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cision, bien que d'après les titres dont nous avons parlé, on l'évaluât à vingt millions de francs.

Examinons maintenant les titres qui peuvent autoriser le gouvernement russe à négocier dans cette affaire avec le cabinet français, soit pour faire une liquidation, soit pour réclamer le paiement des créances qui en pourraient résulter en faveur du royaume de Pologne.

On voit que le traité de 1815, d'où les créances en question tirent leur origine diplomatique, a été conclu pendant le congrès de Vienne, par les puissances alors arbitres des destinées de l'Europe, et principalement par l'Angleterre, la France, l'Autriche, la Prusse et la Russie. On n'ignore pas non plus que ce traité n'a été jusqu'à ce jour remplacé par aucun autre. Conformément à sa teneur, le royaume de Pologne, formé du ci-devant duché de Varsovie, devait être uni à la Russie, tout en possédant une constitution et une administration distinctes. Ce traité, qui a autorisé l'empereur de Russie à prendre le titre de roi de Pologne, a garanti à tous les habitans de l'ancienne Pologne une représentation et des institutions nationales.

voulant au

De là résulte que le gouvernement russ?, jourd'hui négocier avec la France au sujet des créances du royaume de Pologne, est obligé de se fonder sur le même traité. Par conséquent, sa réclamation ne serait admissible qu'autant que toutes les conditions de ce traité auraient été remplies, et que l'autocrate se trouverait légitime représentant de la Pologne constituée en 1815.

Voyous maintenant jusqu'à quel point les obligations du traité de 1815 se trouvent remplies par l'empereur de Russie, soit envers le soi-disant royaume de Pologne, soit envers les autres provinces de l'ancienne Pologne, usurpées antérieurement par la Russie.

Vers la fin de 1830, une révolution éclata en Pologne ; provoquée par la violation des lois fondamentales du pays, cette révolution a été reconnue par la diète polonaise comme

nationale. L'empereur de Russie, au lieu d'obtempérer aux justes réclamations d'une nation entière, au lieu de garantir l'inviolabilité de ses promesses, se refusa à tout acte de justice et menaça d'écraser le pays avec ses armées. La diète alors prononça la déchéance des Romanof et proclama l'indépendance de toutes les parties de la Pologne qui relevaient de la Russie.

L'invasion des armées russes trouva une vive résistance, non seulement dans l'armée et les citoyens du royaume de Pologne, mais encore dans les habitans de la Lithuanie, de la Volhynie, de la Podolie et de l'Ukraine, qui s'étaient levés spontanément pour se joindre à leurs frères. Les autres cours signataires du traité de 1815 se décidèrent à rester neutres dans cette lutte inégale; toutefois celles de France et d'Angleterre par leurs représentations au cabinet de Pétersbourg, exigèrent le maintien du statu-quo de 1815 de la Pologne, dont la réunion à la Russie était un arrangement européen subordonné à de certaines conditions. En conséquence, le roi des Français, lors de l'ouverture des chambres en 1831, ainsi que la chambre des députés dans son adresse en réponse au discours du trône, ont assuré solennellement: que la nationalité polonaise ne périrait pas.

Peu de temps après, la chute de la Pologne, amenée par un excès de confiance dans les relations diplomatiques et la violation flagrante de la neutralité par la Prusse et l'Autriche, a montré au monde le peu de poids qu'il fallait attacher à ces paroles. Cependant, la diète, loin de révoquer la déchéance des Romanof et l'indépendance de la Pologne, qu'elle avait proclamées, prit au contraire la résolution de se réunir, même sur le sol étranger, dans un nombre de membres voulu par la loi. Ensuite un grand nombre de ces membres et de fonctionnaires civils et militaires ayant quitté le pays avec l'armée, la nation polonaise fut mise sous la protection des puissances qui ont garanti sa nationalité. Après la chute du gouvernement national en Pologne,

l'autocrate, devenu maître du pays, y a introduit des changemens entièrement contraires aux obligations qu'il avait contractées. A la suite de ces changemens, le royaume de Pologne ayant perdu sa constitution, et, avec elle, toutes ses anciennes institutions, est devenue province russe placée sous un gouvernement militaire. Les habitans, privés des marques de leur nationalité, ont été déclarés former avec les Russes une seule et méme nation. On s'est même mis en mesure de détruire tout ce qui tient à leur nationalité, soit par la prohibition de la langue polonaise dans les provinces de l'ancienne Pologne et l'abrogation des lois qui y étaient obligatoires depuis des siècles, soit par une foule d'actes plus barbares encore, sans être moins hostiles à la civilisation et à la dignité des peuples. Déposer dans les déserts de la Sibérie, un nombre considérable de personnes de tout âge et de tout sexe, condamnées par les cours martiales ou même sans aucune formalité, malgré l'amnistie qui a été accordée plusieurs fois; transplanter des familles entières dans les stèpes du Caucase, pour les assujétir à un service militaire sans fin, c'est-àdire à un éternel esclavage; enrôler toute la jeunesse dans les régimens russes employés la plupart en Asie, sans en excepter les anciens militaires dont les fils mêmes sont destinés à ce service; enlever les enfans mineurs pour les transporter en Russie, malgré la résistance de leurs parens; opprimer la religion catholique en diminuant de plus en plus le nombre des églises ainsi que celui des prêtres, en substituant à cette religion nationale la croyance dont l'autocrate s'est fait lui-même le chef; supprimer les instituts d'instruction publique et enlever des bibliothèques ainsi que d'autres collections scientifiques; confisquer des fortunes particulières; déshériter des successeurs légitimes; commettre enfin d'autres cruautés inouïes qu'il est impossible d'énumérér; tel est le spectacle que les barbares du Nord se sont cru le droit de donner à l'Europe du 19e siècle !!

Ces révoltantes atrocités avaient forcé les cabinets de Paris et de Londres à renouveler leurs représentations par la voie diplomatique ; et comme la cour de Russie osa soutenir que le traité de 1815 n'était point violé, les mêmes cabinets ont protesté contre cette interprétation impudente.

Toutefois les cours d'Autriche et de Prusse, jetant le masque, s'unirent à celle de Russie, et parurent prendre un rôle actif dans cette coalition nouvelle. On en voit une preuve bien convaincante dans leur conduite à l'égard des sous-officiers et soldats polonais réfugiés dans ces pays : tous y ont été durement traités, et la plupart même forcés de rentrer sous le joug moscovite.

En 1832, la cause polonaise devint l'objet de quelques débats au parlement d'Angleterre. Ces débats, suivis de déclarations du ministère de cette nation, favorables à la Pologne, eurent pour résultat l'envoi d'un ambassadeur extraordinaire à Pétersbourg.

En France, la chambre des députés, réunie la même année, s'est également prononcée en faveur de la Pologne, dans son adresse au trône, qui se termine par ces paroles mémorables:

« Si la voix de la politique européenne, qui, nous en • avons la confiance, ne parlera pas toujours en vain, n’a « pu jusqu'à présent être écoutée, que dès aujourd'hui, du a moins, le cri de l'humanité soit entendu. »

En 1833, de nouveaux débats s'étant élevés au sujet de la Pologne dans la chambre des communes d'Angleterre, on y reconnut à l'unanimité que le nouvel état de cette nation était une violation manifeste du traité de Vienne. Le ministère, en partageant complétement cette manière de voir, ajouta encore pour l'appuyer, que le peuple polonais, victime d'un crime politique, sans exemple dans l'histoire, se trouve accablé de persécutions et de malheurs les moins mérités; que, conformément à la teneur et à l'esprit du traité de 1815, la Pologne, dans l'intérêt de toute l'Eu

rope, devait être unie à la Russie, en vertu de sa constitution, placée sous la sauve-garde du méme traité; qu'avant cette époque, les prétentions de la Russie envers la Pologne, ne se fondant sur aucun droit, l'insurrection n'a pu délier la première des obligations créées par ce traité; que l'Angleterre a protesté vivement contre toute autre interprétation dudit acte, et que la France a complétement partagé ses vues sur cette question, bien que l'Autriche et la Prusse aient été d'une opinion différente. Qu'en conséquence, les puissances signataires du traité de 1815, ont le droit d'intervenir pour faire remplir les conditions qu'il renferme; mais qu'on n'a pas jugé à propos d'en faire un cas de guerre générale, dans l'intérêt même de la Pologne.

Plus tard, un des journaux de Pétersbourg s'est efforcé de combattre ces déclarations du ministère britannique, en soutenant tantôt que l'intervention de la France et de l'Angleterre, dans cette affaire, ne saurait être justifiable; tantôt que le traité de 1815 n'a pas éprouvé d'atteintes par suite des changemens opérés en Pologne.

Cependant le ministère français, dans sa réponse publiée par le Moniteur, ayant réfuté la thèse du publiciste russe, et cela par ses propres argumens, l'a établi en contradiction patente avec lui-même. Il s'est en outre réservé d'examiner, en temps et lieu, les questions de droit et de fait, pour mettre encore mieux à découvert toute la mauvaise foi du cabinet de Pétersbourg; et, en concluant que l'insurrection polonaise, fût-elle vraiment nationale ou simplement l'œuvre d'une minorité, n'a pu relever la Russie des obligations contractées envers ce pays, il termine ainsi :

« Nous ne vivons pas dans un siècle où la justice per« mette et la sagesse conseille à un gouvernement de pro« clamer une nation entière digne de châtiment, et d'user « envers elle d'un prétendu droit de conquête que la civili«sation ne reconnaît plus, au moins dans ce sens. »

La chambre des députés français, réunie en 1834, loin

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