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pays où elle soit plus grande que chez nous, sans en excepter les États-Unis d'Amérique, où le principe qu'on veut établir ici est écrit dans toutes les constitutions. Pour se convaincre de notre supériorité sous le rapport de la liberté des cultes, il n'y a qu'à parcourir les rues de Paris et celles de Philadelphie un jour de dimanche. C'est que la liberté des cultes, de même que les autres libertés, ne consiste pas seulement dans une lettre écrite, témoin la charte turque de Gulhané ; elle repose sur les mœurs des habitants d'un pays et sur les garanties de l'ensemble de toute une législation. La nôtre forme un tout dont les différentes parties sont liées et appropriées à nos antécédents, à notre état social, et dont aucune partie ne peut être détachée sans produire sur le reste des conséquences que n'aperçoivent pas toujours ceux qui l'attaquent.

Un grand développement de civilisation amène toujours dans une nation nombreuse des lois qui limitent l'usage des facultés les plus naturelles, sans pourtant les détruire. Dira-t-on qu'on n'a pas la liberté de se mouvoir en France, parce qu'on a besoin d'un passeport pour voyager? Dira-t-on qu'on n'a pas la faculté de bâtir, principalement dans les villes, parce que si l'on veut construire sur une rue ou place publique, on ne peut le faire sans avoir obtenu un alignement? Dirat-on qu'on ne peut faire de société commerciale ou industrielle, parce que les sociétés anonymes ont besoin d'être autorisées par le gouvernement? Dira-t-on qu'on ne peut y dessécher des marais, y exploiter des mines, y construire des moulins à eau, parce que tous ces actes ne peuvent s'accomplir sans la permission du gouvernement? Voilà bien des facultés naturelles limitées, modifiées, placées sous le régime préventif; et, cepen

CONC. POUR LES CHAIRES DE DROIT.-LET. DE M. BONNIER. 577

dant, on voyage en France, on y bâtit des moulins et des maisons, on y exploite des mines, on y trouve des sociétés anonymes, etc. Pourquoi le régime de la liberté illimitée n'est-il pas appliqué à toutes ces facultés naturelles, pas plus qu'à celle de former des associations religieuses de plus de vingt personnes? Parce que l'état de notre civilisation, de nos mœurs, l'intérêt général bien entendu, la législation, en un mot, l'a voulu ainsi. Supprimez par la pensée toutes les garanties qui limitent la liberté dans l'exercice des facultés dont nous venons de parler, et dites-moi si la société y gagnerait beaucoup.

Il y a bien longtemps qu'on a dit qu'il y a peu de principes raisonnables dont les conséquences extrêmes, rigoureusement déduites, ne conduisent pas à l'absurde. Il en est ainsi de la liberté religieuse; elle existe en France, quoi qu'on en dise, nous le sentons tous, et si elle était sérieusement menacée, il n'y aurait qu'une voix pour la défendre; personne plus que moi n'en est partisan. Sachons donc la conserver en ne poussant par ses conséquences à l'excès.

SERRIGNY.

AMM. les directeurs de la REVUE ÉTRANGÈRE ET FRANÇAISE.

MESSIEURS,

Il ne faut pas une bien grande expérience pour savoir qu'on s'expose à perdre la meilleure cause du monde, quand on s'abstient de la défendre. Aussi, en présence des attaques systématiques dirigées depuis plusieurs années, dans un intérêt qui n'était pas toujours celui de la science, contre l'institution du concours appliquée aux facultés de droit, me suis-je demandé si un plus

long silence de la part des défenseurs de cette institution ne pourrait pas être, à la fin, considéré comme un acquiescement. Le moment semble d'autant plus opportun pour répondre à ces attaques, qu'elles viennent d'être renouvelées avec plus d'énergie que jamais dans le numéro de mai 1843 de la Revue de législation et de jurisprudence, par l'estimable fondateur de cette revue, M. Wolowski. Il ne s'agit plus d'ailleurs d'objections purement théoriques; s'il faut s'en rapporter à des bruits bien accrédités, et reproduits par M. Wolowski lui-même, on espère obtenir de l'autorité supérieure une proposition législative destinée à détruire, au profit de quelques ambitions impatientes, les garanties scientifiques qui subsistent chez nous depuis plusieurs siècles, et qui ont survécu à bien des vicissitudes politiques. J'espère donc, messieurs, que vous voudrez bien accueillir quelques observations qui ne sont de notre part que l'usage du droit de légitime défense, et qui empruntent un intérêt tout particulier aux circonstances actuelles.

Les ennemis du concours font aujourd'hui une concession à leurs adversaires. Ils consentent à ce qu'on le maintienne, lorsqu'il ne s'agit que de nommer des suppléants, ou, suivant eux, des agrégés (M. Wolowski affirme que les agrégés remplaceraient avec avantage les suppléants; mais nous sommes obligé de l'en croire sur parole, puisqu'il n'explique pas en quoi consisterait ce prétendu avantage). Cette concession est peut-être, au fond, moins généreuse qu'elle ne le paraît. Les personnages plus ou moins distingués en faveur desquels on réclame l'abolition du concours, ne s'abaissent pas à solliciter de modestes suppléances; il leur faut des chaires; et pourvu qu'on fasse disparaître

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la barrière jalouse' qui les empêche d'y arriver d'emblée, peu leur importe que les docteurs en droit se consument dans des luttes puériles et nuisibles. Ils consentent donc volontiers à faire la part du concours, et à lui abandonner les places de suppléants ou d'agrégés sacrifice qui n'est guère méritoire de leur part. Malheureusement la transaction proposée est repoussée par la logique. S'il est vrai, en effet, comme on le prétend, que les conditions du concours demandent plus de mémoire que d'étude large et approfondie, plus de vivacité dans l'esprit que de maturité dans le jugement, il faut supprimer l'institution à tous les degrés; car les suppléants appelés souvent à remplacer les professeurs titulaires doivent, pour être à la hauteur de leur position, avoir quelque maturité dans le jugement, avoir déjà fait des études larges et approfondies. Il ne peut sortir des épreuves du concours de bons suppléants, que si ces épreuves sont réellement probantes quant aux qualités qui constituent le jurisconsulte'; et si ces épreuves sont des garanties utiles au second degré, pourquoi n'en serait-il pas de même au premier?

Si nos adversaires voulaient dire le fond de leur pensée, ils avoueraient qu'elle n'est autre que l'abolition pure et simple du concours, auquel ils donnent les qualifications dérisoires de tournoi scientifique, de

1 Tous les mots imprimés en caractères italiques se trouvent dans l'article de M. Wolowski.

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Pour ne point parler des personnes vivantes, on sait que ces qualités ne manquaient pas à Boitard, qui, bien que nommé par concours, avait autre chose que de la mémoire et de la vivacité dans l'esprit. Il est à remarquer du reste que les suppléants, qui ont été nommés à Paris pour des places de province, sont arrivés promptement à des chaires dans les diverses facultés auxquelles ils ont été attachés,

joûte superficielle. Arrêtons-nous donc un peu sur le concours lui-même, avant de parler de son application aux chaires, et voyons si cette institution mérite réellement les reproches qu'on lui adresse. Quand M. Wolowski parle ainsi de tournois et de joútes, il paraît renfermer le concours tout entier dans l'argumentation, la seule des épreuves exigées qui présente le caractère d'une lutte. Cette assertion fût-elle aussi fondée qu'elle est inexacte, nous pourrions accepter la discussion sur ce terrain; car les joûtes superficielles dont on parle, sont l'abus et non l'usage de l'argumentation, qui, lorsqu'elle est maniée par des esprits sérieux, prouve tout à la fois, chez le candidat qui en sort vainqueur, l'étendue des connaissances, la fécondité des ressources et la solidité du jugement. Mais, en supposant même que l'argumentation puisse avoir quel ques inconvénients, elle est loin d'être le seul criterium du mérite des concurrents. Deux autres épreuves d'une nature toute différente, les leçons et les compositions écrites, font essentiellement partie de tout concours. Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que le règlement qui régit actuellement la matière, celui du 29 juin 1841, a précisément affaibli de beaucoup l'argumentation; si bien qu'il est au moins singulier de venir nous présenter aujourd'hui, comme constituant à lui seul le concours, un exercice qui n'y joue plus qu'un rôle secondaire. Le règlement de 1841 est loin sans doute d'être parfait; et quant aux modifications de détail qu'il paraît susceptible de recevoir, nous serons toujours disposé à nous joindre aux réformateurs raisonnables et désintéressés qui veulent améliorer le concours, et non le détruire. Mais la base de ce règlement, la même que celle des règlements antérieurs, nous semble inatta

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