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toujours d'une précision mathématique absolue. Certainement, pour être exact, il aurait fallu y mettre : << depuis avant le trois centième jour jusques après le >> commencement du cent quatre-vingtième. » Mais combien cette phrase eût paru lourde et embarrassée! Le sens rigoureux dont nous parlons est suffisamment indiqué par les principes généraux, tels qu'ils résultent des travaux préparatoires du Code (1) et du texte même des articles 314 et 315, où, en somme, il n'y aura plus rien à reprendre, dès que l'on admettra la computation d'heure à heure.

VII. Nous n'avons rien à ajouter à ces explications données sur l'article 312; c'est aux juges à apprécier en fait la cause d'éloignement ou la nature de l'accident d'où sera résultée l'impossibilité physique de cohabitation entre les époux pendant tout le temps durant lequel doit se placer la conception, c'est-à-dire pendant une durée continue de plus de cent vingt jours, s'étendant, d'une part, au delà du trois centième, et, d'autre part, en deçà du cent quatre-vingtième jour, avant l'accouchement.

VIII. La loi prend soin d'exclure l'impuissance naturelle des causes qui peuvent fonder l'action en désaveu du mari (art. 313). Ceci a trait d'abord sans difficulté à l'impuissance qui provient de la faiblesse de la constitution, et que l'on cherchait autrefois à vérifier par des épreuves aussi ridicules que scandaleuses. La règle

(1) V. les passages de Fenet, auxquels nous avons déjà renvoyé ci-dessus, p. 165, à la note.

est absolue en ce sens, et l'état physique dont il s'agit ne pourrait être allégué, même comme preuve auxiliaire, dans le cas de recel dont nous parlerons tout à l'heure. Mais l'article, par sa généralité, s'applique aussi à l'incapacité d'engendrer qui résulterait d'un vice extérieur et patent de conformation. Le mari serait donc, en ce cas, repoussé par une véritable fin de non-recevoir; et l'on devrait encore, ce semble, par un motif d'analogie complète, écarter son désaveu, s'il alléguait une impuissance ayant pour cause un accident antérieur au mariage (V. M. Demolombe, t. V, n° 33 et suiv.).

IX. Le désaveu dont parle l'ancien article 313 (4 partie de l'article 313 actuel) se fonde non plus sur une impossibilité physique de cohabitation, mais sur des considérations de divers ordres, laissées à l'appréciation des juges, et dont la base doit être l'aveu tacite que la femme semble faire de l'illégitimité de l'enfant en cachant sa naissance au mari. Mais, ce recel de la naissance une fois établi, nous abandonnons aujourd'hui l'idée qu'il faille, en outre, prouver l'adultère de la femme d'une manière distincte et formelle, pendant l'instance en désaveu, s'il ne l'a déjà été antérieurement (4). Nous admettons que la pensée de l'article

(1) Nous avons autrefois soutenu le contraire, en cela d'accord avec Proudhon (t. II, p. 30, note a); nous argumentions de divers passages des discours des orateurs du gouvernement et du tribunat, lesquels ou n'entendent que donner des exemples, ou forcent le sens de la loi. M. Bigot-Préameneu, par exemple, ne semble-t-il pas exiger que la femme ait été condamnée pour adultère? Or personne aujourd'hui ne va jusque-là.

est tout simplement celle-ci : L'adultère de la femme ne constitue point une cause péremptoire de désaveu; la décision contraire serait d'une sévérité outrée, ou, pour mieux dire, absurde. Car on ne peut logiquement raisonner ainsi : La femme a commis un adultère à une époque qui peut se rapporter au temps de la conception, donc l'enfant n'est point conçu des œuvres du mari. Mais si la femme a voulu cacher au mari la naissance de l'enfant, comme alors tous les faits propres à justifier le désaveu sont admissibles (comp. article 325), l'adultère pourra figurer dans le nombre, et même, si on le prouve à part et d'une manière distincte, én sera un des plus notables. Nous partageons donc, à cet égard, la doctrine exposée par notre savant et si regrettable collègue, M. Demante, dans son Cours analytique (1); elle est, au fond, celle de la jurisprudence, malgré l'ambiguïté de la rédaction de plusieurs arrêts. M. Demolombe arrive, en réalité, à un résultat semblable, au moins dans presque tous les cas (t. V, n° 44 à 46).

X. La loi du 15 novembre 1850, décrétée par l'Assemblée nationale sur l'initiative de M. Demante (2), comble, en matière de séparation de corps, une lacune laissée jusqu'alors dans notre législation et que nous avions signalée dans une note sur Proudhon (t. II, p. 25, note a). Aux termes de la loi de 1850, une addition faite à l'article 313 du Code permet au mari de

(1) T. II, p. 53 et 54.

(2) M. Demante fut aussi chargé des fonctions de rapporteur.

désavouer l'enfant dont la conception, en suivant les règles expliquées ci-dessus, se placerait à l'époque où il y avait entre les époux séparation de corps prononcée, ou même autorisation donnée à la femme d'habiter provisoirement, pendant l'instance, une maison désignée à cet effet. D'après la rédaction primitive de la loi, le mari aurait eu seulement, dans les deux cas dont il s'agit, un droit identique à celui que l'article du Code lui accorde au cas de recel de la naissance, c'est-à-dire qu'il eût été « admis à proposer tous les >> faits propres à justifier qu'il n'était pas le père de l'en>> fant.» Mais, sur nos observations, cet ordre d'idées fut abandonné dans la commission parlementaire chargée d'examiner le projet on pensa qu'il serait plus moral dans la loi de ne pas considérer comme un fait régulier et présumable la cohabitation de deux époux, qui refuseraient néanmoins de renoncer à la séparation de corps ou à l'instance en séparation, en un mot, de se réconcilier et de rétablir purement et simplement la vie commune. On convint, par suite, d'accepter notre rédaction, et on nous chargea de la présenter, en notre nom, à l'Assemblée nationale, ce que nous fimes, de concert avec un de nos collègues (1). Il en résulte que le désaveu du mari doit être péremptoire, quand il est fondé sur la séparation de corps prononcée ou demandée (2). C'est ce qu'indique le

(1) M. de Vatimesnil.

(2) L'amendement fut présenté à l'Assemblée le 6 décembre 1850, accepté par le rapporteur et voté sans qu'il fût dit un seul mot d'explication pour le justifier. C'était au moment du vote

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nouvel article, en disant : Le mari « pourra désavouer l'enfant », expression dont se sert également l'article 342 pour les cas d'impossibilité physique de cohabitation; seulement le nouvel article permet d'opposer à l'action en désaveu, à titre d'exception dont il devra être fait preuve, qu'« il y a eu réunion de fait entre les époux », bien entendu à une époque telle que la conception de l'enfant puisse s'y rapporter (1).

Dans la seconde rédaction comme dans la première, on a indiqué un des cas du désaveu (celui qui est fondé sur la trop courte durée de la grossesse), en supposant que l'enfant serait « né moins de cent quatre-vingts

définitif de la loi, et on craignait d'éveiller dans les esprits le goût d'une discussion intempestive sur un sujet aussi scabreux. Cette marche eut un inconvénient grave, en ce que plusieurs interprètes ont été tout désorientés, ne pouvant comprendre le but du changement opéré, ni mettre ce changement d'accord avec l'exposé des motifs du projet de loi. On peut voir à ce sujet les excellentes explications données par M. Demante lui-même, dans son Cours analytique, etc., t. II, no 40, p. 56 et suivantes. M. Gilbert (Dev.-Car., 1854, 2, 84) s'est trompé en écrivant, sur la foi du Moniteur, que la loi a été promulguée dans des termes tout différents de ceux qui ont été lus et votés à la séance du 6 décembre. La rédaction lue et adoptée est bien celle qui a été insérée au Bulletin des lois (Bull. 333, no 2583), et qu'on trouve dans toutes les éditions subséquentes du Code Napoléon. On peut le vérifier en recourant au Compte rendu officiel des séances de l'Assemblée nationale législative, t. X, p. 547.

(1) Cela est très-bien exposé dans un jugement du tribunal de Bar-sur-Aube, confirmé par un arrêt de la Cour impériale de Paris, du 18 février 1854 (V. le Droit du 19 février); aj. un trèsbon article de M. Quénault, docteur en droit, inséré dans la Revue critique de législation, etc., t. XI, p. 308.

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