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Quel est la défense que j'ai voulu et que je devais tenir ? la seule qui pouvait être efficace consistait dans l'analyse de l'ouvrage, afin d'établir par son ensemble qu'il n'y avait pas diffamation, de démontrer que les faits contenus dans l'ouvrage incriminé n'étaient que la répétition de la procédure écrite des comptes-rendus par les sténographies, par les réquisitoires et le résumé.

C'était le seul moyen efficace, et la cour me l'a interdit.

Où est l'article de la loi qui l'y autorisait ?

Serait-ce l'article 85 du Code de procédure civile; mais cet article a été émis en faveur des défendeurs, il est ainsi conçu : « Pourront les parties, < assistées de leurs avoués, se défendre elles-mêmes. Le tribunal, cependant, aura la faculté de leur interdire ce droit, s'il reconnaît que la < passion et l'inexpérience les empêche de discuter leur cause avec la « décence convenable ou la clarté necessaire pour l'instruction des « juges. »

Il est clair que cet article est en faveur des défendeurs qui, soit par passion, soit par inexpérience ne pourraient point présenter une défense utile et qui alors doivent prendre un avocat.

Pour que l'article fût applicable à la cause, il faudrait qu'il fût dit que le juge aurait la faculté d'interdire au défendeur tel et tel mode de défense.

En matière criminelle y a-t-il quelque disposition de loi qui autorise le juge de prescrire à l'accusé la manière de se défendre, qui lui permette d'exclure des moyens que l'accusé veut faire valoir? Il est inouï qu'un pareil cas se soit présenté; la loi veille pour l'accusé, elle veut que lé président des assises lui nomme un défenseur d'office; mais la loi ne veut pas que le juge règle la défense de l'avocat qu'il vient de nommer.

La question se réduit à ceci : j'ai voulu me défendre par l'analyse de l'ouvrage incriminé en le comparant avec la procédure écrite, avec les comptes-rendus, les requisitoires et le résumé, j'ai soutenu l'exactitude des faits allégués, et par conséquent ma bonne foi ne me rendait passible d'aucune peine.

La parole ne pouvait m'être légitimement interdite qu'autant que les propositions sur lesquelles je basais ma défense étaient contraires au respect dû aux lois, à l'ordre public, à la morale et à la religion.

Je disais qu'il existait des imperfections, des défectuosités dans la procédure écrite et dans les débats qui avaient produit une erreur judiciaire. Gela veut-il dire que je ne respectais pas les lois ?

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L'ordre public serait-il blessé ? et en quoi ? par la qualité de magistrats dont sont revêtus les plaignants.

La loi fait une grande différence entre le magistrat qui est insulté dans l'exercice de ses fonctions et celui qui serait insulté à raison de ces fonctions. Dans le premier cas, c'est la loi elle-même qui est insultée, en la personne du juge qui la représente; mais lorsque l'insulte n'a trait

qu'à un fait passé, relatif à l'exercice des fonctions, l'offense rentre dans le domaine privé, puisque le ministère public ne peut la poursuivre que sur une plainte.

Dirait-on qu'il y a scandale à cause des fonctions dont sont investis les plaignants; que, l'action en diffamation et outrages ne serait-elle pas fondée, il importerait, dans l'intérêt public, de ne pas faire un retour sur le passé? Mais le scandale a-t-il jamais retenu la marche de la justice? La crainte du scandale empêche-t-elle qu'un juge prévaricateur ne soit puni lorsqu'il devient criminel? Il n'y a pas scandale lorsqu'il s'agit de réparer une injustice. Le véritable scandale pour la société serait lorsqu'une erreur judiciaire existe, de repousser la victime ou ceux qui la représentent.

On dira que je blessais la morale et la religion? Mais ceux qui liront le mémoire, le réquisitoire et le résumé auront la preuve du contraire.

Il faut donc rayer de l'arrêt attaqué le mot d'infraction au respect dû aux lois et à leur inviolabilité.

La cause ne présente qu'un intérêt privé: celui des plaignants et le mien; et les deux intérêts doivent être d'un égal poids dans la balance de la justice.

M. Doms et M. de la Baume ont porté contre moi une plainte. Je dois être puni si elle est fondée, comme je dois être relaxé si elle n'est pas justifiée.

L'accusation a eu une entière liberté dans son attaque. Si j'avais avancé des faits faux, elle pouvait puiser dans la procédure et les débats pour prouver que je suis un calomniateur.

Je soutenais que tout ce que j'avais dit était vrai. Pour le prouver la même faculté d'analyser la procédure ne pouvait m'être refusée, sous le prétexte que les faits que j'allais reproduire étaient un nouvel outrage. Si les faits allégués étaient faux, on se serait empressé de me condamner comme calomniateur; mais ils sont vrais, on ne peut le contester.

Si ma défense ne renfermait que l'énoncé des actes des plaignants, comment constituent-ils un nouvel outrage? Ces actes sont donc blåmables? Mais alors la plainte n'est pas fondée; ce n'est pas moi qui suis le coupable.

Mais enfin les faits que j'ai voulu rappeler ne sont que les mêmes faits développés dans les considérants du jugement de défaut et que les plaignants ont rendus publics en les faisant insérer avant l'heure dans le Journal des Débats. Je ne voulais prouver que la fausseté de ces mêmes faits; de telle sorte que le système de l'arrêt attaqué a été de dire : Il nous a été permis à nous d'analyser l'ouvrage incriminé pour vous condamner et ordonner la destruction de l'écrit, mais il ne vous est pas permis, à vous, de faire une analyse de ce même ouvrage pour vous disculper et en faire. ordonner la restitution.

Mais, dira-t-on, la police de l'audience appartient aux tribunaux ; c'est à eux à apprécier si telle défense doit ou ne doit pas être tenue.

D'après ce système la défense des prévenus sera à la merci des tribunaux. Mais nous sommes ici dans un cas particulier qui met à même la cour de cassation de pouvoir statuer. Il y a des conclusions motivées où la défense se trouve tracée et un arrêt motivé qui proscrit cette défense; alors la cour de cassation est à même d'apprécier si les droits de la défense ont été ou n'ont pas été violés.

Et comment ne seraient-ils pas violés lorsque la seule défense possible m'a été interdite?

Il n'y a point de crime sans intention. Cette maxime est absolue.

Ne m'étant pas permis de rappeler les faits, comment pouvais-je demontrer qu'il n'y avait pas diffamation?

Comment ponvais-je établir que les développements que j'ai donnés dans le mémoire étaient nécessaires pour réussir dans la demande en réhabilitation, puisqu'il m'a été défendu de faire connaître les circonstances sur lesquelles ces développements sont basés?

En un mot, comment aurais-je pu établir ma bonne foi, puisqu'on n'a pas voulu que je misse au jour les causes qui devaient la démontrer?

Ma défense naturelle, et la seule que je pusse tenir, consistait uniquement à réfuter les considérants du jugement et de l'arrêt de défaut, par l'explication des faits constituant les considérants; cela résulte de mes conclusions déposées. Cette défense, seule efficace, m'a été interdite.

Le fait est unique dans les annales judiciaires.

Détruisant l'égalité qui doit exister entre les plaignants et le prévenu on analyse tout ce qu'on croit de repréhensible dans l'ouvrage incriminé, on le développe dans de longs considérants d'un jugement de défaut, rendu public dans les journaux malgré l'opposition qui le fait considérer comme non-avenu, on le sanctionne et l'amplifie par un arrêt de défaut.

Et sur l'opposition, on m'interdit froidement l'analyse de ce même ouvrage, où l'on a puisé la plainte et les considérants du jugement et de l'arrêt. On me dit que j'outrage de nouveau les magistrats parce que je veux analyser à mon tour l'ouvrage incriminé pour prouver que les considérants du jugement et de l'arret ne sont pas diffamatoires, de manière qu'il ne me reste qu'à m'humilier et à demander grâce.

En résumé, mes divers moyens de cassation se prêtent un mutuel appui. Toute défense m'a été interdite, soit par l'abréviation du délai, soit en m'interdisant les seuls moyens de défense qui pouvaient être efficaces. Nullités substancielles dans la rédaction de l'arrêt, par défaut de motifs sur des points graves et décisifs.

Violation de l'article 20 de la loi du 26 mai 1819 qui interdit l'action en diffamation et outrage à l'égard des fonctionnaires publics, lorsque les faits allégués sont prouvés.

Violation des priviléges des avocats.

Fausse application de l'article 5 de la loi du 27 juillet 1829, qui me déclare coupable d'un délit que je n'ai pas commis.

Qu'il me soit permis de terminer par de très-courtes réflexions.

J'ai été si rigoureusement traité par la Cour impériale de Toulouse, que les extrêmes rigueurs dont elle a usé m'ont porté à me demander si je n'aurais pas commis un méfait qui devait m'attirer l'animadversion de la société. Je me suis demandé si la Providence ne m'avait accordé une aussi longue carrière que pour voir mes cheveux blancs flétris par une action indigne de la noble profession que j'exerce.

Faisant un retour sur moi-même, je me suis convaincu que je n'avais point failli.

La pensée d'avoir voulu faire réhabiliter la mémoire de Léotade, de l'innocence duquel j'avais la conviction intime; le fait d'avoir provoqué et accepté, à ces fins, la procuration de son frère, paysan pauvre, dont je n'avais à espérer aucune rétribution, sont des actes dont je dois m'honorer. La demande en réhabilitation a pour elle l'humanité et ne préjudicie à personne.

Elle ne blesse point l'autorité souveraine, pnisqu'elle est adressée à Sa Majesté l'Empereur. Dans une cause aussi célèbre, la réhabilitation ferait une des gloires du règne de Napoléon III.

Elle ne blesse point la magistrature qui s'est toujoors empressée de réparer les erreurs judiciaires. Je citerai, pour exemple, le Parlement de Toulouse, qui provoqua lui-même la réhabilitation de l'infortuné Cahuzac, qu'il avait injustement condamné.

Elle ne peut blesser les magistrats lorsqu'on ne les accuse que de prévention, ce crime des gens de bien, dit d'Aguesseau. Dans l'affaire l'Anglade, le lieutenant criminel Deffita avait à s'imputer d'avoir contribué, par sa prévention, à sa condannation; il fut le premier à faire des recherches pour réparer l'erreur.

Dans le mémoire incriminé, je n'ai point inventé des faits, je n'en ai dénaturé aucun.

Si j'avais calomnié, sans le vouloir, M. Doms et M. de la Baume, je me ferais un devoir de le reconnaître. Il y a de la noblesse à avouer ses fautes, et il est d'un cœur généreux d'en faire l'aveu.

Le seul reproche qu'on pourrait me faire, et je me le fais moi-même aujourd'hui, c'est d'avoir été trop véhément, d'avoir mis trop d'énergie dans le développement des moyens de réhabilitation.

Ce n'est pas, Messieurs, que ce soit ma conscience qui me porte au repentir; mes expressions sont légitimées par les actes auxquels la prévention s'est livrée.

Le reproche que je me fais d'avoir manifesté toute mon indignation provient de ce qu'il n'était point dans mon intention de troubler le repos des magistrats plaignants, de ce qu'il est dans mon caractère de ne blesser ni de nuire à personne.

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Ce qui a donné de la vigueur à mon raisonnement, c'est ma conviction de l'innocence de Léotade, conviction qui ne fait que s'accroître.

En dernière analyse, l'oeuvre que j'ai entreprise est une œuvre d'humanité. S'il était possible qu'un trop grand zèle m'eût fait contrevenir aux lois civiles, et qu'une condamnation définitive dût m'attendre, je pourrais m'écrier avec le poète : Le crime fait la honte et non pas l'échafaud.

Je ne demande que des juges qui veuillent m'entendre.

Au surplus, Messieurs, quel a été le but de mon pourvoi?

Ce n'est pas pour obtenir mon relaxe immédiat.

M. Doms et M. de la Beaume eux-mêmes sont intéressés à ce que je sois entendu.

Si, après une contradiction solennelle, leur plainte était fondée, leur triomphe sera éclatant.

Si j'obtiens gain de cause, leur réputation n'en sera pas moins intacte, on ne verra en eux que des juges prévenus, et il n'y a que les juges probes et vertueux qui sont entraînés par la prévention.

Dans l'état de la cause, la contradiction n'ayant pas eu lieu, les plaignants n'obtiendront point le résultat qu'ils se sont proposé par la plainte qui est de rendre leur justification publique.

ARRÊT.

« Oui M. Auguste Moreau, conseiller, en son rapport, le sieur Caze« neuve personnellement en ses observations, assisté de M. Marmier, avocat, et M. Blanche, avocat général en ses conclusions.

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« Vidant le delibéré par elle ordonné à la Chambre du conseil, et sta<< tuant sur le pourvoi dudit Jean-Michel Cazeneuve, contre l'arrêt rendu «<le trente mai dernier, par la Cour impériale de Toulouse, chambre des " appels de police correctionnelle.

« Sur le premier moyen tiré de la violation de l'art. 184 du Code d'in«struction criminelle, en ce que l'assignation donnée à un trop bref « délai n'a pas permis au demandeur de préparer sa défense.

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Attendu que l'art. 484 précité n'était pas applicable, puisque le sieur

« Cazeneuve était opposant à un arrêt par défaut.

"

« Qu'il est de principe que tout opposant doit être prêt.

"

Que l'art. 488 du Code d'instruction criminelle lui imposait l'obli

gation de se présenter à la première audience, et que la Cour pouvait

« statuer immédiatement sur le mérite de son opposition.

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Qu'en la déclarant régulière, et en lui accordant un sursis à raison

<< des pourvois par lui formés contre les arrêts incidents des 24 et 23 fé

« vrier précédent, elle n'a pas changé la position des parties.

་་

Que le sursis étant levé, le sieur Cazeneuve devait saisir de nou

« veau l'audience, pour faire statuer sur son opposition.

Que de l'arrêt attaqué, il résulte qu'il ne l'a pas fait, et que le pro

« cureur général, après l'avoir averti officieusement, lui a fait notifier le

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