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s'appliquer à la transaction sur les actes de l'administration pure? Car enfin, dirait-on, le prodigue n'a pas moins d'intelligence que tout autre pour apprécier le sens et la portée d'un acte de ce genre. Peutêtre cependant a-t-on pu craindre que la transaction ne servit à déguiser des libéralités que le prodigue est incapable de faire seul. Quant au faible d'esprit, on comprend beaucoup plus facilement qu'il soit toujours incapable de transiger, et nous avons nous-même admis ce résultat en ce qui regarde le mineur émancipé (V. n° XCVII, p. 327).

Nous allons maintenant approfondir un peu les détails de cette matière, et, comme les incapacités indiquées dans les deux articles 499 et 513 sont exactement les mêmes, il sera toujours entendu, pour éviter des répétitions inutiles, que ce que nous dirons du prodigue devra être considéré comme applicable au faible d'esprit.

Le prodigue, ne pouvant, comme nous l'avons dit, plaider sans l'assistance du conseil, a, sous ce point de vue, moins de capacité que le mineur émancipé; car celui-ci, tout le monde en convient, peut plaider sans son curateur, soit comme demandeur quand il s'agit de ses revenus, soit comme défendeur en toute matière purement mobilière (V. art. 482; comp. ce qui est dit ci-dessus, p. 316 et suiv., n° XCI). Nous reconnaîtrons bientôt que, sous d'autres rapports encore, les prodigues ont une capacité moindre que celle des mineurs émancipés.

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Nous ne nous arrêterons pas sur la défense que

la loi fait au prodigue « d'emprunter, de recevoir >> un capital mobilier et d'en donner décharge.... sans >> l'assistance d'un conseil, etc. »; car bien certainement l'emprunt et la réception d'un capital mobilier sont des actes dangereux et dont l'abus pourrait causer la ruine de l'incapable (comp. art. 482 et 483).

Mais de graves difficultés peuvent s'élever sur la défense d'aliéner qui figure aussi dans l'article 543. Ce mot aliéner ne saurait être pris dans un sens absolu et indéfini. Le prodigue peut évidemment, seul et sans l'assistance du conseil, donner ses immeubles à bail pour un temps qui ne dépasse pas la limite des droits d'un administrateur (V. art. 1429, 1430, 1718, et le Titre préc., nos LIII et XC) : or de là il faut conclure que, si ce prodigue exploite par lui-même, il pourra, seul et sans assistance, vendre ses récoltes; en effet, le bail d'un fonds de terre emporte implicitement l'aliénation des fruits pour toute la durée de la location. La défense d'aliéner reçoit donc par là une première exception. De même, toujours en s'attachant à ce principe, que le prodigue a le droit d'administrer, on ne saurait lui interdire de vendre les meubles corporels de peu d'importance, qui, dans le cours de l'administration, doivent être remplacés (V. le Titre préc., p. 315, n° XC). Nous n'irons pas néanmoins jusqu'à dire, avec M. Demolombe (t. VIII, no 729), que le prodigue a le droit général d'aliéner son mobilier corporel (aux enchères ou à l'amiable) peutêtre ce mobilier a-t-il une très-grande valeur, et nous ne saurions croire que la loi ait voulu donner, soit au

faible d'esprit, soit au prodigue (car leur capacité est la même), un pouvoir illimité à cet égard. A plus forte raison ne leur permettrons-nous pas de disposer du mobilier incorporel, tel que les créances, fonds de commerce, propriété littéraire, droit de bail, rentes sur l'État, même ne dépassant pas cinquante francs de revenu, etc.

On nous objectera peut-être que nous permettons au mineur émancipé d'aliéner son mobilier, corporel ou incorporel (1) et que nous n'exigeons l'assistance du curateur que pour la réception du prix et la décharge qui en est donnée (V. p. 346, no XCI). A cela nous répondrons que la loi ne dit nulle part, en termes généraux, que le mineur émancipé « ne pourra aliéner », mais seulement qu'«il ne pourra... vendre >> et aliéner ses immeubles sans observer les formes >> prescrites au mineur non émancipé » (art. 484). L'article 484 ajoute, il est vrai, qu'il ne pourra « faire >> aucun acte autre que ceux de pure administration, » sans observer les formes, etc. »; mais tout ce qui résulte de là, c'est qu'il faut observer toutes les formes prescrites au tuteur; que, par conséquent le mobilier corporel du mineur émancipé doit être vendu aux enchères reçues par un officier public et après des affiches et publications, etc. (V. art. 452), et que pour certaines valeurs incorporelles, la vente doit avoir lieu

(1) Sauf ce qui est réglé par la loi du 24 août 1806, et par le décret du 25 septembre 1813, pour les rentes sur l'État et les actions de la Banque de France.

à la Bourse et par le ministère d'un agent de change (comp. ci-dessus, p. 278 et saiv.). Il n'en est pas de même lorsqu'il s'agit du faible d'esprit et du prodigue ici les articles 499 et 513, comme le fait remarquer M. Demante, évitent toute expression particulière qui laisse place à une distinction entre les diverses natures de biens, et ils énoncent une défense générale d'aliéner sans l'assistance du conseil. Le savant auteur ajoute, avec raison, que la loi se montre ici plus prévoyante que dans beaucoup d'autres cas, où elle semble ne se préoccuper que de la fortune territoriale (1). La place qu'occupent les mots : « grever leurs biens d'hypothèque » à la suite du mot « aliéner », dans l'article 513, ne fournit point un argument suffisant pour restreindre aux immeubles l'incapacité dont il est ici question (2).

Personne ne conteste que le prodigue ne puisse se marier sans l'assistance de son conseil, et que, par suite, les biens du mari prodigue ne soient grevés de l'hypothèque légale au profit de la femme (V. art. 2121). En ce qui touche les conventions matrimoniales, nous renvoyons à ce que nous avons dit en expliquant l'article 499 (p. 364, no XXI). Le prodigue conserve aussi le droit de tester; car, dans le langage habituel de la loi, le mot aliéner ne s'entend que des actes entrevifs (à titre gratuit ou onéreux). Du reste, comme celui qui s'oblige engage ses biens (V. art. 2092 et

(1) M. Demante, Cours analytique, etc., t. II, n° 285 bis, III. (2) V., au contraire, M. Demolombe, t. VIII, no 729.

2093), on doit reconnaître que le prodigue est incapable de jamais s'obliger seul par contrat, si ce n'est pour les actes d'administration qui lui sont permis; il ne pourrait donc valablement, par exemple, se constituer mandataire dans l'intérêt d'autrui.

XLII. L'article 484 devra forcément aussi, et par voie d'analogie complète, s'appliquer à notre sujet :

d'un côté, le prodigue a droit de faire des dépenses pour l'administration de sa fortune et pour son entretien personnel; et, d'un autre côté, ces dépenses ne peuvent être illimitées et sans mesure. Dès lors, il faudra bien que les tribunaux apprécient, le cas échéant, si les dépenses pour achat, louage de choses ou de services, etc., sont ou non excessives, et s'il y a lieu de les réduire (comp. Tit. préc., n° XCIX, p. 329 et suiv.).

XLIII. L'incapacité du prodigue commence au jour du jugement ou de l'arrêt, suivant les distinctions présentées ci-dessus (p. 365, no XXII). L'action en nullité ou en rescision (totale ou partielle) dure dix ans, et ce délai commence à courir du jour où la défense de procéder sans l'assistance du conseil aura été levée (comp. art. 514, 2° alinéa), ou du jour de la mort de l'incapable; le tout conformément aux principes écrits dans l'article 1304. Là-dessus tous les interprètes sont d'accord.

XLIV. Au contraire, on a agité la question de savoir si la nullité peut être demandée par le conseil judiciaire seul, lorsque le prodigue refuse d'intenter l'action. Nous n'admettrons pas l'affirmative, pas plus

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