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propriété était affermée depuis plus de vingt ans au sieur Gueffray, qui avait constamment permis à un de ses voisins, le sieur Hertel, de venir chasser dans un enclos touchant directement à la cour de la ferme et auquel on ne pouvait accéder qu'en passant par cette cour. Or, le 3 novembre dernier, le sieur Bottois, garde du sieur Hertel, ayant été vu tirant un lievre dans ledit enclos, le sieur Mutel fit dresser procès-verbal de ce fait, et cita devant le Tribunal correctionnel de Dieppe tout à la fois le sieur Bottois, comme prévenu de délit de chasse, et le sieur Hertel, comme civilement responsable des faits de son garde.

Par jugement du 16 janvier 1861, le Tribunal a renvoyé les prévenus de la plainte, par le motif qu'ils n'avaient fait qu'user d'un droit incontestable; qu'en effet, ils justifiaient de l'autorisation qui leur avait été donnée par le sieur Gueffray de chasser dans l'enclos attenant à sa ferme; que cette autorisation avait pu être valablement donnée par lui, et que le bail de chasse consenti au sieur Mutel par le propriétaire ne pouvait en aucune façon préjudicier au droit préexistant du fermier sur l'enclos dont il s'agit.

:

Le sieur Mutela interjeté appel de ce jugement. Dans son intérêt on soutenait que le principe qui interdit la chasse au fermier est absolu. - Le droit de chasse, a-t-on dit, ne fait en aucun cas partie de la chose louée cela est si vrai, que, lors de la discussion de la loi du 3 mai 1844, à propos de l'article 2 qui permet au propriétaire et possesseur de chasser en tout temps sur les terrains entourés de clôtures continues attenant à une habitation, un membre de la Chambre des députés, M. Rumilly, proposa d'ajouter après le mot possesseur le mot fermier, et l'amendement fut écarté. Donc, évidemment, même dans le cas où il s'agit d'un terrain clos et attenant à une habitation, le fermier ne peut ni chasser, ni donner l'autorisation de chasser.

En fait, d'ailleurs, le terrain où le fait de chasse s'est produit ne peut être considéré comme entouré de clôtures continues dans le sens de la loi, parce qu'il n'est clos que par des fossés ou élévations au milieu desquels il y a des brèches rendant le passage facile, et ne permettant pas dès lors d'invoquer le bénéfice de l'article 2 de la loi de 1844.

L'avocat du sieur Hertel s'est d'abord attaché à constater que le terrain sur lequel le fait incriminé a eu lieu est clos par de véritables murailles en terre, et que sa nature d'enclos ne peut être modifiée par l'existence de brèches dont la preuve n'est même pas rapportée; que, de plus, il est attenant à la ferme, puisqu'il communique directement avec la cour et les bâtiments sans clôture intermédiaire, puisqu'enfin on n'y peut arriver qu'en passant par la cour. Il a ajouté, relativement au droit de chasse du fermier sur un terrain placé dans ces conditions, que ce droit dérive nécessairement de l'inviolabilité du domicile. Comment admettre, en effet, que le propriétaire ait en tout temps puisque, s'agissant d'un terrain clos, la chose en tout temps serait permise) le droit de venir chasser dans la cour de son fermier, et non-seulement y venir lui-même, mais concéder à d'autres des droits de cette nature? La force des choses résiste à de pareilles conséquences.

Le ministère public a conclu à la confirmation du jugement. Suivant lui, la difficulté doit se résoudre par l'appréciation des faits: il faut voir, d'après les stipulations du bail, la nature et l'étendue du terrain, le profit qu'en pourrait tirer le propriétaire au point de vue de la chasse, s'il doit être réputé en avoir retenu le droit à son profit. Le ministère public estime que, dans l'espèce, il n'en a pas été ainsi, et qu'on doit, au contraire, considérer le droit de chasse comme appartenant au fermier.

ARRÊT.

LA COUR ;-Considérant que la loi du 3 mai 1844 n'a rien statué sur le droit de chasse entre le propriétaire et le fermier, même pour le cas où il s'agit de

propriétés en clôture et plus ou moins attenantes aux bâtiments occupés par le fermier; qu'il suit de la que la question relève exclusivement du droit

commun;

Considérant que, dans l'imprévoyance de la convention, il y a lieu, comme pour tous les contrats, de décider d'après les règles de l'interprétation et en recherchant quelle a été la commune intention des parties;

Considérant qu'encore bien que le droit du preneur comprenne tous les fruits de la chose louée, il ne s'étend pas en général au droit de chasse, attribut plus voluptuaire qu'utile de la propriété ;

Considerant néanmoins que cette présomption en faveur du propriétaire fléchit lorsque le droit de chasse exercé par lui ou par le tiers qui le tiendrait de lui, serait, en l'état des choses, tellement incommode ou onéreux au preneur, qu'on ne puisse facilement admettre qu'il ait eu l'intention de s'obliger à le subir;

Et qu'il en est ainsi dans l'espèce, puisqu'il reste établi en fait qu'il s'agit de deux héritages en nature de verger et d'herbage, de peu d'étendue, entiérement contigus et clos, communiquant de l'un à l'autre par un passage toujours ouvert, n'ayant ensemble qu'une entrée en face et voisine des bâtiments occupés soit par la famille du fermier, soit par son bétail, toutes circonstances faisant présumer que le propriétaire n'a pas entendu réserver pour lui-même, et encore moins pour des tiers, le droit d'aller, tous les jours et à toute heure, chasser dans cet enclos, dont toutes les parties sont de véritables attenances de l'habitation du fermier;

Qu'il a donc été bien jugé en déclarant que le garde Bottois, autorisé par Gueffray, n'a fait qu'user du droit de son maître en chassant dans l'étendue de l'enclos objet du bail, et en relaxant en conséquence de la poursuite;

Par ces motifs, - vidant le délibéré prononcé à l'audience du 14 de ce mois; CONFIRME le jugement du Tribunal de Dieppe, et condamne l'appelant aux dé-pens.

Du 22 mars 1861. (MM. Dumolin, prés.; Vanier, rapp.; Jolibois, 1r av. gén. c. conf.; Vaucquier du Traversain et Renaudeau d'Arc, av.)

No 24. COUR IMPÉRIALE DE CHAMBÉRY (Ch, corr.).

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Délit forestier, adjudicataire, responsabilité, conclusions erronées, rectification, appel, prescription, dommages-intérêts. Lorsque le véritable auteur d'un délit forestier est traduit par erreur devant la juridiction correctionnelle comme civilement responsable de ce délit, il appartient à cette juridiction de rectifier l'erreur commise dans la citation et de prononcer contre le délinquant les peines édictées par la loi, alors même que l'auteur présumé du délit n'aurait pas été mis en cause (1).

Les adjudicataires de coupes dans les bois soumis au régime forestier

(1) Il est de principe que les conclusions de l'agent forestier ne sont pour le tribunal qu'une indication à laquelle il ne doit pas s'arrêter, s'il reconnaît qu'elle n'est pas conforme au texte de la loi. Dalloz, Rép. alph., vo FORÊTS, no 546. — Il a été jugé plusieurs fois, conformément à ce principe, qu'un individu poursuivi comme civilement responsable peut être condamné comme auteur du délit. Civ. cass., 13 juin 1840, affaire Mérault; Nimes, 17 juin 1841, affaire Vidal; Dalloz, op. cit., no. 455 et 1539.

Mais les personnes civilement responsables ne peuvent être condamnées à ce titre, lorsque les délinquants dont elles répondent n'ont pas été mis en cause. Voir crim. cass., 3 août 1855, Poncelet, A. F. B. 7, p. 44,

sont considérés comme auteurs des délits d'exploitation commis par leurs ouvriers: la responsabilité qui pèse sur eux n'est point une simple responsabilité civile (1).

par

En cas d'extinction de l'action publique résultant d'un délit commis un adjudicataire de coupes, dans un bois communal, l'administration des forêts a qualité pour exercer contre le délinquant, devant la juridiction correctionnelle, une action en réparation civile dans l'intérêt de la commune propriétaire, alors même que celle-ci désapprouverait la poursuite (2).

L'administration des forêts peut toujours rectifier en appel les erreurs qui se sont glissées dans ses conclusions en première instance: spécialement elle est fondée à demander en appel que les dommages-intérêts à prononcer contre le prévenu soient fixés à une somme égale à l'amende simple, encore bien qu'elle ait par erreur conclu, en première instance, à une allocation plus faible (3).

(Forêts c. Amildani.)

Les montagnes de la Savoie sont couvertes de forêts qui seraient, pour les communes auxquelles elles appartiennent, une source de richesses, si, jusqu'à présent, ces forêts n'avaient été trop souvent dévastées par les délinquants. Les faits reprochés au sieur Amildani, maître de forges à Saint-Michel, montrent quelles proportions ces dévastations ont prises dans quelques circon

stances.

En 1855, la commune du Freney avait vendu 294 mélèzes à un sieur Gallo; en 1857 et en 1858, Amildani se rendit adjudicataire, pour une somme peu importante, des débris des arbres exploités par Gallo et de 12 plants morts qui se trouvaient dans la coupe. Grâce à l'accès que cette adjudication lui donna dans la forêt du Freney, il s'y livra à une exploitation considérable, ouvrit de vastes clairières et dépeupla des bois de belle venue. Un procèsverbal du 4 octobre 1858 constata que ses charbonniers avaient coupé ou déraciné et enlevé 316 arbres (mélèzes, sapins, etc.,) de 15 à 30 décimètres de circonférence, et arraché 163 souches.

En suite de ce procès-verbal, le sieur Amildani fut traduit devant le Tribunal de Saint-Jean-de-Maurienne, comme civilement responsable du délit attribué au chef de ses charbonniers, désigné sous le nom de Bino. Plusieurs jugements interlocutoires furent rendus; Bino, qui avait pris an faux nom, ne comparut jamais, et toutes les significations qui le concernaient furent irrégulières et nulles. A la suite d'un dernier jugement interlocutoire prononcé contradictoirement avec Amildani, les poursuites furent interrompues pendant plus de six mois, et par suite l'action pénale se trouva prescrite, conformément à la législation sarde alors en vigueur.

L'administration forestière française ayant repris les poursuites après l'annexion, le Tribunal de Saint-Jean a relaxé Amildani par le double motif que l'auteur du délit, Bino, n'étant pas en cause, la personne civilement responsable ne pouvait encourir de condamnation et que la prescription lui était acquise.

L'administration des forêts à interjeté appel de ce jugement.

(1) Voir M. Meaume, Comm, du Code forest., no 226,

(2) Voir crim, cass., 4 janvier 1855, et Nancy 19 février 1856, affaire Munsch, A. F. B., 6, p. 278 et B., 7, p. 67.

(3) Voir la note 1re. Voir aussi, dans le sens de la décision ci-dessus, trois arrêts de la Cour de Nancy, 7 janvier 1824 et 9décembre 1828, cites par M. Meaume, t. II, p. 741, et Dalloz, op, cit., no 546.

ARRÊT.

LA COUR; Attendu que, bien que dans ses conclusions mises au pied du procès-verbal, l'inspecteur des forêts eût requis contre Bino et contre Amildani, comme prévenus, condamnation solidaire à l'amende et aux dommagesintérêts, l'avocat fiscal a fait assigner Amildani comme civilement responsable seulement;

Attendu que, s'il est vrai qu'une personne civilement responsable ne peut être appelée devant la juridiction correctionnelle et condamnée qu'autant que le délinquant dont elle répond a été poursuivi en même temps et reconnu coupable, il en est autrement lorsque, par suite d'une erreur dans la qualification des faits, l'individu personnellement tenu du délit n'a été assigné que comme civilement responsable; - Qu'en effet cette qualification erronée ne lie pas le juge, et que celui-ci doit restituer au délinquant la qualité que lui attribuent la loi et les faits de la cause;

Attendu que c'est à titre d'adjudicataire qu'Amildani est entré dans la forêt du Freney; qu'aux termes de l'article 75 du Code forestier sarde, mentionné dans les citations qui lui ont été notifiées, comme des articles 43 et 46 du Code forestier français, l'adjudicataire répond de tous les dommages et de toutes les contraventions qui ont lieu dans la vente jusqu'au récolement;

Attendu que la responsabilité établie par ces dispositions n'est pas une responsabilité civile, comme celle que les articles 263 du Code sarde et 206 du Code français imposent aux commettants ordinaires à raison du fait de leurs préposés; que c'est, au contraire, une responsabilité spéciale et directe qui s'applique à tout adjudicataire, quelles que soient la nature et l'importance des produits de la forêt faisant l'objet de l'adjudication; qu'elle dérive de la présomption légale que les ouvriers de l'adjudicataire se sont conformés à ses instructions, et que, par suite, il est considéré comme auteur ou complice des délits commis par eux; qu'il suit de là qu'Amildani était personnellement tenu des délits constatés par le procès-verbal dont copie lui a été notifiée; Attendu que, par suite de l'interruption des poursuites pendant six mois, la prescription de l'action pénale était acquise à Amildani, avant que le décret impérial du 13 juin 1860 eût rendu le Code forestier français applicable en Savoie ;

Mais, attendu que l'action en dommages-intérêts n'est prescrite ni suivant le Code sarde. qui exige en cette matière une période de trente années, ni suivant le Code français, qui exige, comme pour l'action pénale, une interruption des poursuites pendant trois années;

Attendu que les délits constatés à la charge d'Amildani le rendent passible de dommages-intérêts envers la commnne du Freney; Que l'administration des forêts, réunissant dans ses mains l'action publique et l'action civile, a qualité pour demander contre lui condamnation à ces dommages-intérêts; Qu'il importe peu que, par une délibération prise au moment même où étaient constatées les dévastations commises par Amildani, le conseil communal ait déclaré n'avoir rien à objecter au mode d'exploitation suivi par lui; que l'administration municipale, qui n'eût pas pu, sans autorisation de l'intendant (sous-préfet), concéder à Amildani d'autres produits que ceux dont il s'était rendu adjudicataire, ne pouvait pas davantage entraver l'action de l'administration investie du droit et du devoir de protéger les propriétés hoisées des communes ;

Attendu que la juridiction correctionnelle ayant été, dés l'origine, saisie simultanément de l'action pénale et de l'action en dommages-intérêts, reste compétente pour statuer sur celle-ci, même après la prescription de la première; Qu'aux termes de l'article 171 du Code forestier français, l'administration forestière doit porter devant cette juridiction toutes les actions qu'elle exerce en réparation des délits; qu'une pareille disposition s'étend aux répa

rations civiles comme aux réparations pénales, et contient une régle de compétence, qui est devenue immédiatement applicable en Savoie;

Attendu que la jurisprudence offre de fréquents exemples d'actions intentées devant les tribunaux correctionnels en matière forestiere, bien qu'elles n'eussent pour objet, des le principe, que des réparations civiles; que, dans le cas où une amnistie a aboli la peine, il a été décidé aussi que c'était devant le tribunal correctionnel que l'administration des forêts devait poursuivre la condamnation aux frais et aux dommages-intérêts duș aux communes; qu'il en doit être de même dans le cas où l'action en dommages-intérêts survit à la prescription de l'action pénale;

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Mais

Attendu que, dans ses conclusions originaires, l'administration avait fixé a 2.000 francs le chiffre des dommages-intérêts; que cette somme est inférieure à l'amende simple, et que les articles 262 du Code sarde et 202 du Code français exigent que les dommages-intérêts soient égaux à l'amende simple; Attendu que c'est là une disposition impérative, et que l'administration peut, comme elle l'a fait, rectifier ses conclusions en appel pour les conformer à la loi;

Attendu que les frais de la poursuite ont été rendus nécessaires pour Amildani, qui contestait des faits aujourd'hui constants; que ces frais se rattachant à l'action en dommages-intérêts, reconnue fondée contre lui, aussi bien qu'à l'action pénale, doivent rester à sa charge, sauf toutefois ceux des notifications et citations adressées à Bino;

Par ces motifs, condamne Amildani à payer, à titre de dommages-intérêts envers la commune du Freney, une somme de 6,658 fr. 90 c. (1); — Le condamne en outre aux dépens, etc.

Du 18 avril 1861.-(MM. Perdrix, prés. ; Galles, rapp.; Thiriot, av. gén. ; c. conf.)

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Exécution de la loi du 28 mai 1858 relative à la régularisation des titres nobiliaires et des noms patronymiques (2).

Monsieur, mon attention vient d'être appelée par S. Exc. M. le garde des sceaux sur la nécessité d'assurer la prompte exécution de la loi du 28 mai 1858, modificative de l'article 259 du Code pénal. Cette loi, vous le savez, punit d'une peine correctionnelle quiconque, sans droit et en vue de s'attribuer une

(1) Cette somme est égale à l'amende simple fixée par la loi sarde et inférieure à celle fixée par le Code forestier français; les dommages-intérêts calculés d'après les dispositions de ce dernier Code eussent dépassé 17,000 francs.

(2) Cette circulaire a été transmise au directeur général des forêts, le 14 janvier 1860, et portée par ce haut fonctionnaire à la connaissance des conservateurs des forêts, par une lettre en date du 30 du même mois, dont suit la teneur :

« Monsieur le conservateur, S. Exc. le ministre des finances vient de m'adresser des instructions dont je vous transmets ci-après une copie textuelle, pour l'exécution de la loi du 28 mai 1858, relative à la régularisation des titres nobiliaires et des noms patronymiques.

« Ces instructions sont applicables à tous les fonctionnaires et employés appartenant aux divers services financiers. Vous les transmettrez sans retard aux agents placés sous vos ordres, en les invitant à se conformer aux dispositions de

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