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Par le rejet du pourvoi envers un dernier arrêt de la Cour impériale de Toulouse, je me trouve définitivement condamné à trois mois de prison et mille francs d'amende, comme ayant porté atteinte à l'autorité de la chose jugée et à l'inviolabilité des lois, et pour outrages et diffamation envers M. Doms et M. de la Beaume, dans un écrit intitulé Démonstration de l'innocence de Léotade, ayant pour objet la demande en réhabilitation de la mémoire du frère, condamné aux travaux forcés à perpétuité, et mort au bagne, comme coupable de viol et de meurtre sur Cécile Combettes, âgée de moins de quinze ans.

L'autorité de la chose souverainement jugée existe aujourd'hui contre moi, toute récrimination m'est interdite; sans pousser la moindre plainte, je me soumets à subir la peine qui a été prononcée si la volonté de l'autorité souveraine est que je la subisse.

Mais, mon honneur, ma délicatesse m'imposent une obligation, celle de justifier ma conduite.

Je le dois sous un double rapport: l'ordre dont je suis glorieux de faire partie, blessé par ma condamnation, et ma conscience m'ont porté à présenter à Sa Majesté une requête en remise de la peine; le motif pris de ma bonne foi et de ma conviction de l'innocence de Léotade.

D'un autre côté, c'est en qualité d'avocat que j'ai été condamné. Je suis le premier qui subirai une condamnation pour avoir prêté mon ministère à l'infortune.

Si ma conduite était blamable, je devrais encourir une peine disciplinaire, que M. le procureur général Garlambide a eu le soin de réserver.

Ce sont ces deux puissantes considérations qui m'obligent a publier le présent écrit dans l'unique but de démontrer ma bonne foi sans aucune récrimination; entre M. Doms et M. de la Beaume et moi, les débats sont terminés.

Mais sur quoi dois-je établir les bases de ma justification?

Je ne le puis en reproduisant les deux mémoires distribués, soit devant la Cour impériale, soit devant la Cour de cassation, puisqu'ils sont supprimés.

Je ne le puis en rappelant la défense près la Cour impériale, puisque la seule que je pouvais tenir m'a été interdite.

Nécessairement je dois prendre pour base ma défense devant la Cour de cassation, qui a été accueillie avec bienveillance.

Je vais la reproduire ainsi que l'arrêt qui est intervenu, et avec tout le respect que je dois à la chose jugée, les faire suivre de quelques réflexions nécessaires pour le but que je me propose.

Mais avant tout, je rappelerai quelques faits pour l'intelligence de ce que je vais dire.

Le 15 avril 1847, Cécile Combettes est violée et assassinée.

Le 16 avril son cadavre est trouvé sur le sol du cimetière St-Aubin, séparé du jardin du couvent des frères par un mur en pisé.

Conte, relieur de livres, et Marion Roumagnac, son ouvrière, sont arrêtés, puis les frères Léotade et Jubrien; à l'instant même les visites les plus minutieuses eurent lieu dans le couvent des frères; non-seulement aucune partie des bâtiments ne resta à explorer, mais encore les personnes furent l'objet de l'investigation de l'instruction. Le 16 avril, deux domestiques laïques, le 18 avril trois frères, le 21 avril cent quatre-vingt-six frères ou novices furent visités corporellement, mais aucun vestige du crime ne fut trouvé; au contraire, les procès-verbaux du commissaire de police Lamarle et du juge d'instruction avaient déjà donné des preuves que le viol et le meurtre n'avait pas été commis dans le couvent.

Les seules investigations qui ont eu lieu dans les lieux environnants, même dans les lieux suspects, consistent aux suivantes.

Le 16 avril, le commissaire de police Aumont va de domicile en domicile demander gracieusement si la veille on n'aurait pas vu passer Cécile Combettes, dont il donne le signalement. Personne ne l'a vue.

Douze militaires avoisinant le théâtre du crime sont entendus, mais seulement pour savoir s'il avait plu pendant la nuit du 15 au 16 avril. Deux jours après, le commissaire de police Dubose va dans le voisinage de maison en maison pour savoir si on n'avait pas vu Conte avec

Cécile Combettes et une autre femme porter des livres au pensionnat le 15 avril, et se retirer avant la nuit. Les réponses sont négatives.

Sept jours après, le commissaire de police parcourt les divers domiciles, non pas pour y faire une visite, mais pour savoir s'il y a quelque maison construite de manière que le viol ait pu y être perpétré.

Enfin, ce qui termine les explorations hors du couvent est le transport, vingt-deux jours après le crime, d'un commissaire de police, à la rue des Sept-Troubadours, voisine du théâtre du crime et renommée par ses lieux de débauche, pour demander si le 15 avril ils auraient vu passer Cécile Combettes.

Le tribunal de première instance met hors d'accusation Marion Roumagnac.

La Chambre d'accusation rend la liberté à Conte et au frère Jubrien, Léotade est renvoyé aux Assises.

Elles s'ouvrirent une première fois, le 7 avril 1848.

Par l'effet de l'événement du jour, la cause est renvoyée, le 26 février, à la prochaine session.

Une seconde session s'ouvre pour Léotade, le 16 mars 1848.

Léotade est condamné aux travaux forcés à perpétuité le 4 avril suivant, et est mort au bagne le 26 janvier 1850.

L'année d'après, je fis paraitre la Relation historique de la procédure et des débats.

Plus tard, comme procureur fondé de François Bonafous, frère de Léotade l'Abrégé historique, et enfin, en la même qualité, la Démonstration de l'innocence de Léotade, qui a donné lieu à une plainte de la part de M. Doms et de M. de la Beaume.

Le 8 décembre 1855, jugement en défaut du tribunal correctionnel de Toulouse, qui me condamne à un mois de prison et mille francs d'amende, et les imprimeurs contradictoirement à dix jours de prison et cinq cents fr. d'amende.

Sur l'opposition je propose un déclinatoire qui est rejeté ; nouveau jugement de défaut au fond qui confirme le précédent.

Le premier jugement de défaut, contenant de longs considérants, a été inséré dans le Journal des Débats, malgré mon opposition qui devait le faire considérer comme non-avenu.

C'est ce qui m'a porté à faire distribuer à la Cour sur l'appel un A juger, où je combattais pas à pas le jugement de défaut par les faits, sans commentaire, de la procédure et des débats.

J'ai reproduit en même temps le déclinatoire qui a été joint au fond; ensuite de cette jonction j'ai été demis contradictoirement du déclinatoire, et en défaut condamné à trois mois de prison, deux mois d'augmentation à cause de la production du mémoire intitulé A juger, qu'on a considéré comme un nouvel outrage envers les magistrats plaignants.

Pourvoi, rejet de pourvoi, et le 30 mai sur mon opposition il est inter

vénu un arrêt définitif, qui confirme l'arrêt de défaut et suppriine l'A juger. Je dois faire connaître les circonstances qui ont accompagné l'arrêt.

M. Fourtanier, mon avocat, se présente à l'audience, demande un renvoi à quinzaine; tout au moins à huitaine, pour se préparer; sa demande est rejetée, il se retire.

Je présente moi-même ma défense, je plaide les moyens de droit; mais lorsque j'arrive au fait, lorsque pour réfuter la plainte je veux analyser la procédure et les débats, la parole m'est interdite.

La cause fut renvoyée au lendemain, où je pris les conclusions suivantes qui ont été déposées :

«

<< Attendu que, quoique hors des cas prévus par la loi, l'action en réhabilitation, engagée par François Bonafous, est légitime.

Attendu, que la demande en émission d'une loi nouvelle ne constitue << pas la contravention à la chose jugée et à l'inviolabilité des lois.

«Attendu que la plainte est irrégulière pour ne pas y avoir compris <«< François Bonafous, qui, s'il y avait délit, serait le coupable, son avocat << ne pouvant être considéré que comme son propre complice, qui ne peut être puni que lorsque, par une contradiction avec François Bona«fous, le délit aurait été constaté.

<< Attendu que la plainte a été prématurée pour avoir été portée avant << que l'autorité ait prononcé sur la demande en réhabilitation.

«Attendu que d'après l'art. 20 de la loi du 26 mai 1819, on a le << droit de signaler les irrégularités et défectuosités existant dans les procédures par la faute des magistrats.

• Attendu que, d'après la saine interprétation de la loi du 17 mai « 1819 et du décret de 1810 et de l'ordonnance de 1822, l'action « d'outrage et de diffamation ne peut être dirigée contre un avocat << lorsque surtout, commé dans la cause, il a rendu hommage à la probité et à la droiture des magistrats.

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Attendu, au fond que la plainte est fondée sur l'écrit intitulé Démonstration de l'innocence de Léotade.

<< Attendu, que cet écrit n'est que l'analyse de la procédure et des « débats.

• Attendu que si les faits qui y sont consignés sont vrais, et que les ⚫ conséquences soient justes, il n'y a pas délit. Attendu que je ne peux « me justifier que par l'analyse de la procédure et des débats, que << liberté entière doit m'être accordée pour signaler à la Cour tous les << faits, tous les circonstances de la procédure et des débats.

< Attendu qu'un des premiers griefs de la plainte et des considé«rants du jugement acceptés par la Cour (dans l'arrêt de défaut) est de « m'incriminer pour avoir dit: « que Léotade avait été condamné non« seulement suns indices de culpabilité, mais malgré les preuves posi«sitives de son innocence, qui se manifestèrent immédiatement après la « perpétration du crime.

« Attendu que sur ce point je dois justifier mon assertion, je ne de« mande pas à la Cour que Léotade soit déclaré innocent, je veux prouver << seulement, par l'état de la procédure, que j'ai pu de bonne foi le croire innocent, ce qui suffit pour obtenir mon relaxe. »

Je parcourais de même les autres faits de la plainte développés dans le jugement de défaut que je voulais combattre par les faits constatés par la procédure et les débats; je les passe ici sous silence pour ne pas encourir le reproche de faire un nouvel outrage aux magistrats plaignants, mes conclusions se terminent ainsi :

« Attendu qu'il ne peut y avoir de défense efficace pour moi, que ⚫ par la difficulté de discuter et analyser la procédure et les débats sur les « faits qui se réfèrent à la plainte.

Plaise à la Cour rejeter la plainte comme irrégulière et prématurée, << me relaxer, subsidiairement permettre la continuation de la plaidoirie « d'après les errements que je viens d'énoncer. »

Sur ce, arrêt qui déclare que mon système de défense « est contraire aux lois, à l'autorité de la chose jugée et à la magistrature; que par suite il n'y a pas lieu d'entendre plus longtemps le développement « de ce système, enjoint enfin au dit Cazeneuve d'avoir à répondre et à << s'expliquer avec connaissance sur les faits qui lui sont imputés, faute << de quoi la parole lui sera retirée. »

Sur ce je cesse ma défense. M. le procureur général fait son réquitoire sur les passages de la plainte que j'ai déclaré ne pouvoir combattre, faute de ne pouvoir analyser les faits et actes de la procédure, dont ils ne sont que la conséquence.

Sur ce, M. le président d'Arnaud prononce l'arrêt suivant :

• Attendu au fond que les moyens de défense présentés par le pré<<venu, soit à l'audience d'hier, soit à celle d'aujourd'hui, ne le justifient << nullement et ne peuvent qu'aggraver ses torts.

«En ce qui touche la nouvelle exception par lui produite, de ce qu'il << ne pourrait être poursuivi que comme procureur fondé de François < Bonafous et puni comme tel qu'autant que ce dernier serait poursuivi « lui-même, et condamné comme auteur des délits dont il s'agit, etc., etc. Adoptant le contenu de l'arrêt de défaut, condamne Cazeneuve à << trois mois de prison, mille francs d'amende, etc., etc. »

J'ai fait un pourvoi contre ce dernier arrêt, sur les moyens suivants qui ont été rejetés.

MOYENS DE CASSATION.

1. Contravention à l'art. 184 du Code d'instruction criminelle;

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