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leur ont été impartis pour juger. En un mot, toutes les situations prévues par l'article 1028 peuvent se rencontrer en arbitrage forcé comme en arbitrage volontaire.

D'autre part, il n'est pas moins évident que les arbitres forcés, comme les arbitres volontaires, sont des particuliers, désignés par les parties ou suivant le mode fixé par les parties, pour décider seulement les contestations que ces parties leur soumettront, dans des délais que ces parties ont le droit de déterminer, et suivant certaines formes substantielles, auxquelles la loi présume nécessairement que les parties ont entendu les assujettir, puisqu'elle ne permettrait pas de les en dis

penser.

En dehors de ces conditions le caractère de juge manque absolument aux arbitres. Leur sentence n'est plus qu'un acte informe que la partie contre laquelle on veut s'en prévaloir peut repousser au moyen d'une simple opposition à l'ordonnance d'exequatur, en l'arguant de nullité. Il y aurait contradiction véritable, si cette partie demandait à la juridiction supérieure la réformation ou la rétractation d'un acte qui ne constitue pas une première décision, ni, à plus forte raison, une décision définitive. Encore une fois, l'appel, la requête civile, le pourvoi en cassation, ne peuvent être dirigés que contre une décision ayant un caractère judiciaire ; et, dans les cas prévus par l'article 1028, ce caractère manque absolument à la décision des arbitres.

C'est en assujettissant la sentence arbitrale à la nécessité d'être revêtue de l'ordonnance d'exequatur, que la loi a marqué la différence si profonde entre cette classe de décisions judiciaires et celles qui émanent des magistrats proprement dits. Il y a une corrélation néces

36 ARBITRAGE FORCÉ.

OPPOSITION A L'ORDONNANCE, ETC.

saire entre la formalité de l'apposition de l'ordonnance d'exequatur par le président, et la faculté donnée aux parties, de former opposition à cette ordonnance. Autrement, la légalisation de la signature des arbitres eût été tout au plus nécessaire, et le greffier aurait expédié la sentence dans la forme exécutoire, comme un jugement du tribunal.

En disposant que la sentence des arbitres forcés serait revêtue d'une ordonnance d'exequatur signée par le président du tribunal de commerce, la loi a implicitement tranché la question de la recevabilité d'une opposition formée à cette ordonnance, pour les causes de nullité, énoncées dans l'article 1028, Code de procédure.

V. En résumé, il nous paraît démontré :

Que la question de la recevabilité de l'opposition à l'ordonnance d'exequatur se présente dans des termes très-différents, suivant que les arbitres ont reçu ou non des associés les pouvoirs d'amiables composi

teurs.

Que la recevabilité de cette opposition, dans le cas de l'amiable composition, ne saurait être valablement contestée, même par ceux qui regardent cette opposition comme non-recevable dans le cas d'un arbitrage forcé pur et simple.

Enfin, que, dans ce dernier cas, la loi a entendu que la sentence des arbitres forcés pourrait être attaquée par la voie de nullité qu'elle avait ouverte contre les sentences d'arbitres volontaires, sous la forme d'opposition à l'ordonnance d'exequatur.

Émile PEPIN-Lehalleur.

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III. Des arbitres sont-ils compétents pour statuer incidemment sur une demande en suppression d'écrits injurieux ou diffamatoires produits devant eux ?

Par M. CLÉRAULT,

avocat aux conseils du roi et à la cour de cassation.

Cette question est encore sans solution en jurisprudence. Quant aux auteurs, deux seulement, à notre connaissance, l'ont soulevée, M. Chassan, dans son Traité des délits et contraventions de la parole, de l'écriture et de la presse, tome 1°, page 73, et M. de Grattier dans son Commentaire sur les lois de la presse et autres moyens de publication, tome 1, page 243. Ils se sont prononcés, et, à notre avis, avec raison, contre la compétence des arbitres. Mais les motifs sur lesquels ils ont appuyé leur opinion ne nous paraissent pas les meilleurs qu'on puisse donner. C'est un danger, car un échec porté aux motifs, et il est déjà porté, pourrait sembler atteindre la solution qui mérite de sur

vivre.

Le siége de la difficulté est dans l'article 23 de la loi du 17 mai 1819, dont le § 1" est ainsi conçu : « Ne don• neront lieu à aucune action en diffamation ou injure ■ les discours prononcés ou les écrits produits devant ⚫ les tribunaux ; pourront néanmoins les juges saisis › de la cause, en statuant sur le fond, prononcer la suppression des écrits injurieux ou diffamatoires, » et condamner qui il appartiendra en des dommages⚫ intérêts. »

MM. Chassan et de Grattier disent: Cet article parle d'écrits produits devant un tribunal et distribués à des juges; or des arbitres, même forcés, ne sont pas des

juges et ne composent pas un tribunal; ils n'ont pas reçu l'investiture; ils ne peuvent pas imprimer à leur sentence la force du commandement; outre qu'ils n'ont qu'une mission déléguée et restreinte à un litige spécial, ils seraient impuissants par eux-mêmes à faire exécuter leur décision; il faut qu'elle soit revêtue de l'ordonnance du président du tribunal de commerce, sans laquelle elle serait réduite à la stérilité. Des arbitres, même forcés, n'ont donc aucun pouvoir pour ordonner la suppression des écrits produits devant eux; ce pouvoir n'est donné qu'aux magistrats; il n'est donné qu'aux tribunaux.

Mais la cour de cassation a déclaré, par son arrêt du 15 mai 1838, rendu dans l'affaire Parquin et Ducros, que les arbitres forcés, dans l'exercice de leurs fonctions, agissent avec un caractère public. Ne résulterait-il pas de là que les arbitres forcés sont des fonctionnaires publics, que ce sont des fonctionnaires de l'ordre judiciaire, que ce sont des juges, que ce sont des magistrats, qu'ils ont une juridiction, qu'ils constituent un tribunal? Cette conséquence est inévitable, et la cour de cassation l'a consacrée elle-même dans son arrêt du 26 avril 1842, relatif aux honoraires réclamés par les arbitres forcés: « Attendu, a-t-elle dit, que les arbi» tres forcés, nommés en exécution des articles 51 et » 52 du Code de commerce, constituent un véritable » tribunal institué par la loi; que la juridiction de ce » tribunal n'est qu'une prorogation de la juridiction » des juges de commerce; que les arbitres sont, en quel» que sorte, une section temporaire des tribunaux de » commerce, qui connaît, par délégation expresse de » la loi, du jugement de toute contestation entre asso»ciés et pour raison de la société. » Voilà donc que la

solution de MM. Chassan et de Grattier peut, comme nous le disions, paraître ébranlée à cause de la faiblesse des assises qu'on lui a données. Nous voulons essayer de lui en donner d'autres et de la consolider.

L'article 14 du titre 2 de la loi du 24 août 1790 porte, qu'en toute matière civile et criminelle les plaidoyers, rapports et jugements seront publics. Cette disposition est reproduite dans l'article 56 de la Charte, dans l'article 87 du Code de procédure civile, et dans les articles 153, 171, 190 et de 210 du Code d'instruction criminelle, en sorte que la publicité de l'administration de la justice est aujourd'hui un principe gravé dans nos mœurs un fait acquis par la législation, une garantie irrévocablement consacrée au profit des justiciables. Il en est ainsi, dans l'administration de la justice, depuis le faîte jusqu'à la base, depuis la cour de cassation jusqu'au plus humble conseil de discipline de la garde nationale. Là même où l'ordre et la morale. exigent que les débats aient lieu à huis clos, on ouvre les portes pour rendre la sentence; on met la conscience du juge en présence du public qui le regarde; et tout juge qui a participé à la décision doit être là, sous ce regard, quand elle est prononcée ; autrement la décision serait nulle, aux termes des articles 7 et 17 de la loi du 20 avril 1810.

Ce principe de publicité reçoit toutefois des exceptions. Ainsi, en matière administrative, devant les conseils de préfecture, les observations des parties, lorsqu'il en est présenté, les rapports et décisions, ont encore lieu aujourd'hui à huis clos, sans que rien justifie cette mesure. En matière disciplinaire, il y a aussi rapport et décision à huis clos; cela se conçoit et s'explique par la nature de la juridiction et du litige; la

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