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des demandeurs.

Au vu du procès-verbal dressé par les experts, le juge de paix a rendu, le 19 août 1861, une sentence dont suit la teneur :

Attendu qu'il résulte des rapports et visites d'experts des 10 juillet et 2 août 1861, que le périmètre des bois des Uselles est garni, du côté d'Ozouer notamment, de coulées ou sentiers de lapins qui se prolongent d'une part vers les terres dont les récoltes ont été endommagées, et d'autre part dans l'intérieur des bois; - Qu'il résulte des mêmes rapports, qu'il existe de nombreux terriers tant sur le pourtour que dans l'intérieur de ce bois ; que ces terriers sont presque tous fréquentés et habités, et qu'il n'apparaît pas qu'aucun ait été défoncé ;

Attendu que le rapport du 10 juillet indique particulièrement un terrier de soixante à quatre-vingts gueules comme une rareté qui ne se rencontre pas dans les autres bois du pays; Que le même rapport constate qu'un jeune taillis de l'intérieur du bois a été totalement rongé et fortement endommagé par les lapins dans l'hiver dernier, et que, de plus, le gazon et le genêt de ce canton sont également rongés par ces animaux; Que, par le même rapport, les experts estiment qu'il n'a été fait aucune diligence pour arriver à une destruction sérieuse, bien que, suivant eux et à en juger par la situation des lieux, cette destruction fût facile à opérer;

-

Attendu que le rapport du 2 août constate encore qu'après avoir visité attentivement le remblai du chemin de fer, les experts n'y ont trouvé aucun terrier de lapins, et ont remarqué, au contraire, que les récoltes touchant à ce remblai n'étaient nullement endommagées par la dent des lapins;

Attendu qu'il résulte de l'enquête que le principal moyen de destruction employé par le défendeur consistait dans la chasse au rabat; que le furet n'était employé que la veille des jours de chasse, moins pour détruire le lapin que pour procurer le lendemain une chasse abondante aux actionnaires; que, suivant le témoignage d'Emile Pénard, chargé de ce furetage, il n'a été employé les jours de chasse et comme moyen de destruction que les derniers jours de mars, et sous les ramiers seulement;

« Attendu que le défoncement des terriers n'a point été effectué, et qu'il a été impossible aux experts d'en reconnaitre aucun dans toute l'étendue du bois;

Attendu enfin, qu'il est constaté par ladite enquête, qu'à partir du 29 mars, l'emploi de toute classe et moyen de destruction a cessé, bien que le défendeur fût autorisé à chasser jusqu'à la fin d'avril, et que, dans l'intervalle du 29 mars au 1er mai, il fût possible de fureter et défoncer tous les terriers, et de détruire toutes les rabouillères qui existaient à cette époque, et dont la conservation a dû considérablement augmenter le nombre des lapins;

<< Par tous ces motifs; Disons que le défendeur n'a employé que des moyens insuffisants pour opérer la destruction des lapins séjournant dans ses bois; qu'il a négligé l'emploi du défoncement des terriers, seul moyen d'arriver à une destruction complète, et que, par conséquent, ledit défendeur a encouru le reproche de négligence et d'imprudence, et doit être tenu de réparer les dommages existant aux récoltes des demandeurs;

« En conséquence, condamnons ledit défendeur à payer aux demandeurs, pour réparation desdits dommages, suivant l'estimation des experts, savoir: á Jardin, 60 francs, à Prévost, 1,098 francs, à Pelletier, 365 francs, et à Lassaigne, 65 fr. 50 c., etc. »

Le sieur Nouguier a interjeté appel de cette sentence.

Ha soutenu, d'abord, que les sieurs Jardin et consorts devaient être déclarés non-recevables en leur demande, par le motif qu'ils avaient agi par voie d'action collective, quoiqu'ils eussent chacun un intérêt direct et séparé; et qu'ils n'avaient pas fait constater l'état primitif des terres ravagées et la nature des dégâts par trois expertises successives, ainsi que le prescrivent les arrêts de réglement du Parlement de Paris, des 21 juillet 1778, et 15 mai 1779.

Au fond, il a décliné toute responsabilité à l'égard des dégâts commis par les lapins, par le motif qu'il avait pris toutes les mesures nécesssaire pour empêcher la trop grande multiplication de ces animaux, et qu'il avait même mis les intimés en demeure d'assister, à des jours indiqués, à des chasses et battues pour la destruction de ce gibier.

Les sieurs Jardin et Lassaigne ont invoqué une fin de non-rece voir tirée de ce que la sentence avait été rendue en dernier ressort en ce qui les concerne. Subsidiairement et au fond, ils ont soutenu, avec les autres intimés, qu'il avait été bien jugé par cette sentence.

JUGEMENT.

LE TRIBUNAL ; Sur l'exception de la chose jugée en dernier ressort, par application des articles 1 et 2 de la loi du 25 mai 1838;

Considérant qu'il s'agit au procés de demandes en dommages-intérêts fondées sur un prétendu préjudice causé à des récoltes par les lapins; que lesdites demandes en l'état étaient indéterminées ; Que l'expertise avant jugement n'a pu en changer le caractère; qu'ainsi le jugement qui y a statué est sujet à appel;

Sur l'application des arrêts de réglement des 21 juillet 1778, et 15 mai 1779, et l'irrégularité ou l'insuffisance des procès-verbaux de constat de lieux et d'expertise:

Considérant que les actions civiles devant les tribunaux de paix doivent être instruites conformément au Code de procédure civile; que l'article 1041 dudit Code a déclaré ses dispositions en vigueur à partir du 1er janvier 1807, et prononcé l'abrogation de toutes lois, coutumes, usages et règlements relatifs à la procédure civile; qu'il appartient aux tribunaux d'ordonner les mesures d'instruction qu'ils jugent convenables pour éclairer leur religion, et d'apprécier la valeur de ces actes et leur régularité;

Sur la nullité de l'action dirigée en commun; Considérant que nulle disposition de la loi n'interdit la réunion des parties pour formuler dans un seul et même exploit leurs demandes et conclusions individuelles, alors surtout qu'il s'agit, comme dans l'espèce, du même fait de négligence ou d'imprudence dont plusieurs entendent se prévaloir pour conclure à des dommages-intérêts, dans la proportion du préjudice qu'ils en auraient individuellement éprouvé ; Que ce mode de proceder dans le but d'économiser les frais, ne paralyse en aucune manière les moyens du défendeur, qui, au contraire, en cas de perte du procès, a à en profiter; Sans s'arrêter ni avoir égard aux fins de non-recevoir, nullités ou autres exceptions présentées par les défendeurs et demandeurs, et dont ils sont, chacun en particulier, déboutės;

Considérant, au fond, que si, en fait, partie des terres des demandeurs ont été endommagées par les lapins qui existeraient en grand nombre dans le bois d'Ozouer-le-Voulgis, il est aussi établi devant le tribunal que Nouguier, simple locataire du droit de chasse, a, en plusieurs fois et dans les limites raisonnables et alors acceptées, payé volontairement des indemnités proportionnelles aux riverains, mais que, dans la circonstance, la résistance de Nouguier aux demandes judiciaires intentées de concert contre lui est suffisamment justifiée ;

Considérant qu'une location, faite pour satisfaire un plaisir, ne peut avoir pour conséquence forcée de voir transformer un simple droit de jouissance en une obligation rigoureuse et compromettante pour les intérêts du locataire constitué, malgré lui, et sans qu'il y ait rien à lui reprocher, agent responsable de tous les dégâts commis par le gibier qui peuple les bois où il a á exercer le droit de chasse qui lui a été concédé ;

Considérant qu'il est établi que Nouguier s'est livré aux actes de jouissance qu'il a entendu acquérir; qu'il n'a rien fait pour augmenter la quantité du

gibier, et notamment des lapins dans les bois loués; qu'il a chassé autant que la saison et ses occupations le lui ont permis;

Considérant que des documents de la cause, et notamment des enquêtes et contre-enquêtes rapportées, il résulte que Nouguier, appelant, cité comme responsable des dégâts dont se plaignent les demandeurs intéressés, a, en sa qualité de locataire du droit de chasse dans les bois d'Ozouer-le-Voulgis, opéré, dans lesdits bois, des chasses nombreuses de destruction en temps permis; qu'après la clôture de la chasse, Nouguier a encore sollicité et obtenu les autorisations nécessaires pour continuer la chasse des lapins; - Que, de fait, des battues répétées ont eu lieu, dans lesquelles une grande quantité de lapins ont été tirés, que la chasse au furet a aussi été pratiquée, que des ouvriers ont été employés à défoncer les terriers, terrassons, rabouillères, de manière à concilier le droit de chasse avec la conservation de la propriété des bois et la protection des intérêts des tiers;

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Considérant que les intimés ne sauraient prétendre qu'il soit jamais entré dans les obligations ordinaires d'un locataire du droit de chasse de détruire complétement le gibier, et par suite les lapins qui ont été l'objet de la location; qu'il ne peut y avoir de chasse sans gibier, ni, par suite, de location de chasse;

Considérant que le propriétaire locateur, bénéficiaire du prix de location, dans le cas où les actes ordinaires de jouissance cédée seraient jugés insuffisants pour sauvegarder les récoltes des voisins, doit mettre en demeure le locataire d'aviser à des moyens extraordinaires pour assurer la destruction demandée ou se faire autoriser à les exercer lui-même, si les conditions du bail ne l'ont point complétement déchargé des cas de responsabilité; que l'article 9 du procès-verbal d'adjudication du droit de chasse consenti à Nouguier, le 29 juin 1853, consacre formellement ces principes ;

Considérant qu'il n'est point justifie de tes mises en demeure faites à Nouguier par le maire d'Ozouer ou les riverains; qu'au contraire Nouguier représente des sommations faites à sa requête aux demandeurs, pour qu'ils aient à concourir aux chasses de destruction que lui, Nouguier, de son propre mouvement, avait ordonnées pour détruire les lapins; que les demandeurs ont refusé de prendre part auxdites chasses ou battues, en prétendant imposer à Nouguier un mode de chasse jugé en opposition avec le but à atteindre et plus tard interdit, en temps prohibe, par arrêté du préfet, mais qui satisfaisait davantage les plaisirs des plaignants qui, par leurs demandes, prétendent bien plutôt obtenir une liberté entière pour l'exercice, selon leur fantaisie, du droit de chasse, qu'une véritable indemnité;

Considérant que les procès-verbaux constatant le dommage ne présentent point par eux-mêmes le caractère certain d'appréciation qui puisse appuyer une condamnation contre Nouguier;

Considerant que dans ces circonstances le dommage causé ne peut être reproché ni à l'imprudence ni à la négligence de Nouguier; que ce dernier justifie suffisamment avoir usé de tous les moyens en son pouvoir pour la destruction des lapins; Que le préjudice éprouvé vient par la conséquence naturelle de la situation des terres ravagées;

Par ces motifs, Met l'appellation et le jugement dont est appel au néant; - Emendant, décharge Nouguier des condamnations contre lui prononcées; En conséquence, Déclare, au principal, les sieurs Jardin, Prevost, Pelletier et Lassaigne non recevables, comme mal fondés en leurs demandes, les en déboute et les condamne en tous les dépens de première instance et d'appel.

Da 21 février 1862. (MM. Millot, pr.; Duvergier, subst. c. conf.; Fontaine et Carette, avoués plaid.)

RÉPERT. DE LÉGISL. FOREST. JUIN 1863.

T. 1.-20

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Pendant le cours de l'instance dirigée par les sieurs Jardin et consorts contre le sieur Nouguier, un autre propriétaire riverain de la forêt d'Ozouer a, sur simple requête présentée au juge de paix de Tournan, le 1er août 1861, demandé la nomination d'experts à l'effet de déterminer l'étendue des dégâts causés à ses récoltes par les lapins sortis de ladite forêt.

Le juge de paix ayant fait droit à cette requête, le sieur Nonguier protesta contre l'expertise ordonnée et refusa d'y assister. Néanmoins le juge de paix, par sentence du 26 août 1861, condamna par défaut le sieur Nouguier à payer au demandeur une indemnité représentative de la valeur des dégâts qui avaient été constatés.

Le sieur Nouguier a interjeté appel de cette sentence. Il a conclu d'abord à la nullité de l'expertise, par le motif que les experts avaient été nommés par le juge de paix alors qu'aucune demande en indemnité n'avait encore été portée devant ce magistrat. Au fond il a soutenu qu'il ne pouvait être déclaré responsable de dégâts qu'il n'avait pas été en son pouvoir d'empêcher ni de prévenir.

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JUGEMENT.

LE TRIBUNAL; Sur la nullité de la procédure d'expertise:

Considérant que les juges de paix ne peuvent, en dehors des actions dont ils sont régulièrement saisis, ordonner aucune mesure d'instruction préalable; que, sous ce rapport, le juge de paix de Tournau n'avait ni droit 'ni qualité pour reprendre la requête à lui présentée le premier août dernier, par Lebrun, à fin d'expertise; que la nomination d'experts faite non contradictoirement avec Nouguier, qui a protesté et refusé d'assister aux opérations de constat, est irrégulière et hulle; Considérant que le jugement par defaut du 26 août dernier s'appuie sur une constatation critiquée et sans valeur;

Considérant que si un dommage réel a été causé par les lapins aux récoltes du sieur Lebrun, il n'est point suffisamment établi devant le tribunal que les lapins, qui se trouvaient en grand nombre dans les bois d'Ozouer-le-Voulgis, s'y soient multipliés par la négligence ou l'imprudence de Nouguier, simple locataire du droit de chasse; - Que Nouguier justifie avoir fait, en ladite qualité, toutes les chasses commandées pour sauvegarder les propriétés riveraines, et employé tous les moyens de destruction en son pouvoir, et cela sans qu'aucune mise en demeure lui ait êté signifiée ; Que lui, au contraire, a fait sommation aux propriétaires riverains des bois de prendre part aux chasses de destruction qui ont en lien et dans lesquelles une grande quantité de lapins ont été tués ; Que, dans ces circonstances, Nouguier ne saurait être responsable de l'impuissance de ses efforts pour protéger d'une manière plus complete les terres qui avoisinent les bois, et qui ont ainsi à subir les conditions désavantageuses de leur position;

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Sans s'arrêter ni avoir égard à l'expertise rapportée, qui est déclarée irrégulière et nulle; Met l'appellation et le jugement dont est appel au néant; Emendant, décharge Nouguier des condamnations contre lui prononcées; En conséquence: Déclare au principal le sieur Lebrun non recevable, comme mal fondé en sa demande, l'en déboute et le condamne en tous les dépens.

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Du 21 février 1862. (MM. Millot, pr.; Duvergier, subst. c. conf.; Arnould et Carette, avoués plaid.)

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Lapins, dégâts, responsabilitė, fermier du droit de chasse.

La clause par laquelle le fermier du droit de chasse dans un bois s'est engagé à empêcher la reproduction des lapins, qui en forment le principal peuplement, ne doit pas être entendue en ce sens que ce fermier soit tenu de les détruire complétement.

It lui suffit, pour échapper à la responsabilité des dégâts commis dans ce bois par les lapins, de prouver qu'il a employé tous les moyens en son pouvoir pour empêcher la multiplication de ces animaux.

(Commune d'Ozouer-le-Voulgis c. Nouguier.)

Cette affaire, qui se rattache incidemment à celle qui précède, s'est produite dans les circonstances suivantes :

La chasse dans les bois communaux d'Ozouer-le-Voulgis a été affermée en 1853, pour neuf années, au sieur Nouguier, qui était tenu, d'après l'article 9 du cahier des charges, de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la reproduction des lapins.

En 1851, le garde forestier d'Ozouer constata que les lapins avaient causé dans les bois affermés des dégâts évalués à 712 fr. 25 c. par l'inspecteur forestier local. Le proces-verbal fut communiqué au sieur Nouguier, avec invitation de verser à la caisse municipale ladite somme de 712 fr. 25 c. Ce fermier, tout en protestant contre les prétentions de la commune, et sans vouloir reconnaitre sa responsabilité, consentit, à titre de transaction, à payer la somme qui lui était réclamée.

Sur ces entrefaites, le garde forestier signala au maire des dégâts beaucoup plus considérables que ceux qui avaient été constatés par son premier procèsverbal. Le sieur Nonguier ayant formellement refusé toute nouvelle indemnite à la commune, le maire d'Azouer forma contre lui, devant le tribunal civil de Melun, une action tendant à le faire condamner en 4,000 francs de dommages-intérêts.

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A cette demande, le sieur Nouguier répondit : - 1° Qu'il n'avait cessé de détruire des lapins; 2° Que c'était à la commune et non à lui qu'incombait le soin de procéder à la destruction des terriers ; -3° Qu'il n'y avait lieu à aucuns dommages-intérêts, et qu'au surplus on ne comprendrait pas que la commune, qui profitait de la location de la chasse, pût encore tirer un béné fice indirect de la présence du gibier dans les mèmes bois.

Enfin, le sieur Nouguier, se portant reconventionnellement demandeur, réclama la restitution des 712 francs qu'il n'avait payés qu'à titre de transaction et pour éviter un procés: or, du moment que la commune lui intentait ce procés, elle ne devait plus conserver cette somme.

JUGEMENT.

LE TRIBUNAL; Considérant que les points du procès ne présentent pas à juger si les bois d'Ozouer-le-Voulgis contiennent une grande quantité de lapins, et si des dégâts appréciables ont pu y être constatés, mais bien si Nouguier, simple locataire du droit de chasse dans ledit bois, peut être déclaré responsable du dommage que les lapins y auraient causé réellement ;

Considérant que les obligations faites à Nouguier par son bail ne peuvent être prises en dehors des actes de jouissance qui ont été l'objet du contrat entre lui et la commune, et des conditions particulières qui ont pu lui être imposées par extension ou à la décharge du droit de propriété;

Considérant qu'à l'égard de l'exercice du droit de chasse, Nouguier a été substitué à la commune d'Ozouer-le-Voulgis par l'adjudication du 10 juillet 1853;

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