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que l'article 9 du cahier des charges, en défendant au fermier de la chasse de laisser les lapins se reproduire dans les bois, ne peut être entendu qu'en ce sens qu'il serait opéré des chasses de nature à empêcher que le nombre des lapins existant ne fut augmenté; qu'il n'est point établi que la quantité des lapins soit aujourd'hui plus considérable qu'au jour de l'adjudication; qu'aucune clause n'a imposé à Nouguier des actes contraires au droit de jouissance qu'il a entendu acquérir et qui lui a été adjugé; que les obligations qui tiennent au droit de propriété n'ont point été redimées par la location;

Considérant que si, devant la grande multiplication des lapins, l'exercice sérieux du droit de chasse peut être un moyen reconnu insuffisant pour abriter les récoltes riveraines contre les dégâts des lapins, l'action en réparation du préjudice ne peut être dirigée que contre le propriétaire du sol servant de refuge et d'asile aux lapins; Que le locateur d'un droit de chasse ne peut tirer profit d'un bail dont le prix a été fixé à raison de la plus ou moins grande quantité de gibier, et se faire un argument de cette circonstance de la multiplication du gibier pour formuler une demande en dommages-intérêts contre son locataire (1);

Considérant que si, au vis-à-vis des propriétaires des héritages riverains, il appartient au propriétaire des bois et aux cessionnaires du droit de chasse de se concerter pour les mesures à prendre afin de sauvegarder les récoltes des tiers, tout en assurant le droit de chasse concédé, l'action personnelle du propriétaire contre le locataire à raison des dégâts commis par les lapins dans les bois loués ne pourrait résulter que d'une contravention au droit de jouissance tel qu'il a été concédé; - Que l'article 9 du cahier des charges de l'adjudication n'est que l'enregistrement de réserves commandées au bailleur par le dessaisissement du droit de jouissance, pour sauvegarder la propriété elle-même par des actes personnels audit bailleur et pour l'abriter contre les actions des tiers;

Considérant que l'existence du gibier qui a fait l'objet de la location ne peut être présentée comme une cause de dommages-intérêts prévus, et d'ail leurs couverts par le prix du bail obtenu, et toujours supérieur aux dégâts constatés ;

Considérant que si, en fait et par un sentiment de conciliation, Nouguier a payé entre les mains du receveur municipal de la commune d'Ozouer-leVoulgis des sommes s'élevant ensemble au chiffre de 712 fr. 25 c. pour un dommage constaté, mais non reconnu, ladite commune, qui a refusé la transaction sur procès ne peut en profiter au cas où elle succombe sur son action; Considérant que des documents de la cause il résulte suffisamment que Nouguier, simple locataire du droit de chasse, n'a ni négligence ni imprudence à se reprocher à l'égard des intérêts de la commune; - Qu'il a chassé autant que le temps et ses occupations le lui ont permis; qu'il justifie encore de l'accomplissement de nombreux travaux pour arriver à la destruction des terriers;

Déclare Fournier ès nom non recevable comme mal fondé en sa demande, et l'en déboute; En conséquence, autorise Nouguier à retirer des mains du receveur municipal de la commune d'Ozouer-les-Voulgis la somme de 712 fr. 25 c. qu'il y a versée;

Sur le surplus des demandes, fins et conclusions des parties, les met hors Et condamne Fournier ès nom aux dépens.

de cause;

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Du 28 février 1862. et Carette, avoués plaid.)

(MM. Millot, pr.; Duvergier, subst. c. conf.; Poyez

(1) Voir, en ce sens, M. Sorel, De la responsabilité des propriétaires de bois,

N° 164. - JUSTICE DE PAIX DE PREMERY (Nièvre).

8 octobre 1860.

Forêt, sanglier, dégâts, propriétaire, responsabilité.

Le propriétaire d'un bois où des sangliers sont venus se réfugier n'est pas responsable des dégâts causés par ces animaux aux héritages riverains, alors même qu'il aurait négligé de les détruire, et qu'il aurait refusé aux propriétaires lésés l'autorisation de les poursuivre sur son domathe1.

(Thibault c. comte d'Osmond.).

La forêt de Charnouveau, appartenant à M. le comte d'Osmond, est peuplée de sangliers qui font souvent irruption sur les propriétés voisines. Il paraitrait que loin de chercher à diminuer le nombre de ces animaux, M. d'Osmond interdit à ses gardes de les chasser, et qu'il s'oppose même à ce que les propriétaires riverains emploient sur le sol de sa forêt les moyens nécessaires pour les détruire.

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C'est dans ces circonstances que M. Thibault, propriétaire de deux pièces de terre longeant la forêt de Charnouveau, sur une étendue de 1,500 mètres, a formé contre le comte d'Osmond, par application de l'article 1383 du Code Napoléon, une demande tendant à le faire condamner à lui payer, à dire d'experts, une indemnité égale au montant des dommages causés à ses récoltes par les sangliers existant dans ladite forêt. A l'appui de sa demande, le requérant a articulé que ses gardes et domestiques avaient fait de vains efforts pour repousser les irruptions des sangliers; que leur surveillance était déjouée par le nombre et la ruse de ces animaux, qui s'introduisaient tantôt sur un point et tantôt sur un autre, et échappaient à toutes les chances de destruction à la faveur de la nuit et grâce à l'asile protecteur de la forêt, dans laquelle il n'était pas permis de les poursuivre.

Sur cette assignation, le juge de paix de Prémery a, par un premier jugement du 20 août 1860, attendu l'urgence et sans préjuger le fond, nommé des experts à l'effet de constater, avant l'enlèvement des récoltes, l'existence et l'étendue du dommage allégué. Puis, à l'audience du 8 octobre suivant, au vu du procès-verbal d'expertise, et après avoir entendu les explications fournies par les parties, il a statué en ces termes :

JUGEMENT.

NOUS, JUGE DE PAIX ; Attendu que s'il est établi en fait qu'un dommage a été causé aux champs du demandeur par des sangliers provenant de la forêt de Charnouveau, ainsi que le constate le rapport des experts, il y a lieu d'examiner si le défendeur peut en être responsable, en vertu de l'article 1383 du Code Napoléon invoqué par le demandeur; qu'il y a lieu d'examiner si le défendeur a usé de son droit en interdisant la chasse dans ses forêts, et si l'article invoqué peut lui être appliqué;

Attendu que l'article 3 de la loi du 4 août 1789 est ainsi conçu : « Le droit exclusif de la chasse et des garennes ouvertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique; »

Attendu qu'il est dit par l'article 1er de la loi du 3 mai 1844 que nul n'aura la faculté de chasser sur la propriété d'autrui sans le consentement du pro

(1) Voir, en sens contraire, les deux décisions qui suivent. Voir aussi les observations qui accompagnent ces décisions. V. enfin Tours, 17 déc. 1861, p. 319.

priétaire ou de ses ayants droit; Que le défendeur avait donc le droit d'interdire la chasse au demandeur sur ses propriétés (1);

lui

Attendu que le demandeur devait se renfermer dans le seul droit appartient de détruire les animaux nuisibles sur sa propriété et là où il était suffisamment autorisé;

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Attendu que c'est en vain que le demandeur invoque l'arrêt de la Cour de cassation du 3 janvier 1810 (dame de Massy c. dame de Montmorency); - Que la Cour rejeta le pourvoi de la damne de Montmorency, en vertu de l'article 1385 du Code Napoléon (2); Que, dans ce procès, il s'agissait de lapins et non d'autres animaux sauvages; Que le lapin peut, en quelque sorte, être considéré comme un animal à résidence fixe, dont le propriétaire de la forêt où il est fixé peut être responsable, surtout lorsqu'il apporte tous ses soins à sa conservation;

Attendu, au contraire, que le sanglier a des habitudes nomades; qu'il est res nullius (3); qu'on ne peut dire que l'on favorise sa multiplication en lui assurant une retraite paisible, puisqu'il est constant que le sanglier qui se trouve aujourd'hui dans une forêt est le lendemain à de grandes distances;

Attendu que si les propriétaires de forêts pouvaient être responsables des dégâts commis par les sangliers, ils le seraient également des renards, des loups et des autres animaux qui peuplent les forêts; Que si ce principe était admis, les propriétaires de forêts seraient soumis à une foule de demandes exorbitantes et abusives;

Attendu que l'on ne saurait donc dire qu'il y a eu imprudence ou négligence de la part du défendeur, puisqu'il ne peut dépendre de lui de détruire les animaux qui ne font que passer sur ses propriétés comme sur celles des autres, et qui appartiennent au premier occupant;

Par ces motifs, disons que le comte d'Osmond ne saurait être responsable En des dommages causés par les sangliers aux propriétés de M. Thibault; conséquence, déclarons la demande de M. Thibault mal fondée et non recevable, l'en déboutons et le condamnons aux dépens. Du 8 octobre 1860. (M. de Jarry, juge.)

(1) C'était son droit de propriétaire, sans aucuu doute; mais il n'y a pas de "droit si absolu qu'il ne rencontre une limite dans le droit d'autrui. La loi, dit la Cour de cassation, en consacrant ce principe que chacun peut user de la chose comme il lui plait, y a ajouté la condition, à celui qui en use, de n'être nuisible à autrui en aucune manière (arrêt du 14 septembre 1816, affaire de Coupigny).

« Vivant avec nos semblables, a dit Portalis, dans l'Exposé des motifs du litre de la propriété, nous devons respecter leurs droits comme ils doivent respecter les nôtres. Nous ne devons donc pas nous permettre, même sur notre fonds, des procédés qui pourraient blesser le droit acquis d'un voisin ou de tout autre. (Voir Locre, t. VIII, p. 159.) Voir aussi, sur la question, Dalloz, Rép. gén., vo RESPONSABILITÉ, no 116.

(2) Il y a là une erreur de fait. « Dans l'espèce de cet arrêt, dit Merlin (Questions de droit, vo GIBIER), la dame de Montmorency attaquait un jugement en dernier ressort du tribunal civil de Vendôme, qui la condamnait à réparer le dommage causé aux récoltes voisines de la forêt de Fretteval, par les lapins existant dans cette forêt, et elle soutenait que n'étant point propriétaire de ces lapins, elle ne pouvait pas, d'après l'article 1385, répondre des dégâts dont il s'agissait. La Cour de cassation a rejeté son recours, non sur le fondement que l'article 1385 fût applicable à la dame de Montmorency, ou, ce qui revient au même, sur le fondement que les lapins existant dans la forêt de Fretteval fussent sa propriété, mais sur le fondement que l'article 1383 suffisait pour motiver la condamnation prononcée contre elle. »

(3) Cela n'a rien de spécial au sanglier. Les lapins et tous les autres animaux vivant à l'etat sauvage sont également res nullius. Voir Merlin, Questions de droit, yo GIBIER; Dalloz, Rép. gen., vis BIENS, no 271, et RESPONSABILITÉ, no 735; Sorel, Dommages aux champs causés par le gibier, no 9; Marcadé, Sur l'article 1385; civ. rej., 13 janvier 1829, affaire Dassonvillez.

N° 165.JUSTICE DE PAIX DE RIBÉCOURT (Oise). 25 mai 1860.

Forêt, sangliers, responsabilité, propriétaire, doncessionnaire de la chasse, référé, frais, expertise, évaluation, commune renommée.

Le propriétaire d'une forêt dans laquelle des sangliers viennent chercher un refuge est responsable des dégâts qu'ils causent aux héritages riverains, lorsqu'il les laisse s'établir et se multiplier dans cette forêt sans prendre les dispositions nécessaires pour les détruire et sans permettre aux propriétaires riverains de les y poursuivre (1).

Le concessionnaire du droit de chasse dans une forêt est substitué au propriétaire en ce qui touche les avantages et les inconvénients attachés à l'exercice de ce droit.

llest en conséquence tenu, en lieu et place de ce propriétaire, de répondre des dégâts commis par le gibier (2).

Les propriétaires d'héritages ravagés par le gibier sorti des forêts avoisinantes peuvent se pourvoir en référé devant le président du tribunal de première instance, à fin de nomination d'experts chargés de constater les dégâts.

Toutefois, comme le recours à la voie du référé n'est point rigoureusement nécessaire, les frais qu'il entraîne doivent rester à la charge des demandeurs.

Les experts peuvent apprécier les. dommages par commune renommée, quand il y a pour eux impossibilité d'agir autrement.

(Morin et consorts c. liste civile). — JUGEMENT.

NOUS, JUGE DE PAIx, elc.; Attendu qu'il est constant et reconnu en fait que les demandeurs sont propriétaires ou fermiers de parcelles de terre avoisinant les forêts d'Ourscamp et de Carlepont;

Attendu qu'il est également constant et prouvé au procès que les diverses parcelles de terre étaient, les unes plantées en pommes de terre, les autres ensemencées en seigle, blé et avoine pour en faire la récolte en 1859;

Attendu que les demandeurs, prétendant que leursdites récoltes en pommes de terre, blé, seigle et avoine, auraient été ravagées par les sangliers entretenus en grand nombre dans les forêts d'Ourscamp et de Carlepont, réclament á l'administration de la liste civile, comme ayant la jouissance exclusive de la chasse des sangliers dans ces forêts appartenant à l'Etat, la réparation des dommages causés par les animaux sauvages dont il s'agit sur leurs parcelles de terre sus-indiquées, et qu'ils appuient leur action sur l'avis de trois experts qui auraient constaté lesdits dommages et en auraient fixé l'importance pour chacun des demandeurs ;

Attendu, en effet, qu'il est représenté, par les demandeurs, deux procesverbaux dressés, le 27 septembre dernier, par MM. Vignon, Dallouette et Gambier, experts nommés par deux ordonnances de référé rendues par le président du tribunal civil de Compiègne, en date des 26 août et 13 septembre 1859, enregistrées; qu'il résulte desdits procès-verbaux, qui ont été enregistrés et déposés au greffe du tribunal et expédiés, que les experts susnommés, après avoir prêté serment, ont visité les parcelles de terre des demandeurs, con

(1-2) Voir, en ce sens, justice de paix de Guéméné, jugement du 20 décembre 1862, ci-après. Voir aussi les observations placées à la suite de ce jugement. Contra justice de paix de Prémery, jugement du 8 octobre 1860, ci-dessus, p. 309.

staté les dégâts qu'ils y ont reconnus avoir été causés par les sangliers, surtout des forêts d'Ourscamp et de Carlepont, et évalué ces dégâts à la somme totale de 3,710 fr. 89 c., répartie entre les demandeurs suivant leurs droits; Mais attendu que l'administration de la liste civile prétend qu'elle n'est nullement responsable des dégâts qui auraient été commis par des sangliers réfugiés dans les forêts d'Ourscamp et de Carlepont; que les sangliers sont des animaux sauvages qui n'appartiennent pas au propriétaire de ces forêts; et que, sous ce premier rapport, l'article 1385 du Code Napoléon serait inapplicable dans l'espèce; Que, d'un autre côté, les forêts d'Ourscamp et de Carlepont ne font pas partie du domaine de la couronne, que seulement le droit de chasse en a été concédé à la liste civile, qui d'ailleurs a fait procéder à la chasse et à la destruction des sangliers;

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Attendu que ce système de défense de l'administration de la liste civile est inadmissible; qu'en effet, cette administration, se trouvant de son propre aveu, quant à la chasse, au lieu et place de l'Etat, propriétaire desdites forêts, doit supporter les inconvénients de sa position aussi bien qu'elle profite des avantages y attachés ; que la chasse est l'avantage, et la garde du gibier l'inconvénient, et que la responsabilité ne peut donc être déclinée par la liste civile en principe;

Au fond; Attendu que le droit de chasser et de conserver du gibier est incontestable, mais qu'il a des limites, et cesse d'être licite lorsqu'il cause à autrui un dommage réel; que s'il est permis de conserver du gibier sur sa propriété ou sur celle dont la chasse vous appartient, ce ne peut être qu'à la condition qu'il y restera et qu'il n'en sortira pas pour aller se nourrir aux dépens des propriétés voisines et dévaster les récoltes;

Que celui-là donc qui a conservé des animaux sauvages, tels que des sangliers, dans l'intérêt de sa chasse, devient responsable du dommage qu'il cause, et doit les détruire, alors surtout qu'il en a seul les moyens et le droit ; qu'il ne saurait justement exiger qu'on sacrifie à son plaisir l'intérêt des cultivateurs; que c'est là ce que décident la raison et l'équité, ce que prescrit l'intérêt public et ce qui se trouve sanctionné par l'article 1383 du Code Napoléon; qu'il y a eu imprudence de la part de l'administration de la liste civile à laisser les sangliers s'établir dans les forêts d'Ourscamp et de Carlepont et s'y multiplier, et dans tous les cas à ne pas les détruire; qu'elle est donc responsable envers les demandeurs du préjudice dont ils se plaignent et qu'ils justifient, ainsi qu'il a été dit précédemment ;

Attendu, en outre, qu'il résulte des débats que la liste civile a, non-seulement négligé de détruire ou de faire détruire les sangliers des forêts d'Ourscamp et de Carlepont, mais encore qu'elle ne s'est pas prêtée à en laisser opérer la destruction par les propriétaires voisins et qu'il y a encore là imprudence de sa part;

Attendu, enfin, qu'il est surabondamment démontré au procès que les dégâts dont la réparation est demandée ont été causés par les sangliers provenant des forêts d'Ourscamp et de Carlepont;

Attendu que l'administration de la liste civile prétend aussi que les expertises prescrites par M. le président en état de référé seraient nulles comme incompétemment ordonnées, et que, dans tous les cas, les experts n'avaient pu faire de constatations par commune renommée;

Attendu, à l'égard de la validité du référé dont il s'agit, qu'il n'y a pas d'instance principale introduite quand cette mesure provisoire a été ordonnée, et que, des lors, le président du tribunal civil n'était pas incompetent pour la nomination des experts; que, sans doute, il aurait été préférable que les demandeurs eussent agi devant le tribunal compétent, sans recourir à ce circuit de procédure qui n'a fait que retarder la solution du procès, l'a rendu plus difficile et a augmenté considérablement les frais de l'instance; mais que ces inconvénients ne peuvent entrainer la nullité des expertises, et qu'enfin,

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