Page images
PDF
EPUB

étrangère au commerce, par exemple de les employer à payer les dettes d'un tiers.

CI. Du cas où l'émancipation est révoquée. Le mineur peut être reconnu indigne de l'émancipation qu'on lui avait accordée. C'est ce que la loi prévoit d'une manière formelle, en supposant que les engagements du mineur ont été réduits comme excessifs, ainsi que nous l'avons expliqué plus haut.

Dans ce cas, le mineur « pourra être privé du bé» néfice de l'émancipation, laquelle lui sera retirée en >> suivant les mêmes formes, etc.» (V. art. 485). Ceci pourra être appliqué même lorsque les engagements, étant de nature à être réduits, ont été maintenus à raison de la bonne foi des personnes qui ont contracté avec le mineur; si, par exemple, il avait fait des commandes à un grand nombre de fournisseurs, chacune de ces dépenses étant d'ailleurs modérée et raisonnable, et l'excès de la dépense ne résultant que de leur ensemble. En pareil cas, il faudra que l'excès de la dépense ait été formellement reconnu par le tribunal: par là il sera constant que les engagements sont excessifs et, en principe, réductibles, et, dès lors, le mineur ne pourra se prévaloir de ce qu'on ne les a pas effectivement réduits, car on ne les a maintenus que dans l'intérêt des tiers et à raison de leur bonne foi (1).

(1) V., en ce sens, MM. Demolombe, t. VIII, no 346; Aubry et Rau, t. I, § 135, p. 500, et note 1, ibid., ainsi que les autorités qu'ils rapportent.

Mais nous n'admettons pas que l'émancipation puisse être révoquée pour d'autres causes, telles que la mauvaise conduite personnelle du mineur, ou les fautes qu'il aurait commises dans sa gestion. Nous ne croyons pas non plus que jamais la demande en réduction des engagements puisse être formée soit par le curateur, soit par les père et mère, ou par le conseil de famille. En effet, le mineur émancipé a seul l'administration de ses biens, ce qui comprend l'exercice de ses actions; or, le retrait de l'émancipation n'apparaît dans la loi que subsidiairement (V. art. 485), et comme une sorte de conséquence de la décision de justice qui a proclamé l'excès des dépenses. Il est présumable que presque toujours le mineur ne se refusera pas à former sa demande en réduction, lorsqu'il sera éclairé sur son droit à cet égard. Néanmoins il faut bien reconnaître que le contraire peut arriver; et sur ce point la loi, suivant nous, présente une lacune qui devrait être comblée (1).

CII. L'émancipation, dit l'article 485, « lui sera >> retirée (au mineur), en suivant les mêmes formes » qui auront eu lieu pour la lui conférer. » L'article renvoie par là aux formes indiquées dans les articles 477 à 479. Il n'exige pas que l'émancipation soit révoquée par les mêmes personnes qui en avaient conféré le bénéfice: le droit de révocation, comme le

(1) V. Observations sur Proudhon, t. II, p. 443; comp. Aubry et Rau, t. I, p. 493, et note 10, ibid.; opp. M. Demolombe, t. VIII, no 347 et 348.

droit d'émancipation lui-même, et, en général, tout ce qui constitue la puissance paternelle, se transmet de l'un à l'autre, suivant un ordre hiérarchique établi par la loi, c'est-à-dire du père à la mère, et de celle-ci au conseil de famille (1).

D'un autre côté, ces mots de l'article 485 : en suivant les mêmes formes, etc., font voir qu'il n'est pas question ici de l'émancipation qui est résultée du mariage. Ce que l'on peut retirer au mineur, c'est le bénéfice qu'on lui a accordé par une sorte de surprise, et parce qu'on a trop présumé de son intelligence et de son esprit de conduite; mais le mineur qui se marie est émancipé forcément, à raison de son état et par la seule force de la loi. Nous avons remarqué plus haut (n° LXXX, p. 304) que, dans nos mœurs, on ne comprendrait pas qu'un individu marié, ou même veuf, avec ou sans enfants, soit, à, cause de son âge, retenu en tutelle. Si une situation semblable avait pu exister, surtout pendant la durée du mariage, le législateur n'aurait pu manquer d'en déterminer les effets, de même qu'il a eu soin de régler la position de l'époux au cas d'interdiction (comp. art: 506 et 507).

CIII. Lorsque l'émancipation aura été ainsi révo quée, «<le mineur rentrera en tutelle et y restera jus» qu'à sa majorité accomplie » (art. 486). Ainsi, une

(1) Comp. ce que nous avons dit au sujet de l'action en nullité du mariage faute d'autorisation, no XIX, p. 109 et suiv., bien que là il ne s'agisse pas de la puissance paternelle proprement dite.

nouvelle émancipation ne pourra lui être conférée directement et en suivant les formes indiquées ci-dessus (V. art. 477 à 479). Mais l'article 486 n'entend pas dire que le mineur ne sera pas émancipé dans le cas où il viendrait à se marier; car l'émancipation est une conséquence nécessaire du mariage, ainsi que nous l'avons établi plus haut. Là-dessus tous les interprètes sont d'accord.

Au contraire, on est divisé sur le point de savoir si le mineur qui « rentre en tutelle » est remis, de plein droit, sous l'autorité de l'ancien tuteur, dont les fonctions avaient pris fin par suite de l'émancipation (1). Suivant nous, on doit ici admettre l'affirmative, et cela d'une manière générale, en rejetant les distinctions que font beaucoup d'auteurs, chacun à sa guise et d'après son impression personnelle, sans pouvoir les asseoir sur aucun texte positif (2). Ainsi nous décide

(1) Si le mineur n'était pas en tutelle lors de l'émancipation (V. art. 389), la tutelle qui s'ouvrirait pour l'avenir serait déférée selon les règles ordinaires (V. M. Boileux, 6° édit., sur l'art. 486), sauf à observer que le père ou la mère qui a conféré l'émancipation pourrait être regardé, selon les circonstances, comme ayant tacitement révoqué le choix qu'il aurait fait d'un tuteur dans un acte testamentaire ou autre (V. art. 397 et 398; comp. art. 1038).

(2) V. Proudhon, t. II, p. 443 et 444 (comp. nos Observations, ibid., p. 295); Toullier, t. II, p. 439; MM. Duranton, t. III, no 676; Marcádé, sur l'art. 486, no 11; Demolombe, t. VIII, no 364 et suiv. (et divers jurisconsultes cités par lui dans le n° 366). Seul, M. Boileux (loc. cit.), semble admettre que, dans aucun cas, l'ancienne tutelle ne renaît par l'effet de la révocation, et qu'il faudra toujours nommer un nouveau tuteur et un nouveau subrogé tuteur. Ce serait là juste le contre

rons que la tutelle doit être rendue à l'ancien tuteur, quel qu'il soit, c'est-à-dire non-seulement au tuteur légitime, mais aussi au tuteur testamentaire, ou nommé par le conseil de famille, sauf, bien entendu, l'application des règles ordinaires sur les causes d'exclusion ou d'excuse qui auraient pu surgir (1). La même règle s'étendra au subrogé tuteur qui avait été relevé de ses fonctions.

La puissance sur la personne, dans les cas où elle est séparée de la tutelle (V. ci-dessus, n° XX, p. 236, et n° LVIII, p. 283), renaît également dès que l'émancipation est révoquée. On a mis en doute si la jouissance légale doit être rétablie sur les biens du mineur, en supposant que celui-ci n'a pas encore atteint l'âge de dix-huit ans (V. art. 384). Ici encore nous répondrons affirmativement: il serait illogique de ne pas faire revivre ce droit du père ou de la mère, comme tous les autres droits que l'émancipation avait fait cesser. Le mineur ne jouissait de ses biens que parce qu'il en était administrateur; tout se tenait dans la situation nouvelle qu'on lui avait créée, et dans laquelle il n'a pas su se maintenir (2).

pied de la solution que nous proposons dans notre texte; celle-ci nous paraît naturellement résulter de ces mots : « Le mineur rentrera en tutelle. » Et d'ailleurs, elle est tout à fait conforme à la maxime usuelle: Cessante causa, cessat effectus. (1) V. art. 427 à 449.

(2) V. Proudhon, t. II, p. 445 et note a, ibid.-M. Demante (t. II, n° 129 bis, VIII, et 257 bis) décide le contraire, par le motif qu'aucun soupçon d'intérêt personnel ne doit s'élever contre le père ou la mère qui révoque l'émancipation.

« PreviousContinue »