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LXXIX. De l'émancipation (chap. 3). — Déjà plusieurs fois nous avons indiqué l'émancipation comme mettant fin à la puissance paternelle proprement dite, et aussi à la tutelle (V. art. 372; 377, 384 et 471). Par l'émancipation, le mineur est placé à la tête de ses affaires; il administre ses biens et peut se choisir un domicile; mais il demeure incapable de faire seul les actes les plus importants, et pour certains d'entre eux, tels que le compte de tutelle dont nous venons de parler (V. art. 480), il doit être assisté d'un cu

rateur.

LXXX. De la manière dont a lieu l'émancipation.L'article 476 reproduit une ancienne règle du droit coutumier, en déclarant que « le mineur est émancipé » de plein droit par le mariage ». C'est là une dispo sition d'ordre public, et on ne pourrait y déroger par aucunes conventions ou réserves faites lors du mariage du mineur (comp. art. 6). Ajoutons que si le mineur devient veuf, il n'en reste pas moins émancipé, et cela, lors même qu'il n'a pas d'enfants de son mariage la loi ne fait ici aucune distinction, et a raison de n'en pas faire; car le sentiment public serait certainement blessé de voir remettre sous l'autorité d'un tuteur celui qui s'est une fois engagé dans les devoirs si importants de la vie conjugale (4).

(1) Sauf, bien entendu, les cas d'interdiction (V. art. 489 et C. pén., art. 29). Nous verrons plus tard que les mineurs non mariés, émancipés par un acte formel, peuvent être replacés en tutelle pour avoir abusé de l'émancipation (art. 485 et 486).

LXXXI. L'émancipation du mineur non marié (V. art. 477) est une sorte d'abdication de la puissance paternelle. Elle résulte d'une déclaration que fait le père, ou, à défaut de père, la mère, ou enfin le conseil de famille, si le mineur est resté sans père ni mère. Le tout doit avoir lieu dans les formes et sous les conditions indiquées par les articles 477 et 478.

Le père, ou, à défaut de père, la mère, peut émanciper le mineur dès qu'il a atteint l'âge de quinze ans révolus (art. 477). La déclaration qu'ils font dans ce but est reçue par le jugé de paix assisté de son greffier (ibid.).

Le droit de la mère ne s'exerce-t-il qu'après la dissolution du mariage, c'est-à-dire après la mort de son mari (comp. art. 3'73)? ou peut-elle émanciper son enfant lorsque le mari est dans l'impossibilité de manifester sa volonté, par exemple s'il est interdit ou absent (1)?

Sans nul doute, la mère aurait alors le droit de consentir au mariage de l'enfant (V. art. 149); mais de là on ne doit encore rien conclure en ce qui regarde l'émancipation, car le mariage est traité par la loi avec une faveur très-exceptionnelle. Aussi voit-on qu'il peut être autorisé par les aïeuls et aïeules, à défaut des père et mère, tandis que jamais le droit d'émanciper n'appartient aux ascendants supérieurs. De même, la fille qui a perdu ses père et mère est capable de

(1) Dans le cas d'absence, on ne peut dire que le mariage soit dissous, puisque la mort de l'absent est un fait incertain.

se marier à un âge où il ne serait pas encore permis de l'émanciper directement (comp. art. 144 et 478).

L'article 3 du Code de commerce ne peut non plus servir à décider notre question; car cet article, supposant d'abord un mineur émancipé, âgé de dimhuit ans, détermine comment il deviendra capable de faire le commerce, et, à ce sujet, décide que l'autori sation nécessaire pourra être donnée au mineur « par » sa mère, en cas de décès, interdiction ou absence » du père. » Dans tout cela, on le voit, il n'est pas littéralement question du droit d'émanciper.

Sans nous attacher à ce dernier texte, disons: La mère doit avoir le droit de faire, quand elle exerce la puissance paternelle (comp. p. 212, n° I, et p. 223, n° VI), tous les actes nécessaires aux intérêts du mineur; et parmi ces actes il faut comprendre l'émanci pation, puisque les circonstances peuvent exiger que le mineur soit placé à la tête de sa fortune, et parfois même qu'il embrasse immédiatement une profession commerciale. Et si l'on se place dans cette dernière hypothèse, l'exercice du droit de la mère paraît d'autant plus admissible, que l'époque de la majorité est très-proche, et que l'usufruit légal du père a déjà pris fin; car, on se le rappelle, le mineur commerçant doit avoir au moins dix-huit ans accomplis (comp. art. 384; comp. C. de com., art. 1). Il y a plus de difficulté sans doute si le mineur n'a pas encore dix-huit ans, car l'émancipation peut alors nuire au père, en lui faisant perdre la jouissance légale des biens de l'enfant (même art. 384). Mais dans cette hypothèse même,

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il faut s'attacher à l'intérêt de l'enfant, qui ne doit être sacrifié à aucun autre. Pour cela, il suffit d'interpréter largement notre article 477; en effet, ces mots de l'article à défaut de père, peuvent être entendus comme signifiant : à défaut du père, c'est-à-dire lorsque le père manque, lorsqu'il fait défaut, et ne peut remplir activement les devoirs de l'autorité paternelle, Peut-être, d'ailleurs, le mineur n'a-t-il que des biens auxquels ne s'étend pas la jouissance légale (comp. art. 387), avec fort peu de chances d'en acquérir d'une autre nature (1).

En parlant de l'absence du père, nous voulons indiquer non-seulement l'absence déclarée, mais encore ce qu'on nomme proprement la présomption d'absence (V. art. 112 à 114). L'article 141, il est vrai, se borne à dire que la mère des enfants mineurs, dont le père a disparu, « en aura la surveillance, et exercera tous » les droits du mari, quant à leur éducation et à l'ad>> ministration de leurs biens. » Mais tout ce qui résulte de là, c'est que le droit d'émancipation n'est pas formellement indiqué par ce texte, qui ne l'exclut pas non plus; et dès lors se représente le motif capital qui a été donné plus haut, à savoir, la prédominance de l'intérêt de l'enfant : ce motif est toujours le même, quelle que soit la période actuelle de l'absence.

(1) Autrefois nous n'avions pas osé reconnaître aussi largement à la mère le droit d'émanciper. En cela nous avions été dominé par l'autorité de Proudhon (V. le t. II, p. 425 et note a, ibid.).

Nous ne pouvons admettre en principe que, dans ces circonstances et autres semblables, l'opportunité de l'émancipation doive être appréciée et jugée par les tribunaux; car les tribunaux n'ont pas l'exercice de la puissance paternelle, et ils n'interviennent que dans des cas de nécessité flagrante pour en arrêter les abus.

Le père ou la mère, quoique exclus de la tutelle, n'en conserve pas moins le droit d'émanciper; et aussi la mère, lorsque, ayant contracté un nouveau mariage, elle a perdu la tutelle, ou par voie de déchéance légale, ou en vertu d'une décision du conseil de famille, selon les cas (V. art. 395 et 396). Il en serait autrement si le père ou la mère avait été, par suite de l'application de l'article 335 du Code pénal, dépouillé des droits et avantages qui constituent la puissance paternelle (V. cet art. 335): car l'émancipation est elle-même un acte de cette puissance. Et si, enfin, on suppose que le père, ou la mère, tout en conservant, en principe, la puissance paternelle, n'a cependant pas la garde de l'enfant mineur, parce que cette garde lui a été enlevée par décision de justice (comp. art. 302 et 303; comp. ci-dessus, p. 147 in fine, 212 in fine), on devra prendre alors un moyen terme, et il sera raisonnable de n'admettre le droit d'émanciper que sous le contrôle des tribunaux, puisque, au fond, l'émancipation se rattache à la direction de l'enfant et à l'appréciation de sa conduite (1).

(1) V., à ce sujet, M. Demolombe, t. VI, no 405.

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