Page images
PDF
EPUB

De l'antipathie pour les prétres.

Il faut l'avouer avec quelque honte, mais on ne peut se dissimuler qu'il existe aujourd'hui, dans une certaine classe, une antipathie marquée pour les prêtres. Sans doute ce sentiment n'est pas général, et je suis bien éloigné de vouloir càlomnier à cet égard la nation. Mais en même temps il n'est que trop répandu, et il se manifeste par des signes trop certains pour être contesté. Où peut-il avoir pris sa source? comment s'est-il étendu et perpétué? quelle peut en avoir été la cause ou le prétexte? Ce sont des questions dont l'examen peut n'être pas inutile. Un écrivain récent qui a traité incidemment ce sujet, mais qui n'est malheureusement pas toujours avare de paradoxes, en a avancé sur ce point deux qu'il est à propos de relever (1). 11 pose d'abord en fait, que le peuple françois est trèsreligieux, et qu'il déteste les prétres; exposé qui ne paroît exact, ni en soi, ni par la manière dont il esténoncé. Je ne sais s'il est bien vrai de dire en général que le peuple françois est très-religieux, et je crains que l'auteur n'ait exagéré cette disposition pour la faire contraster avec le second membre de sa proposition. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce n'est pas la partie religieuse du peuple qui déteste les prêtres. Ce dernier sentiment ne pourroit se concilier avec le

(1) M. de Montlosier, dans l'ouvrage intitulé: de la Monarchie françoise, depuis le retour de la maison de Bourbon jusqu'au 1. avril 1815.

Tome F. L'Ami de la R. et du R. No. 106. B

સે

premier. Des gens qui seroient très-religieux ne haïroient pas les ministres de la religion, ou des gens qui haïroient les ministres de la religion, ne seroient pas, à coup sûr, très-religieux. L'expérience autant que le sens commun réclament donc contre l'assertion de M. de Montlosier, qui a cherché à faire une autithèse, et qui dans cette occasion, comme dans quelques autres, paroît avoir plus aspiré à dire du neuf et du piquant, qu'à être solide et vrai.

Cet auteur cherche ensuite la cause de la baine contre les prêtres. La haine contre les prêtres, dit-il, observée dans sa nature, vient, non de leur prétendu fanatisme, comme on l'entend dans une certaine classe; 'ni de leur prétendue hypocrisie, comme d'autres cherchent à le faire croire; elle vient encore moins de leur mauvaise conduite privée, car leurs mœurs sont en général très-honorables. Elle prend son origine, d'un côté, de leur tendance à envahir toute la vie, d'un autre côté, du spectacle de leurs efforts pour joindre aux moyens spirituels tous les moyens humains à l'effet de parvenir à cet envahissement. Je félicite d'abord M. de MontJosier d'avoir repoussé bien loin ces grossières imputations de fanatisme et d'hypocrisie, qui ne peuvent partir que d'une haine aveugle et profonde, et dont un homme honnête et de sang froid ne pouvoit être dupc. Mais je crois qu'il a mieux réussi à dire d'où ne venoit pas l'antipathie pour les prêtres que d'où elle venoit. Qu'est-ce que c'est cette tendance à envahir la vie, dont il nous parle? Je reconnois là plutôt le jargon obscur et précieux d'une femme célèbre par son imagination et ses romans, que le langage raisonné d'un observateur sage et attentif. Mme. de Staël a mis à la mode cette acception donnée à la vie, et elle l'a prodiguée d'une ma

nière passablement ridicule. M. de Montlosier auroit dû rejeter ce néologisme bizarre et vicieux; mais la manière dont il veut prouver ce qu'il appelle l'envahissement de la vie est encore plus singulière que cette imputation même. Il remonte à la première race; car les affections de M. de Montlosier sont toujours pour ces temps reculés. Il cite Charles-Martel et Hincmar, et les réglemens de saint Louis. C'est avoir envie de montrer de l'érudition. Que font aux prêtres du 18°. siècle ceux du S. et du 10o? L'auteur a d'autant plus mal choisi ce rapprochement, qu'à ces époques reculées dont il parle, les prêtres jouissoient d'une extrême considération et d'un très-grand pouvoir, et que leur situation politique alors n'avoit aucun rapport avec leur état actuel. C'est à la fois une injustice et une mauvaise plaisanterie de prétendre qu'ils tendent à ressusciter ces anciens temps, et à recouvrer ces priviléges temporels et cette influence politique. M. de Montlosier sait mieux que personne qu'un semblable projet seroit ridicule, qu'on ne fait pas revenir toute une nation à des mœurs et des usages anéantis depuis des siècles, et que les prêtres ne sont pas assez fous pour nourrir cette idée. Aussi il est obligé de dire que leur tendance à l'envahissement de la vie n'est connue qu'en doctrine. Après cela, il raisonne en homme du monde quand il insinue une différence entre la religion de l'Évangile et celle des prêtres, et quand il leur fait un crime des lois sur les fêtes, sur l'abstinence, sur le jeûne, et sur d'autres points de discipline religieuse. Il est aussi commun que facile aujourd'hui de s'égayer sur le carême, sur les indulgences, sur les moines; mais ces plaisanteries ont le malheur de n'être pas plus démonstratives que

neuves, et l'on ne voit pas la liaison qu'il y a entre des pratiques que tant de gens ont secouées et la haine des prêtres.

Tout ce systême de M. de Montlosier pèche douc par le fondement. Il attribue un sentiment vif et profond à des causes trop légères pour le produire. Les motifs qui ont donné naissance à l'antipathie pour les prêtres doivent être en proportion avec leur résultat. Nous allons tâcher de les assiguer. Il semble qu'il ne faut pas beaucoup d'efforts pour cela, et qu'un coup d'œil sur l'histoire de notre temps suffit pour démêler les causes de cette disposition déplorable des esprits envers une classe entière d'hommes si mal jugés; car l'antipathie dont nous parlons ne remonte pas bien haut. On n'en trouve pas de vestige avant le siècle dernier, ou peut-être même avant la dernière moitié de ce siècle. Jusque là les prêtres étoient loin d'exciter un sentiment d'aversion ou de mépris. Ceux d'entr'eux qui se conduisoient mal, n'obtenoient point de considération et d'estime; mais on se bornoit là.. On ne voit point que leurs fautes réjaillissent alors sur tout le corps, et on avoit encore la bonté de penser que le clergé en général n'étoit point responsable des torts de quelques-uns de ses membres. Ce ne fut qu'insensiblement qu'on prit d'autres idées sur ce' point, et qu'on conçut d'autres sentimens sur les prêtres. Les premières traces qui s'en présentent dans' l'histoire se trouvent dans les livres philosophiques, et on y démêle même les différens degrés de ce changement de disposition. Les plus anciens de ces écrits n'avoient pas cette hauteur d'expression et cette amertume de style qui éclatent dans les plus récens. Les Lettres juives, les Pensées philosophiques, les Mœurs,

les ouvrages de La Mettrie, attaquent bien les prêtres; mais non pas du même ton que le firent Voltaire depuis 1760, et Helvétius à peu près à cette époque; et ces deux écrivains passeroient peut-être pour modérés en comparaison de la violence que mirent dans leurs productious Diderot, d'Holbach, Raynal et Condorcet. Dans la première classe de ces livres, c'est le ridicule qui domine. Dans la seconde, il est mêlé d'arrogance et d'âcreté. Dans la troisième, c'est le nec plus ultrà de l'insolence, de la colère et du mépris. Ce style est plus on moins empreint dans la plupart des livres de cette époque. On en assaisonnoit à la fois et les in-folios et les brochures. Vous les retrouvez et dans l'Encyclopédie et dans les panphlets. Mais nul ne se montra à cet égard si ardent et si énergique que Diderot, dont la tête exaltée connoissoit peu la mesure. Il avoit voué aux prêtres la haine la plus cordiale. Voyez son Introduction aux grands principes, ou Réception d'un philosophe; sa Lettre à son frère, du 29 décembre 1760; l'Entretien d'un philosophe avec la maréchale de.....; le Supplément au Voyage de Bougainville. Ces écrits sont d'une violence qui confond, et les prêtres y sont traités avec la plus insultante hauteur. Le même esprit présidoit à la rédaction des libelles qui sortoient de cette coterie fameuse où Diderot donnoit le ton, et étoit secondé par Raynal, Naigeon, Deleyre et les autres de cette école. C'étoit parmi eux à qui se montreroit plus audacieux, plus outrageant, plus remplis de fiel.

L'influence que ces hommes et ces écrits ont eue sur l'opinion générale n'est point équivoque. Ils avoient du renom dans la littérature. On les vantoit, et ils se rendoient réciproquement le service de se vauler

« PreviousContinue »