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placé en tête de l'ouvrage une esquisse complète du droit administratif, et au commencement de chaque matière des aphorismes qui en exposent les principes avec une brièveté et une netteté remarquables. Dixhuit mois suffirent à l'accomplissement de cette tâche, et pourtant il fallut dépouiller environ 80,000 lois, décrets, ordonnances et règlements! Toutefois, on doit l'avouer, de cette grande entreprise la compilation des textes n'était pas la partie la plus difficile; avec du temps et de la persévérance, beaucoup pouvaient se flatter de la mener à bien mais l'agencement de tous ces matériaux, la rédaction des aphorismes qui précèdent chaque matière, exigeaient un homme consommé dans la science administrative et habitué aux spéculations philosophiques. Ce livre, quelque modestes que soient son titre, ses apparences, a marqué une nouvelle époque du droit administratif. Après sa publication, cette branche du droit est véritablement entrée dans le domaine des sciences accessibles à tous : il a servi de point de départ aux traités spéciaux. Depuis deux ans l'auteur donnait ses soins à une seconde édition, où son premier travail est complétement refondu. Trois volumes ont paru; la maladie l'a surpris lorsque déjà plusieurs feuilles du quatrième étaient imprimées. Il n'est pas douteux que la peine que lui a coûtée cette édition nouvelle n'ait abrégé sa vie !

Les Institutes ne sont point (quoiqu'on l'ait écrit et qu'on le répète chaque jour) l'analyse plus ou moins étendue du cours que M. de Gerando professait à la Faculté de Droit. Elles ne peuvent même donner aucune idée de cet enseignement, dans lequel le professeur mêlait aux notions du droit administratif français actuel et de la jurisprudence, l'histoire de nos institutions ad

II. 3 SÉRIE.

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ministratives, et même l'exposé de celles des autres peuples. Il est fort regrettable que M. de Gerando, qui avait écrit en entier son cours de 1819 et 1820, et une partie de celui qui devait être professé en 1821, se soit borné à imprimer le programme (1819, in-8°, chez Baudouin frères), et à permettre l'insertion de quelques leçons ou fragments de leçons dans le recueil juridique intitulé la Thémis, et dans le Dictionnaire de Droit de M. J.-B. Pailliet'. Tous les amis de la science administrative forment des vœux pour que ce grand et beau travail, ainsi que les matériaux immenses amassés par le professeur dans sa longue carrière, et principalement depuis la reprise de son cours, ne soient point perdus pour le public.

A l'étranger, plus encore qu'en France peut-être, M. de Gerando est placé au premier rang des hommes qui ont contribué à faire de la bienfaisance une science positive. De bonne heure il avait compris que, même en fait de charité, les élans du cœur ont besoin d'être soumis à des règles, d'une nature spéciale sans doute, mais qui sont susceptibles d'être déterminées d'une manière certaine. Pour découvrir ces règles, il se mêla activement aux institutions de bienfaisance pratique, visita les établissements de la France, de la Suisse, de l'Italie et de l'Allemagne, et entretint correspondance avec les principaux philanthropes du monde entier. Cédant aux désirs de ses amis, il rassembla les résultats de son expé rience, de ses méditations, de ses études comparées, dans deux livres, dont l'un a pour titre : le Visiteur du Pauvre,

1 V. au mot Administration.

2 L'Académie de Lyon a couronné cet ouvrage en 1820. L'année suivante, l'Académie française lui a décerné un des prix Monthyon.

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et l'autre de la Bienfaisance publique. Le premier est le guide de la bienfaisance privée; c'est une sorte de manuel à l'usage de chaque personne; il est simple et bref, quoique plein d'une onction pénétrante. L'autre embrasse les devoirs de la société à l'égard de l'indigence à tous les âges, chez les deux sexes, et dans les conditions si diverses où elle se présente au milieu des complications de notre civilisation ; c'est un vaste traité, très-substantiel malgré son étendue, où la science de l'économiste et de l'administrateur est toujours échauffée par le souffle de la charité chrétienne.

En effet, tous les travaux de M. de Gerando ont été animés par une seule et constante pensée : préparer et obtenir le bonheur de ses semblables par le concours des lumières et de la morale. Acceptant les nouvelles circonstances sociales qui sont nées des progrès de l'industrie, des richesses, de l'avancement même de la civilisation, et croyant que de ces circonstances sont sortis de nouveaux devoirs pour la société, pour les riches et pour les pauvres eux-mêmes, il a fait voir il a fait voir que l'harmonie ne peut s'établir dans les sociétés modernes qu'autant que chacun accomplira fidèlement, pour sa part, les obligations qui lui sont imposées. Elles se résument, pour le riche, dans un patronage éclairé et bienveillant envers le pauvre; pour celui-ci, dans le travail, l'esprit d'ordre

Il est traduit en allemand, en italien et en anglais. Il en a été fait en France quatre éditions, dont une in-18; chez J. Renouard et compagnie.

1 1839, 4 vol. in 18; chez J. Renouard et compagnie. Ce traité a eu pour origine deux travaux couronnés par l'Académie de Bordeaux et par l'Académie française, dans deux concours qui avaient pour but de faire rechercher et signaler les moyens de prévenir, de soulager et de restreindre, sinon de supprimer la pauvreté.

et de conduite; pour la société, dans des dispensations générales de protection, de prévoyance, de soulagement pour le malheur.

Ces pensées, qui forment la base des livres que nous avons cités, servent encore de fondement au travail couronné, en 1841, par la Société industrielle de Mulhouse, et qui a pour titre : des Progrès de l'industrie, considérés dans leurs rapports avec la moralité de la classe ouvrière'.

Dans la carrière littéraire, comme dans celle des fonctions publiques, les travaux de M. de Gerando ont ob tenu d'éclatantes récompenses. En l'an 8, il avait été élu membre correspondant de l'Institut par la section des sciences morales et politiques : après la suppression de cette classe, celle de littérature et d'histoire ancienne, qui porte, depuis 1816, le nom d'Académie des inscriptions et belles-lettres, le nomma membre titulaire en remplacement de l'historien Anquetil (7 avril 1805). En 1832, lors du rétablissement de la section des sciences morales et politiques sous le nom d'Académie, il y rentra comme titulaire. M. de Gerando était, du reste, membre de presque toutes les académies de France et d'Europe.

A ces indications, trop sèchement exactes, sur ses fonctions, ses titres et ses ouvrages, nous regrettons de ne pouvoir ajouter ici quelques détails sur sa vie privée. Combien il nous serait doux de le montrer simple et bon pour tous, mais surtout pour ses inférieurs et pour les malheureux; fidèle à ses attachements dans toutes les fortunes; dévoué pour les siens jusqu'au sacrifice; ouvrant à la jeunesse, avec une libéralité presque sans

1 In-8°, 1841; chez J. Renouard et compagnie.

exemple, non-seulement l'accès de sa maison, mais les trésors de son immense savoir et ceux de son âme si riche en précieux enseignements! Quelle admirable sérénité au milieu de tant de travaux, de soins, et aussi d'épreuves souvent bien cruelles ! Comme en l'approchant on se sentait pris d'un dédain salutaire pour les agitations qui tourmentent aujourd'hui la vie de tant d'hommes publics et de prétendus philosophes !

Au mois d'avril dernier, la santé de M. de Gerando avait éprouvé une atteinte profonde, dont il ne se dissimula pas la gravité et dont il envisageait les suites avec une résignation toute chrétienne et une modeste assurance dans la bonté et la justice du Créateur. Les soins de l'art et de l'amitié, la tendresse la plus délicate et la plus dévouée, ne purent qu'adoucir ses maux : les sources de la vie étaient épuisées. Le 10 novembre, vers les 9 heures du matin, après une nuit douloureuse, il parut s'endormir dans son fauteuil : il ne s'est pas réveillé !

J. BOULATIGNIER.

VI. Histoire des institutions mérovingiennes et du gouvernement des Mérovingiens jusqu'à l'édit de 615. Ouvrage de M. J.-M. Lehuërou, professeur agrégé de la faculté des lettres de Rennes, et professeur d'histoire au collége royal 1.

Par M, WARNKŒENIG,

professeur de droit à l'université de Fribourg.

On ne peut qu'applaudir aux efforts que font les historiens français de nos jours pour rétablir, à l'aide de

1 Paris, Joubert, 1842. Un volume de 524 pages.

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