquelle les amis de l'humanité puissent adresser leurs inquiétudes, leurs vœux, leurs espérances. Cependant, qu'ont fait jusqu'à présent ces deux puissances pour mériter et remplir leur haute vocation? qui a éprouvé leur appui? qui ontelles sauvé? que peuvent attendre d'elles, ceux qui respirent encore sous le couteau, qui ne sont pas encore entièrement anéantis ou subjugués? Leur politique, faible, incertaine, vacillante, en cédant toujours, a détruit les derniers restes d'une confiance qui s'offrait à eux, et qu'elles auraient dû accueillir et choyer avec une prévoyante sollicitude. Est-il donc étonnant que les pays sur la brèche aient faibli, que personne aujourd'hui n'ose lever la tête, que toute confiance soit détruite ? N'est-il pas urgent de la faire renaître, et de modifier une politique qui a produit d'aussi déplorables résultats ?

Que la France et l'Angleterre y prennent garde; qu'elles ne se croient pas à l'abri des maux qui leur semblent au

jourd'hui si éloignés et dont leur égoïsme ne s'ément pas, parce qu'ils ne pèsent que sur d'autres. Pour éviter les dangers, ne doit-on pas aller à leur rencontre, pendant qu'ils sont encore éloignés (1) ? Bien souvent il n'est plus temps de les combattre quand on les laisse s'approcher.

Sans doute l'union qui existe jusqu'à présent entre la France et l'Angleterre est pour ces deux états une grande source de sécurité; mais encore, pour être efficace, il faut que cette union ne se borne pas à être passive, il faut qu'elle se montre en action par un concert intime de démarches, de langagés et de principes communs et hautement avoués. Il ne suffirait pas que l'un des deux alliés gardât sa neutralité lorsque l'autre serait attaqué; ils doivent faire cause commune, envers et contre tous, même dans les questions qui semblent n'intéresser que l'un d'eux, et même dans celles que l'on croyait jadis un sujet de rivalité irréconciliable. Sans une telle union, point de salut. Si l'Angleterre, rebutée par la France dans la question, par exemple, de l'Orient ou des Indes, se renferme à son tour dans sa stricte neutralité insulaire, nous pourrions voir les Russes une troisième fois à Paris. Ce ne serait pas, à coup sûr, pour y soigner les intérêts de l'Angleterre; ce serait, entre autres choses, pour employer la marine française à ses fins, et probablement pour renouveler le système continental, qui déjà se fait sentir dans tous les pays soumis à la sainte-alliance.

Nous le savons, de précieuses occasions sont échappées sans qu'on en ait profité; le mal a fait des progrès ef frayans; il en fait tous les jours: la difficulté de les combattre s'accroît dans la même progression. Cependant, les élémens de la faiblesse russe restent toujours les mêmes, et pour les cabinets de l'Occident, il y a toujours la même

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To meet displeasure farther from the door
And graple with it, 'ere it comes so nigh.

SHAKSPEARE, King John.

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