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qu'aux seuls Français mâles et majeurs ayant la qualité de citoyens (comp. art. 7). Les étrangers sont, même relativement au droit civil, dans un certain état de privation et d'infériorité, quoique bien moins notable aujourd'hui qu'à l'époque de la promulgation du Code. De là l'importance de savoir quelles personnes sont françaises et quelles étrangères, en d'autres termes, comment la qualité de Français s'acquiert et se perd (V. le chap. 1 du Titre et aussi la sect. 1" du chap. 2). Le Code règle aussi la privation des droits civils qui résulte de condamnations à des peines afflictives perpétuelles, en qualifiant cet état par l'ancienne et énergique expression de mort civile (V. dans notre Titre la section 2 du chap. 2). Mais la mort civile n'existe plus aujourd'hui, ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

II. Jouissance des droits civils attachés à la qualité de Français. (V. le chap. 1.) La qualité de Français se communique des père et mère français à leur enfant, indépendamment du lieu de la naissance (1er alinéa de l'art. 10). En supposant le cas assez rare où les deux époux auraient des nationalités différentes, l'enfant sera Français, par cela seul que le père est Français lui-même, la mère fût-elle étrangère. Et la même règle doit être suivie, à notre avis du moins, s'il s'agit d'une filiation naturelle, c'est-à-dire si les père et mère n'étaient pas mariés; car chez nous, comme en général chez tous les peuples modernes, la relation de l'enfant avec le père est prédominante

et se manifeste clairement par la transmission du nom de famille. L'autorité du père sur l'enfant efface même presque entièrement celle de la mère (V. art. 148, 158, 373 et suiv.) (1). Si la mère naturelle est seule connue, l'enfant ne peut se rattacher qu'à elle, et l'article 10 sera applicable en ce sens.

Lorsque la qualité de Français se transmet ainsi avec le sang et à raison de la famille, peu importe que l'enfant soit né en pays étranger (même alinéa de l'art. 10). Mais la circonstance qu'un individu est né sur le territoire de la France suffit pour lui attribuer immédiatement, pleinement (et sans aucune formalité à remplir), la qualité de Français, lorsque les père et mère demeurent inconnus (2). Bien plus, l'enfant né sur le sol français, quoique de parents étrangers, sera Français sans faveur ni concession gracieuse de l'autorité publique, et par le seul bénéfice de la loi, si, dans l'année qui suivra l'époque de sa majorité, il réclame la qualité de Français, en remplissant certaines conditions relatives à la fixation du domicile en France (V. art. 9). L'individu dont il s'agit nous paraît même devoir être considéré comme Français d'origine ou naturel Français (3), à la charge seulement de se conformer à ce qui lui est prescrit pour

(1) V. en ce sens l'arrêt de la Cour imp. de Metz du 8 août 1853 (affaire Roinet et Voisin), Dev.-Car., 1857, part. 2, p. 35. (2) V. M. Demolombe, t. I, n° 154. Ceci s'applique journellement aux enfants trouvés. V. le décret du 19 janvier 1811.

(3) Expression qu'on trouve souvent dans des textes législatifs antérieurs au Code.

l'acquisition définitive de son titre, qui n'est pour lui que conditionnel jusqu'à l'expiration de l'année qui suivra sa majorité. C'est ainsi que la cour de cassation a interprété l'article 9, par arrêt du 19 juillet 1848 (1), dans un cas où l'on a cru devoir, mal à propos, suivant nous, recourir au principe de la nationalité d'origine pour appliquer à l'enfant d'un étranger le bénéfice de l'article 14 du Code. La même doctrine a été appliquée par le tribunal de la Seine, qui, dans un jugement du 23 avril 1856 (2), est allé jusqu'à reconnaître au mineur dont il s'agit le droit à l'exercice provisoire de la qualité de Français, pour se présenter aux examens de l'École polytechnique. Mais cette décision est très-sérieusement contestable, puisque le mineur prétendrait recueillir un avantage actuel, et dans l'espèce au détriment de quelque autre candidat à l'École (candidat qui est Français), sans contracter lui-même avec l'État l'obligation valide et irrévocable de revêtir la nationalité française et d'en supporter les charges. Dans un système régulier, il faudrait qu'une disposition de loi vînt autoriser le mineur à prendre, dans telles formes qui offriraient le plus de garanties, un engagement définitif envers l'État au moment même où il se présenterait aux examens dont il s'agit. Du reste la cour de Paris a rendu

(1) De G. ca de B.— V. les observations de M. Devilleneuve sur cet arrêt (Dev.-Car., 1848, 1, 529).

(2) Affaire Gardoni (v. Dev.-Car., 1850, 2, 465).

une décision opposée dans une affaire toute semblable

le 14 juillet 1856 (1).

En somme, le mineur né en France doit être regardé comme étant Français plutôt sous une condition suspensive que sous une condition résolutoire. Si, arrivé à sa majorité, il se conforme à ce que lui prescrit l'article 9, la condition se réalise et opère rétroactivement ses effets, en embrassant toute la vie de l'individu, à partir de sa naissance. Cette rétroactivité n'a du reste plus aujourd'hui d'effet que nous connaissions, dans l'ordre civil ni même politique (2). Il semble raisonnable de ne faire encourir la déchéance dont parle l'article 9 qu'autant que l'individu se trouve majeur depuis un an, et d'après la loi française et d'après la loi du pays auquel sa famille appartient (Comp. sur cette question de majorité la note a de la p. 480, t. I, de Proudhon) (3).

La disposition de l'article 9 est une modification grave apportée à la vieille règle de notre droit français (conforme au droit européen général), suivant laquelle tout individu né sur le sol français, de parents étrangers, était Français, bien que ses parents

(1) Affaire Marcoke. Cet arrêt est rapporté par le Droit du 18 juillet 1856.

(2) Nous ne voyons pas qu'il y ait des droits particuliers attribués aux Français de naissance et refusés à ceux qui deviennent Français en vertu des dispositions du Code Napoléon.

(3) Nous ajoutons ici la majorité française (pour le cas fort rare où elle serait plus tardive que la majorité étrangère), afin que l'individu ne puisse être mineur après avoir fait son option.

n'eussent en France qu'une résidence temporaire et ne fissent même que traverser le pays en voyageurs (1). Il suffisait que l'individu né en France n'eût pas manifesté l'intention d'abdiquer le bénéfice de sa nationalité, et il n'était point tenu de faire des déclarations ou de remplir des formalités quelconques à aucune époque de son existence. La rédaction primitive de l'article 9 reproduisait fidèlement l'ancienne doctrine sur ce point, en disant : « Tout individu né en France est Français, » et cela même explique comment cet article 9, aujourd'hui transformé, se trouve en tête de tous ceux où l'on détermine à qui appartient la qualité de Français. Là encore est la solution de la bizarrerie que présente l'article 10, où, à deux reprises, pour indiquer l'influence de l'origine de famille sur la nationalité française, le rédacteur se croit obligé de supposer que l'individu dont il parle est né en pays étranger.

Une loi du 22 mars 1849 est venue accorder, pour faire la déclaration prescrite par l'article 9, un délai indéfini à tout individu qui, étant né en France d'un étranger, «sert ou a servi dans les armées françaises » de terre ou de mer, » ou bien « a satisfait à la loi du >> recrutement sans exciper de son extranéité. » Cette dernière partie de l'article aurait besoin, ce me semble, d'être organisée dans son application au recrutement

(1) V. Pothier, Traité des personnes, t. II, sect. 1re. Les lois et Constitutions françaises depuis 1789 jusqu'à la rédaction du Code sont conformes à ce principe.

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