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jugements de séparation de corps (aj. C. de comm., art. 66). Certainement les créanciers pourraient attaquer la liquidation faite entre les époux (sans même avoir la charge de démontrer la fraude), si cette prescription n'avait pas été observée; c'est ce que décide, en réalité, l'article 66 du Code de commerce.

Quoi qu'on ait pu dire et juger il y a peu d'années (1), nous persistons à croire, selon l'opinion unanimement adoptée dans l'enseignement du droit civil à la Faculté de Paris, que le jugement de séparation de corps ne rétroagit pas au jour de la demande, à la différence du jugement rendu sur une demande principale en séparation de biens (V. art. 1445 in fine, 1441, n° 4, 1443 et suiv., 1563) (2). Ce qui montre bien que telle est la pensée de la loi, c'est que la demande en séparation de corps ne reçoit aucune publicité analogue à celle qui est requise pour la demande en séparation de biens (V. C. de pr., art. 866-869). La femme peut, au reste, les former toutes les deux cumulativement, si ses intérêts l'exigent.

IX. Nous avons dit plus haut que la jurisprudence, après avoir beaucoup hésité, applique aujourd'hui à l'époux coupable, contre lequel la séparation est pro

(1) V. l'arrêt de la Ch. des req. de la Cour de cass., du 20 mars 1855 (Bégis c. Bégis et autres). Cet arrêt évite, il est vrai, de trancher la question en ce qui concerne les droits des tiers. V. les observations de M. Devilleneuve sur cet arrêt (1856, 1, 401).

(2) V. Delvincourt, t. I, p. 85, note 3; M. Duranton, 4o édit., t. II, no 622; Demante, t. II, p. 29; M. Demolombe, t. IV, n° 514; Proudhon, t. I, p. 541, note a.

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noncée, les articles 299 et 300, relatifs à la perte des avantages reçus de l'autre époux (1); c'est surtout pour les avantages qui résultent des conventions matrimoniales que la décision a de l'importance, car les libéralités faites pendant le mariage sont toujours révocables au gré du donateur (art. 1096). Cette solution a toujours été la nôtre, et nous n'avons jamais pu croire que la loi eût voulu pousser l'époux donateur à recourir au divorce, plutôt qu'à la séparation par la considération d'un intérêt purement pécuniaire, qui est la révocation de sa libéralité. D'ailleurs l'époux coupable, dont la faute a donné lieu à la séparation, s'est rendu indigne des bienfaits de l'autre; ces avantages lui étaient conférés en vue de l'union intime de vie et d'affection qui devait régner entre eux. Enfin l'article 1518 montre la vérité de cette doctrine, puisqu'il la présuppose, plutôt qu'il ne s'occupe de l'établir, au sujet du gain de survie ou préciput de communauté, dont le bénéfice éventuel est maintenu seulement au profit de l'époux « qui a obtenu, soit le divorce, soit la séparation de corps. » (V. à ce sujet la dissertation de M. Proudhon avec les notes, t. Ier, p. 543-549.)

Nous ne pensons pas, du reste, que l'intérêt de cette révocation des libéralités, non plus que celui de la question des frais (V. C. de pr., art. 130), puisse autoriser les héritiers du demandeur à continuer l'instance

(1) V. Cour de cass., ch. réunies, arrêt du 29 mai 1845 (Lefoulon c. Brée). Beaucoup d'arrêts antérieurs de la même cour avaient décidé le contraire.

entamée par celui-ci; et c'est ce qui a été jugé plusieurs fois; il ne peut y avoir une séparation de corps prononcée lorsque la mort de l'un des époux a déjà dissous le mariage. Mais les héritiers du donateur pourront recourir à l'action principale en révocation de la donation pour ingratitude, s'ils se trouvent dans les termes des articles 955 et 959, s'agit-il même de libéralités faites par contrat de mariage; car nous partageons l'opinion la plus accréditée, qui ne range point ces libéralités parmi celles que protége l'article 959, comme faites en faveur du mariage ou de l'établissement tout entier (comp. art. 1093 in fine; V. làdessus, Proudhon, t. I, p. 545-548).

X. Du reste, la séparation de corps ne détruit point le droit de successibilité réciproque entre les époux, tel qu'il est réglé par les articles 723, 724, 767 et suiv.; comp. art. 140.

XI. L'article 308(1), supposant la séparation de corps prononcée contre la femme pour adultère, veut que le tribunal civil inflige à celle-ci, par le jugement même de séparation, un emprisonnement correctionnel (comp. art. 298, et C. pén., 337) (2). Les dispositions, conformes à cet égard, des articles 298 et 308, parurent nécessaires pour réparer un oubli du Code pénal, alors en

(1) V. ci-dessus, p. 143.

(2) Cette réclusion dans une maison de correction, dont parlent les articles 298 et 308 du Code Napoléon, n'est autre chose qu'un emprisonnement. La réclusion, proprement dite, est aujourd'hui une peine afflictive et infamante (V. C. pén., art. 7 et 21).

vigueur (1), qui ne contenait pas de peine contre l'adultère de la femme. Il faut remarquer dans l'article 308 l'omission, évidemment calculée, de la première partie de l'article 298 qui établit un empêchement de mariage entre la femme adultère et son complice. C'est que la situation était bien différente, la séparation de corps n'ayant pas dissous le mariage actuel.

Le mari exerce une sorte de droit de grâce à l'égard de la femme ainsi condamnée à l'emprisonnement (art. 309, et C. pén., art. 337). Dans ce cas, comme dans tous les autres, la réconciliation des époux fait cesser la séparation de corps; mais la volonté seule de celui qui a triomphé dans la demande ne pourrait produire cet effet: car toutes les parties entre lesquelles un jugement a été rendu sur une question d'état peuvent s'en prévaloir. Voyez, en ce sens, Pothier, Traité de la communauté, t. II, no 526, et un arrêt de la Cour de cassation, du 3 février 1841 (2). L'article 1451, parlant du rétablissement de la communauté dissoute par la séparation de corps, exige également pour produire cet effet le consentement des deux parties. Nous remarquerons ici qu'il faudra rétablir, avec la communauté (ou le régime

(1) Celui du 25 septembre-6 octobre 1791.

(2) Ch. des req., rej. (Dev.-Car., 41, 1, 98). Dans cette affaire, la femme condamnée à l'emprisonnement avait subi sa peine; l'arrêt attaqué était de la Cour d'Angers, 19 avril 1839 (époux Trouillet). Aj., dans le même sens, M. Demolombe, t. IV, n° 632 et suiv. V., en sens contraire, M. Duranton, t. II, n" 525 et 618.

primitif quel qu'il fût), les donations faites par le contrat de mariage à l'époux contre lequel la séparation avait été prononcée : car ces donations formaient avec les autres clauses de la convention matrimoniale un ensemble qui ne doit pas être divisé, et l'article 1451 veut expressément que les choses soient «<remises au même état que s'il n'y avait point eu » de séparation (1). »

Nous n'avons rien à ajouter sur l'article 310, indiqué au commencement de nos explications sur ce Titre, et qui se trouve abrogé par la loi abolitive du divorce.

TEXTES RELATIFS AU TITRE VI.

Loi du 8 mai 1816, sur l'abolition du divorce.

Art. 1er. Le divorce est aboli.

Art. 2. Toutes demandes et instances en divorce, pour causes déterminées, sont converties en demandes et instances en séparation de corps; les jugements et arrêts restés sans exécution par le défaut de prononciation du divorce par l'officier de l'état civil, conformément aux articles 227, 264, 265 et 266 du Code civil, sont restreints aux effets de la séparation.

Art. 3. Tous actes faits pour parvenir au divorce par consentement mutuel sont annulés. Les jugements et arrêts rendus en ce cas, mais non suivis de la pro

(1) Comp. Proudhon, t. I, p. 550 et suiv., et les notes.

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