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d'Etat dans la décision du 16 novembre 1850, et motivée en ces termes : « Considérant que l'usine dont il s'agit a une existence antérieure à 1566, et « que, par l'acte du 29 fructidor an II, l'Etat l'a vendue sans aucune réserve et, par conséquent, avec les droits attachés à son origine, etc., etc.; » Qu'à la vérité cette vente nationale de l'an II et cette décision du Conseil d'Etat, de 1850, sont étrangères au petit moulin de Bidonnet, mais que, pour cette partie de leur usine, les appelants réclament le bénéfice de l'article 2 de la loi du 15 avril 1829, qui reconnaît leur droit exclusif de pêche dans un canal d'amenée existant dans leur propriété et entretenu à leurs frais ;

<< Attendu que ce système des actionnaires des moulins de Moissac ne trouve pas sa confirmation dans les actes qu'ils invoquent ni dans les faits; qu'ils allèguent que la transaction de 1721, malgré la règle : In antiquis enonciativa probant, est dépourvue de toute forme probante, parce qu'elle est intervenue entre les propriétaires du grand et du petit moulin, et que la transaction de 1430 et la sentence arbitrale de 1478 dont elle contient la mention ne peuvent être considérées comme des titres réguliers exigés par l'édit de 1683; qu'il est donc permis de dire que les appelants ne prouvent même pas qu'avant l'année 1566 ils étaient en possession de ce droit de pêche dont ils entendent se prévaloir, malgré les lois qui en ont prononcé l'abolition depuis 1789;

« Qu'en second lieu, on ne voit pas comment l'Etat, en leur vendant le grand moulin, en l'an II, aurait pu, au mépris de la loi, les maintenir en possession d'un droit de pêche autre que celui dont tout le monde jouissait à cette époque; qu'il n'a eu en vue que le droit de pêche devenu commun à tous, quand il a annoncé que l'adjudicataire de l'usine aurait des facilités particulières pour l'exercer ;

Qu'enfin, on ne peut regarder comme mieux fondée la fin de non-recevoir puisée dans l'autorité de la chose jugée; Que le Conseil d'Etat, à qui d'ailleurs une question de propriété ne pouvait pas être soumise, n'a vérifié le titre de l'établissement du grand moulin que pour s'éclairer sur le mérite d'une demande d'indemnité pour chômage audit moulin; que le droit de pêche dont il s'agit dans l'instance actuelle n'a rien de commun avec la force inotrice dont le degré était en question devant la juridiction administrative, parce qu'elle devait seule servir de base au règlement de l'indemnité demandée;

« Qu'en ce qui touche le canal d'amenée du petit moulin, la prétention des appelants ne peut pas être l'objet d'un sérieux examen; qu'il résulte de la transaction du 6 octobre 1721, produite par les appelants eux-mêmes, que le canal dont ils se disent propriétaires a été créé dans le lit de la rivière du Tarn à l'aide des travaux d'entretien ou de réparation aux rives d'un cours d'eau dont ils tiraient un avantage particulier; Que de ces dernières considérations il résulte que les appelants ne peuvent pêcher dans les locaux par eux indiqués, ni en vertu d'un droit acquis fondé, soit sur des titres anterieurs à 1566, soit sur une décision passée en forme de chose jugée, ni en vertu de l'exception établie par l'article 2 de la loi du 15 avril 1829, à l'égard des canaux existant dans une propriété particulière;

« Sur la deuxième question; Attendu que les appelants sont propriétaires non-seulement du grand et du petit moulin de Moissac, mais encore des pertuis, chaussées et barrages qui en dépendent; que l'Etat ne saurait élever et n'élève réellement aucune contestation à ce sujet; que son droit de pêche peut être exercé par lui dans toutes les eaux du Tarn, mais que ce droit n'im-> plique nullement celui de se servir de constructions qui ne lui appartiennent pas pour y placer des amarres, des filets et autres engins; que, pour la pêche fixe, qui exige l'emploi d'appareils placés aux arches des ponts, des écluses et des moulins, il existe des dispositions réglementaires auxquelles l'Etat est tenu de se conformer, et ses fermiers ne sont autorisés à exercer cette espèce

de pêche que dans des limites et suivant les conditions déterminées, soit dans l'acte d'adjudication, soit dans le cahier des clauses spéciales; que, dans l'espèce, l'Etat n'invoque aucun règlement à l'appui de sa prétention, et qu'il s'abstient même de produire l'acte d'adjudication de son fermier et le cahier de clauses spéciales; qu'il est impossible de lui reconnaître un droit dont il ne justifie pas et que semble exclure ce fait important, révélé par un précédent litige, à savoir: que, jusqu'en l'année 1857, les fermiers de l'Etat ont toujours passé des baux avec les actionnaires des moulins pour faciliter l'exercice de leur droit de pêche; qu'on s'explique qu'avec certains usiniers, comme avec les propriétaires riverains, ces fermiers puissent être obligés de faire les traités de gré à gré dont parle l'article 35 de la loi du 15 avril 1829; que, s'il est vrai qu'un moulin doive être considéré comme une propriété sui generis, encore ne peut-il être assujetti envers l'Etat qu'aux charges qui lui sont imposées par le titre de son établissement ou par les réglements;

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Par ces motifs, la Cour, vidant le renvoi au Conseil, disant droit sur l'appel envers le jugement, réformant quant à ce, déclare que l'Etat ne justifie pas qu'il ait, pour l'exercice de la pêche, la faculté de placer des filets et engins dans les barrages et pertuis qui desservent les moulins de Moissac, ni d'y attacher des amarres; maintient le jugement attaqué dans sa disposition relative au droit de pêche, qu'il reconnait à l'Etat à l'exclusion des appelants. >> Les actionnaires des moulins de Moissac se sont pourvus en cassation contre cet arrêt, pour violation des articles 2 et 3 de la loi du 15 avril 1829 et fausse application de l'article 83 de la même loi, ainsi que de celles des 4 août 1789, 22 novembre et 1er décembre 1790, et des décrets des 6, 30 juillet et 28 novembre 1793, en ce que l'arrêt attaqué a refusé de leur reconnaître le droit de pêche dans les eaux du Tarn qui baignent leurs usines.

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Le droit de pêche, a-t-on dit, n'existe au profit de l'Etat qu'à deux conditions simultanées: la première, que le cours d'eau et ses dérivés soient navigables ou flottables, ou qu'on puisse au moins y pénétrer en bateau de pêche; la seconde, que leur entretien soit à la charge de l'Etat. Or, dans l'espèce, d'une part, les bateaux ne pourraient remonter le pertuis du grand moulin, et, d'autre part, jamais l'entretien de ce pertuis ni du canal de dérivation du petit moulin n'a été à la charge de l'Etat. D'ailleurs, les demandeurs justitient d'une concession antérieure à l'édit de 1566, concession qui a servi de base à la transaction du 6 octobre 1721, passée entre les propriétaires des deux moulins. Enfin, si cette transaction et les actes antérieurs qu'elle énonce ne peuvent servir de titre au demandeur, ils justifient tout au moins d'une possession équivalente à titre, possession prolongée et maintenue sans trouble jusqu'à ce jour. A tous les points de vue donc, l'arrêt attaqué aurait dû les maintenir dans le droit de pêche litigieux.

ARRÊT.

LA COUR ; - Attendu que les lois de 1789 et de 1790, et les décrets des 6 et 30 juillet 1793 et 8 frimaire an II ont aboli tous les droits privés de pêche dans les rivières navigables, sans excepter les droits réservés par la législation antérieure, et notamment par l'article 41, tit. XXVII, de l'ordonnance de 1669; - Que cette abolition a continué de subsister jusqu'à la loi du 15 avril 1829, qui, en maintenant les droits de l'Etat sur les cours d'eau navigables et flottables par son article 1er, ne reconnaît pas davantage les droits que n'avaient pas respectés les lois de 1789 et 1790;

Attendu, d'ailleurs, que si les demandeurs ont invoqué une transaction de 1721 comme pouvant fonder le droit exclusif de pêche qu'ils réclamaient dans les eaux qui baignent les chaussées et autres dépendances de leurs moulins, ce titre et ceux qu'il énonce ne peuvent être opposés à l'Etat, qui n'y a pas été partie; que l'action des demandeurs se trouvait donc repoussée par le

principe général qui attribue à l'Etat le droit de pêche: 1 dans tous les fleuves et rivières, canaux et contre-fossés navigables ou flottables avec bateaux, trains ou radeaux, et dont l'entretien, est à la charge de l'Etat ou de ses ayants cause; 2° daus les bras, noues, boires et fossés qui tirent leurs eaux des rivières navigables ou flottables, dans lesquels on peut, en tout temps, passer ou pénétrer librement en bateau de pèche et dont l'entretien est également à la charge de l'Etat ;

Attendu qu'il n'est pas méconnu que le Tarn, sur les rives duquel sont établis, à droite et à gauche, les moulins des demandeurs, est navigable, et qu'il est constaté par l'arrêt que le canal d'amener du petit moulin dit Bidonnet est creusé dans le lit même de la rivière; qu'il n'a pas été allégué devant les juges du fait, ni que le pertuis fût insuffisant pour le passage des bateaux, ni même que daus cette partie de la rivière un bateau de pêche ne pût pénétrer en tout temps jusqu'au moulin, soit en descendant, soit en montant;

Que les demandeurs se sont uniquement prévalus des travaux d'entretien qu'ils avaient fait opérer à leurs frais à la chaussée et au pertuis du grand moulin, ainsi qu'au canal d'amener et de fuite du petit moulin: que le fait de cette réparation, accompli dans l'intérêt unique du roulement des usines, ainsi que le constate l'arrêt, ne déplace pas plus la charge qui en incombait à l'Etat, comme une conséquence de sou droit de propriété sur le lit entier de la rivière, qu'il ne peut déplacer le droit de pêche qui en est le corollaire;

REJETTE.

Du 15 janvier 1861.- (MM. Nicias-Gaillard, pr.; Nachet, rapp.; de Peyramont, av. gén., c. contr.; Labordére, av.)

No 12.

COUR DE CASSATION (Ch. crim.). 25 janvier 1861. Exception préjudicielle, admissibilité, faits de possession, Est à l'abri de la censure de la Cour de cassation le jugement correctionnel qui repousse une exception préjudicielle de propriété et refuse le sursis demandé, en se fondant sur l'insuffisance des articulations relatives aux faits possessoires invoqués par le prévenu (1).

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LA COUR ; En ce qui touche le premier moyen, tiré du refus de surseoir à la poursuite jusqu'à ce que la juridiction, civile eût statué sur la question de propriété soulevée par le demandeur, contrairement aux prescriptions de l'article 182 du Code forestier;

Attendu que le jugement attaqué a tenu pour insuffisantes les articulations du prévenu sur les faits possessoires, base de l'exception préjudicielle proposée et de la demande en sursis qui en était la conséquence; que ces constatations et appréciations à cet égard sont souveraines; qu'elles échappent au controle de la Cour; - REJETTE.

Du 25 janvier 1861.MM. Maynard de Franc, rapp.; Guyho, av. gen.; Rendu, av.)

(1) Voir, dans le même sens, cassation 19 mars 1835, 3 mai et 25 juillet 1844, et 8 mars 1846; Meaume, Comm. no 1295.

No 13. COUR DE CASSATION (Ch. crim.). 11 avril 1861.

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Exception préjudicielle, sursis, délai, preuve.

Le juge de répression ne doit pas se borner à fixer le délai dans lequel l'exception préjudicielle de propriété soulevée par le prévenu serà portée devant la juridiction compétente, il doit encore mettre explicitement la poursuite de l'instance civile à la charge du prévenu (1).

(Ministère public c. Laquerrière.) — ARKET.

LA COUR-Sur le quatrième moyen, fondé sur ce que le juge, dans sa decision du 23 janvier 1861, en ordonnant le sursis jusqu'à ce qu'il eût été statue sur la question préjudicielle de propriété soulevée par le prévenu, et en fixant un délai de trois mois, a néanmoins omis de mettre la poursuite de l'action civile à la charge du prévenu;

Vu l'article 182 du Code forestier; Attendu que cet article exige nonseulement que le jugement qui ordoune le sursis fixe le délai dans lequel la preuve sera rapportée, mais aussi en met l'exécution à la charge du prévenu, qui excipe de la question de propriété, puisque autrement le jugement interlocutoire pourrait n'être jamais exécuté, le ministère public n'ayant ni qualité ni droit pour porter devant les juges compétents la contestation civile sur la propriété;

D'où il suit que le jugement du 23 janvier 1861, en ne mettant pas la poursuite de l'action préjudicielle à la charge du prévenu qui avait soulevé la question de propriété, a formellement. violé, l'article 182 du Code forestier; Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens présentés par le demandeur en cassation; CASSE.

Du 11 avril 1861. (MM. Foucher, rapp.; Savary, av. gén.; Ripault, av.)

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COUR IMPERIALE DE LYON (Ch. corr.). — 24 janvier 1864.

Chasse, nuit, crépuscule.

En matière de chasse, la nuit n'est réputée commencer qu'au moment où le crépuscule finit, non point le crépuscule vrai ou astronomique, mais le crépuscule civil ou conventionnel (2).

En conséquence, le fait de chasser pendant la durée du crépuscule

(1) Voir, en ce sens, crim. cass., 20 mai et 13 août 1853, affaire Roux et Chastellux, B. A., F., art. 1072 et 1085..

(2) Cette interpretation du mot muit est tout à fait, nouvelle en jurisprudence. -La Cour de cassation a quelquefois considere ce mot comme comprenant l'iutervalle de temps qui s'ecoule entre le lever et le coucher du soleil (2 juin 1848 et 29 novembre 1860; Cod. proc. civ., 781 et 1037), Dans d'autres circonstances et notamment en matière de roulage, elle a juge qu'il appartient au juge du fond d'apprécier s'il faisait nuit au moment, où le procès-verbal a été dressé. Cette dernière interpretation est généralement admise en matière de chasse, et elle s'appuie sur les declarations des rapporteurs de la loi à la Chambre des pairs et à la Chambre des députés. Elle est adoptée par MM. Championnière,p.55; Gillon, p. 166; Berryat, p. 87; Pereve, p. 301; Petit, no 226; Duvergier, p. 43..

Celle que propose la Cour de Lyon ne, semble point appelée à faire jurisprudence. La Cour a voulu, en enfermant le temps de nuit dans des limites précises, donner à la loi un sens nettement déterminé et prévenir ainsi toute appréciation arbi

astronomique ne constitue pas une infraction aux dispositions de la loi du 3 mai 1841 qui prohibent la chasse de nuit (1).

(Ministère public c. Garel.)

Il a été constaté, par procès-verbal régulier en date du 2 décembre 1860, que le sieur Garel avait été trouvé chassant dans la campagne à cinq heures du soir, alors que le soleil était couché depuis une heure. En raison de ce fait, le sieur Garel a été traduit devant le tribunal correctionnel de Montbrison, pour infraction aux dispositions de la loi du 3 mai 1844 qui prohibe la chasse de nuit. Mais le tribunal l'a renvoyé de la plainte par ce motif, qu'il résultait du procès-verbal que les gendarmes rédacteurs avaient pu voir l'heure précise à leur montre et lire le permis de chasse du prévenu, ce qui prouvait qu'il ne faisait pas encore nuit au moment où ces agents de la force publique l'avaient rencontré.

Le ministère public a interjeté appel de ce jugement.

ARRÊT.

LA COUR; Considérant que le prévenu, porteur d'un permis de chasse régulier, a été trouvé chassant, le 2 décembre dernier, à cinq heures du soir; Considérant que la qualification légale à donner à ce fait dépend du point de savoir s'il est nuit, dans le sens de la loi, le 2 décembre, à cinq heures du soir;

Considérant que les auteurs et même les arrêts sont divisés sur la portée à attribuer, dans le langage du droit criminel, à ces mots pendant la nuit ; - Que les uns en ont cherché l'interprétation par analogie dans les dispositions de l'article 781 du Code de procédure civile, les autres dans celles de l'article 1037 du même Code;-Que d'autres enfin veulent qu'on abandonne à l'appréciation arbitraire du juge ou du juré la détermination de la circonstance de nuit ;

Considérant qu'aucun de ces systèmes ne satisfait complétement la raison et la conscience; que d'abord, il ne saurait être permis d'étendre par

traire de la part des tribunaux. Mais, en réalité, elle n'a fait que déplacer la difficulté. En effet, comme le font remarquer judicieusement les rédacteurs du Journal du Palais, au lieu de porter sur le temps de nuit, l'appréciation porterait sur l'heure à laquelle l'infraction a été constatee, et il serait, on le comprend, bien autrement difficile pour des témoins de preciser cette heure que de dire s'il faisait nuit au moment de la perpétration du délit.

Le système de la Cour de Lyon paraît d'ailleurs contraire à l'esprit de la loi, qui, en déclarant la circonstance de nuit constitutive ou aggravante d'un crime ou d'un délit, a voulu prévenir le danger résultant pour la sûreté publique de ce que le fait incriminé aurait eu lieu dans l'obscurité. Or, on sait qu'il fait souvent tout à fait nuit, le soir, avant la fin du crépuscule astronomique, et le matin après le commencement de ce crépuscule.

Voir, au surplus, pour les diverses interprétations auxquelles a donné lien le mot nuit en matière pénale, les Tables et répertoires de jurisprudence de Sirey, Dalloz, et du Journal du Palais, vis BRUITS ET TAPAGES NOCTURNES, CHASSE, RÈGLEMENTS DE POLICE, ROULAGE, VOL.

(1) La Cour de Douai a jugé, le 9 novembre 1847, que la chasse ne doit pas être réputée avoir eu lieu la nuit, par cela seul que le fait a été accompli après le cou. cher du soleil, s'il faisait encore jour à ce moment, par exemple, le 6 octobre, à six heures et demie du soir (D. P. 47, 4, 70; S. 48, 2, 719; J. Pal. 48, 2, 284.) La Cour de Dijon a jugé, au contraire, le 11 novembre 1846, que le jour s'entend seulement du temps qui s'écoule entre le lever et le coucher du soleil, et qu'en consequence il y a délit de chasse de nuit de la part de celui qui a chassé, le 30 août, à quatre heures du matin. (Aff. Calmelet, B. A, F., arī. 699; D. P. 47, 4, 69; J. Pal. 47, 1, 39.)

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