Page images
PDF
EPUB

dispensable d'autoriser par une disposition formelle les tribunaux à accorder la réparation du dommage résultant de l'exercice du droit de propriété, n'est pas évidemment parti du principe que toutes les fois qu'il y a préjudice causé par l'usage que fait le propriétaire de sa chose, il y a abus; c'est évidemment sur le principe contraire que repose la disposition.

La règle générale est donc confirmée par l'exception établie en matière de cours d'eau.

J'ai dit que le droit de propriété ne doit jamais s'exercer d'une manière malveillante; et que l'on peut accuser de malveillance tout propriétaire qui, libre de choisir entre deux modes de jouissance à peu près semblables dans leurs résultats, préfère celui qui est le plus nuisible à ses voisins.

Ne pourrait-on pas adresser à cette opinion le reproche opposé à celui contre lequel j'ai, jusqu'à présent, essayé de me défendre, et prétendre qu'après avoir donné trop d'extension au droit de propriété, je le resserre ici dans des limites trop étroites? Ne serait-on pas autorisé à dire, par exemple, que le propriétaire qui élève des constructions sur son fonds, hors de la distance prescrite par les règlements, est maître de les placer là où il le juge convenable, de leur donner l'élévation qu'il veut, quelque dommage qui en résulte pour les voisins; que ceux-ci n'auraient point le droit de se plaindre de ses travaux, alors même qu'ils ne seraient exécutés que dans le dessein de nuire, avec la plus évidente malveillance?

Si cette opinion était fondée, elle n'apporterait aucune atteinte au principe que j'ai posé. Elle ferait disparaître l'une des restrictions qu'il me paraît raisonnable et juridique d'admettre au droit de disposer

des choses dont on a la propriété. Certainement elle ne prouverait point que l'abus du droit commence, dès qu'il y a dommage causé à autrui.

Mais je crois pouvoir persister à soutenir que toutes les fois que le propriétaire, au lieu d'user de sa chose pour en tirer les services, les fruits, les agréments les avantages de toute espèce qu'elle est susceptible de produire, en dispose avec l'intention de nuire aux tiers, il est en dehors du droit; et même que lorsqu'il y a deux moyens d'exploitation possibles, il est tenu de choisir le moins nuisible.

Il n'a jamais pu entrer dans la pensée d'aucun législateur de conférer à l'un des membres de l'asso ciation à laquelle il donne des lois, le droit de faire k mal des autres, sans aucun avantage personnel, de leu nuire pour le plaisir de leur nuire. Dès lors, il est évi dent que, lorsque le droit de propriété peut s'exercer de deux manières différentes, il faut opter pour le moin dommageable. Choisir celui qui a le plus d'inconvé nients pour les voisins, c'est précisément agir avec mal veillance, c'est nuire pour le plaisir de nuire.

A la vérité, le mode le meilleur n'est pas toujours. facile à reconnaître, et le procédé que les voisins au raient intérêt à voir adopter pourrait être plus onéreus pour le propriétaire, exiger plus de dépenses, ou pro duire moins de fruits. En pareil cas, les tribunaux p seront les avantages et les inconvénients, et ils n'im poseront au propriétaire l'obligation d'user de sa chose en employant tel ou tel moyen, que lorsqu'ils recon naîtront que ses intérêts ne sont pas compromis par c mode d'exercice de ses droits.

Que cette mission soit quelquefois délicate, je ne conteste point; mais les magistrats sont tous les jours

chargés de travaux aussi difficiles, et personne ne songe à chercher un argument contre leur juridiction, dans la difficulté des questions qu'ils sont appelés à résoudre.

Ils ont d'ailleurs ici un guide qui ne peut les tromper.

Pour savoir s'il y a abus du droit de propriété, ils n'ont qu'à rechercher s'il y a malveillance, intention de nuire, notamment si, sans motifs, le propriétaire donne à un mode d'exploitation nuisible la préférence sur un mode qui ne l'est pas, ou qui l'est moins.

Jusqu'ici j'ai plus particulièrement parlé des établissements classés. Pour ceux qui ne le sont pas on peut invoquer non-seulement le principe général, si clairement posé dans l'article 544 du Code civil et les règles que j'ai essayé d'en déduire; mais encore la législation spéciale sur les établissements dangereux, insalubres, ou incommodes.

En effet, lorsqu'en 1810 le gouvernement eut reconnu que les usines, les manufactures et les ateliers de toute espèce étaient les propriétés dont l'exploitation présentait le plus d'inconvénients et de dangers, et que les règlements auxquels ils étaient soumis n'étaient ni assez complets ni assez généraux; il voulut établir un régime dans lequel ils fussent tous compris.

Après avoir consulté le premier de nos corps savants, et suivant les indications qu'il en reçut, il décida que certains établissements produisant des émanations insalubres ou incommodes, devaient nécessairement être éloignés des habitations; c'est la première classe.

Que d'autres, ne devenant susceptibles d'inconvé

nients qu'autant que les opérations qu'on y pratiquait étaient mal exécutées, devaient être soumis à une surveillance exacte et sévère, sans exiger qu'ils fussent aussi éloignés que les premiers; c'est la seconde classe.

Qu'il y en avait enfin qui, n'étant sujets à aucun inconvénient, pouvaient rester auprès des habitations, mais devaient être soumis à la surveillance de la police; c'est la troisième classe

Quant à ceux qui lui parurent devoir être placés en dehors de ces catégories, et que depuis trente ans on n'a pas jugé convenable d'y faire entrer, ils sont certainement par cela même proclamés les plus inoffensifs et les moins incommodes de tous.

Ceux de la troisième classe n'offrent pas, à proprement parler, d'inconvénients. Le rapport de l'Institut le dit expressément, et cela résulte des termes du décret de 1810. Ceux qui sont placés encore au-dessous, ceux que l'administration a reconnus ne devoir pas même être assujettis à la surveillance de la police, trouvent, dans cette omission volontaire et réfléchie, la plus éclatante approbation, la meilleure de toutes les autorisations; ils forment réellement une quatrième classe plus favorable que les trois premières.

Si donc les tribunaux ne peuvent condamner à des dommages-intérêts les propriétaires d'établissements classés, à cause de l'autorisation expresse qu'ils ont reçue de l'administration; à plus forte raison, les propriétaires d'établissements non classés, protégés par une autorisation tacite, sont à l'abri de toute réclamation.

J.-B. DUVERGIER,

XLVII. LIBERTÉ PROVINCIALE.

De l'administration provinciale en Belgique.

Par M. Thibault LEFEBVRE, avocat à la cour royale de Paris.

peu

Les temps attendus par les socialistes modernes sont loin encore. Les dissemblances des législations les plus rapprochées des peuples les plus semblables, le prouveraient de reste s'il en était besoin. De tous les ples, aucuns peut-être ne se touchent par des points de contact plus nombreux que le Belge et le Français: même langue, mêmes lois, mœurs presque identiques, climat peu différent, intérêts longtemps confondus; presque tout les rapproche. Longtemps membres d'un même empire, nés tous deux à la même liberté, dans un même temps, à l'aide d'une révolution contemporaine, ils ont établi une même division des pouvoirs, un même système judiciaire, financier, militaire je le répète, presque tout les assimile. Eh bien! comparez ensemble les lois faites sur les mêmes objets, dans les mêmes vues, presque au même moment, chez les deux peuples, et si des affinités nombreuses vous frappent d'abord, bientôt l'étude fait jaillir des dissemblances dont le nombre vous éblouit et la contrariété vous surprend.

:

L'article 69 de la Charte de 1830 promit à la France des institutions départementales fondées sur un système électif : les lois du 22 juin 1833 et du 10 mai 1838, ont réalisé cette promesse'. La constitution belge, par son

'L'auteur de cet article a expliqué ces deux lois dans un volume intitulé: Constitution et Pouvoirs des conseils généraux et des conseils d'arrondissement, publié en 1843.

« PreviousContinue »