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N° 89.

COUR DE CASSATION (Req.). — 21 août 1871.

Bois, chablis, fruits, revenus.

Bien que les chablis, c'est-à-dire les arbres déracinés ou rompus par accident, ne doivent pas, en général, être considérés comme des fruits proprement dits, ils peuvent, au moins, être envisagés, dans certaines circonstances, comme des revenus annuels, et appartiennent, dès lors, à celui auquel les revenus d'une succession pendant un certain temps ont été attribués (C. civ., 590 et suiv.) (1).

(Hospices de Nancy c. de la Salle.)

Les hospices de Nancy, institués légataires à titre universel par le sieur de la Salle, formèrent, à la date du 5 juin 1866, une demande en délivrance du legs contre les héritiers du sang. Les hospices étaient représentés dès lors, comme ils l'ont été depuis, par le maire de Nancy, en sa qualité de président de leurs commissions administratives. Un jugement du Tribunal de Nancy du 24 juillet 1866, passé d'accord entre les parties, fit droit à la demande des hospices, tout en déclarant qu'en vertu de la saisine légale, les fruits et revenus de la succession avaient courn an profit des héritiers du sang depuis le 23 juillet 1862, jour du décès du testateur, jusqu'au 5 juin 1866, date de la demande en délivrance. Une contestation s'est élevée ultérieurement entre les parties sur le point de savoir à qui devait revenir le prix des chablis, c'est-à-dire des arbres déracinés ou rompus par accident durant la possession des héritiers: ces chablis constituaient-ils des fruits ou revenus attribués à ceux-ci par le jugement précité?

7 avril 1869, jugement du Tribunal de Nancy qui décide que les chablis apppartiennent aux hospices, considérés comme nu-propriétaires (V. les motifs de ce jugement, S., 1869, II, 122; - P., 1869, 475).

Mais sur l'appel, et le 26 février 1870, arrêt de la Cour de Nancy qui infirme. Cet arrêt, après avoir établi que le jugement du 24 juillet 1866 a accordé aux héritiers tous les fruits et tous les revenus à partir du décès jusqu'à la demande en délivrance, continue en ces termes : << Attendu qu'amené à ce point, le litige ne présente plus la moindre difficulté ; Que si, en effet, le mot fruits ne peut, en droit, s'appliquer aux chablis qui naissent d'un accident, qui se produisent sans périodicité, en dehors de toute règle, et qui, en se produisant, diminuent et altèrent la substance du fonds, rien ne s'oppose à ce que le mot revenus, beaucoup plus général et plus large, ne s'étende qu'à eux; Que tout concourt à justifier cette saine et et libérale interprétation; car il résulte des divers documents versés au procès que le prix des chablis faisait partie intégrante du revenu d'Edouard de la Salle, et qu'on le précomptait sur le chiffre que les coupes annuelles devaient atteindre; d'où la conséquence que du moment où, grâce à lui, le nombre des arbres vifs à abattre se trouvait chaque année proportionnellement diminué, on a le droit de dire qu'il entrait dans des conditions d'un aménagement normal, rationnel et bien entendu; · Que, d'ailleurs, il ımporte de ne point oublier que le jugement du 24 juillet 1866 présente bien moins les caractères de la chose jugée que ceux de la chose convenue, et

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(1) Sur ce point, et en matière d'usufruit, les auteurs se décident, en général, d'après la provenance des chablis, et ils accordent exclusivement à l'usufruitier ceux des bois taillis. V. MM. Proudhon; Usufr., t. III, no 1176; Demolombe, Propr. et Usufr., t. II, no 398; Aubry et Rau, d'après Zachariæ, 4 édit., t. II, § 230, p. 484.-M. Taulier, Theor. du C. civ., t. II, p. 306, paraît être seul à reconnaitre à l'usufruitier un droit sur les chablis provenant de bois de haute futaie.

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qu'il y a lieu, dès lors, de tenir grand compte de là commune intention des parties; Qu'à ce point de vue, on ne saurait méconnaître qu'en reconnaissant aux héritiers le bénéfice de la saisine légale depuis le jour du décès jusqu'au jour de la demande en délivrance, les légataires à titre universel ont entendu leur abandonner tout ce dont le défunt aurait, dans cet intervalle, personnellement joui, ou, en d'antres termes, tout ce qu'il aurait considéré lui-même comme un revenu; Que tous les arbres devenus chablis pendant la saisine et dout Edouard de la Salle, ainsi qu'on vient de le voir, se serait fait un revenu annuel, doivent done appartenir aux héritiers, avec d'autant plus de raison que, depuis le décès du propriétaire, l'administration de ses forêts n'a changé ni de mode, ni de mains; Par ces motifs, etc. »> POURVOI en cassation par les hospices. Premier moyen. Violation des articles 69 et 1032 du Code de procédure, et de l'arrêté du 19 vendémiaire an XII, en ce que les hospices ont été représentés au procès par le maire, au lieu de l'être par leur receveur; ce qui constitue une nullité d'ordre public, proposable même pour la première fois devant la Cour de cassation. - Deuxieme moyen. Violation des articles 547, 582, 592, 1005, 1011, 1351 et 2043 du Code civil, en ce que l'arrêt attaqué a attribué les chablis aux héritiers de la Salle ; Les chablis, a-t-on dit, ne sont pas des fruits de la forêt; ils sont, au contraire, une portion du fonds qui s'en détache: aussi la loi, par la disposition précise de l'article 592 du Code civil, les réserve-t-elle, en principe, au propriétaire, à l'exclusion de l'usufruitier. C'est en vain qu'on parlerait d'une convention entre les parties qui en disposerait autrement, puisque, d'après l'article 2045 da Code civil, les établissements publics ne peuvent transiger qu'avec l'autorisation du gouvernement. Quant à l'argument tiré de l'autorité de la chose jugée par la décision du 24 juillet 1566, en ce qu'elle aurait alloué tout à la fois les fruits et revenus aux héritiers du sang, et que les chablis, s'ils ne sont pas des fruits, tombaient au moins dans les revenus du testateur, c'est là une interprétation arbitraire et erronée en droit. La loi ne fait, en effet, aucune distinction entre les fruits et les revenus, et ce dernier terme n'entre pas dans son langage. Elle comprend, au contraire, sous la dénomination exclusive de fruits, dans l'article 547, tous les produits périodiques des biens, et elle ne laisse rien, dès lors, en dehors des fruits qui puisse recevoir la qualification spéciale de revenus. Aussi cette distinction, imaginée par l'arrêt, ne se rencontre-t-elle nulle part dans la doctrine. Les auteurs classent comme fruits tous les produits qui offrent la condition essentiele d'un retour périodique, et ils opposent aux fruits, ou produits ordinaires les seuls produits extraordinaires, qui, par cela même qu'ils ont un caractère accidentel, ne sauraient constituer un revenu (V. M. Demolombe, Propr. et usufr., t. I, no 577, et t. II, no 271).

ARRÊT.

LA COUR: Sur le premier moyen : - Attendu que l'arrêté du 19 vendémiaire an XII ne confère pas aux receveurs des hôpitaux le droit d'ester en justice, et les charge seulement de faire, sous leur responsabilité, les diligences nécessaires pour la recette des revenus municipaux ; que cet arrêté lui-même exprime que les poursuites judiciaires doivent être faites à la requête de l'administration des hospices, et que, d'ailleurs, des lois postérieures, comme la loi des 7-13 août 1851, art. 9, et le décret du 23 mars 1851, out déterminé le mode de composition des hospices et autorisé le maire, en qualité de président de ces commissions, à exercer les actions qui leur compètent;

Sur le deuxième moyen : Attendu que si des chablis ne doivent pas, en général, être considérés comme des fruits proprement dits, ils peuvent, au moins, quelquefois être envisagés comme des revenus annuels de la forêt

où ils se produisent; qu'il résulte de l'ensemble du jugement du 24 juillet 18C6, qu'il a été reconnu alors par toutes les parties intéressées et par le Tribunal lui-même que le prix des chablis compris dans les comptes des administrateurs Bastien et Bazin présentait les caractères d'un revenu annuel, et se trouvait confondu avec les autres parties du revenu de la coupe de chaque année; Attendu que ce même jugement du 24 juillet 1866 déclare expressément que la totalité des sommes énoncées dans ces comptes des adininistrateurs provisoires jusqu'au 5 juin 1866, est attribuée aux héritiers de la Salle; d'où il suit que l'arrêt attaqué, loin de violer la chose jugée, a sainement interprété le jugement de juillet 1866; REJETTE, etc.

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MM. de Raynal, prés.; Woirhaye, rapp.;

Du 21 août 1871. Ch. req.
Connelly, av. gén. (concl. conf.); Mimerel, av.

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Les règles générales sur la complicité établies dans le Code pénal sont applicables aux délits de chasse (C. pén., 59, 60) (1).

Par suite, se rend complice du délinquant celui qui, sciemment, reçoit du gibier tué en délit (C. pén., 62; L. 3 mai 1844, art. 12, § 1er; Décr. 13 sept. 1870, art. 2) (2). ̧

(Charpentier.)

Le sieur Charpentier, garde particulier du sieur Leneveu, propriétaire à Bernay, surprit, en délit de chasse, dans la commune de Saint-Aubin-le-Vertueux, en temps prohibé et en temps de neige, le sieur Beautier, journalier. Moyennant la remise d'une certaine somme et l'abandon du fusil, le délinquant put obtenir du propriétaire qu'il ne serait point donné suite à la poursuite. Le garde Charpentier crut pouvoir en outre s'approprier le lièvre.

Traduits à raison de ces faits devant le Tribunal correctionnel de Bernay à la requête du ministère public, le sieur Beautier fut condamné comme coupable d'un délit de chasse en temps prohibé et en temps de neige; mais le garde Charpentier fut renvoyé de la poursuite sur le chef de complicité du même délit par recel, les juges se refusant à voir un acte puni par la loi dans le fait par celui-ci de s'être approprié le lièvre. Voici les motifs de ce jugement : « Attendu que le gibier, même lorsqu'il est tué sur le terrain d'autrui et dans un temps où la chasse est interdite, n'en devient pas moins la propriété du chasseur; qu'il est, en effet, considéré comme chose nullius et appartient à celui qui le premier, à son égard, fait acte de possession; que ce principe, fondé sur le droit naturel, est réglementé mais non anéanti par les lois sur la police de la chasse, qui frappent seulement de certaines peines ceux qui se livrent à la chasse sur le terrain d'autrui, ou qui contreviennent aux lois et arrêtés ayant pour but de prévenir la destruction complète du gibier; qu'ainsi, le propriétaire n'a point le droit de saisir le gibier tué sur son fonds ou d'en demander la restitution; que la loi ordonne, il est vrai, la saisie du gibier dans certains cas, mais seulement pour empêcher et atteindre directement un autre délit, celui de vente et de colportage; que jamais elle n'autorise la saisie pour le seul fait de délit de chasse; qu'elle ne permet pas

(1-2) Principe constant. V. Lyon, 28 mars 1865 (P., 1866, 811.-S., 1866, II, 195) et le renvoi. V. aussi Bourges, 13 fevrier 1868 (P., 1868, 456. — S., 1868, II, 99), et la note. Relativement à la complicité par recélé, V. Amiens, 13 janvier 1853 (P., 1853, I 228.-S., 1853, II, 232); Metz, 29 décembre 1864 (P., 1865, 1254. - S., 1865, II, 344), et l'annotation.

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davantage qu'on fasse à domicile la recherche du gibier; que, de ces dispositions et de ces principes, il y a lieu de conclure que, hors les cas spécialement prévus par la loi, celui qui tue le gibier peut le céder légalement à un tiers; Que le recel implique toujours l'idée d'un objet possédé illégitimement, soit qu'il ait été enlevé par le vol, détourné par abus de confiance ou obtenu à l'aide d'escroquerie; Qu'on ne peut dès lors admettre qu'un individu se rende sciemment coupable de ce délit, quand il reçoit un objet qu'il sait appartenir à celui qui le lui transmet; Qu'il faut donc reconnaitre que, si les faits de complicité dans les délits de chasse tombeut sous l'application des articles 59 et suivants du Code pénal, il y a lieu d'en excepter le recel du gibier qui, par la nature même de l'objet reçu, se trouve modifié dans ses conditions essentielles, le caractère de complicité étant ici inconciliable avec une possession légitime; Que cela est si vrai que, lorsqu'il s'est agi de réprimer, par des moyens plus énergiques, le braconnage et de poursuivre ses instigateurs habituels, le législateur a cru devoir, dans l'article 12 de la loi sur la chasse, édicter des peines spéciales contre ceux qui vendent, mettent en vente, achétent, colportent ou transportent le gibier; - Que cette disposition très-étendue, puisqu'elle va jusqu'à punir ceux même qui ne font que transporter le gibier, forme évidemment un système complet de répression; Que c'est par l'impossibilité où l'on se trouvait d'atteindre comme fait de complicité le recel du gibier, qu'on l'a considéré, à juste raison, dans les cas les plus graves, comme délit principal, et qu'une pénalité spéciale lui a été appliquée dans la loi du 3 mai 1844; - Attendu, par conséquent, que Charpentier, en recevant le lièvre dont il s'agit sans se trouver dans aucun des cas prévus par l'article 12 de la loi, a pu enfreindre ses devoirs comme garde particulier, mais ne s'est point rendu coupable du délit de recel, etc. » — APPEL.

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ARRÊT.

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LA COUR : Attendu qu'il résulte de l'instruction et du débat que Charpentier s'est fait remettre, a détenu et a profité du lièvre tué en temps prohibé par Beautier ; Attendu que les règles sur la complicité posées par les articles 59 et suivants du Code pénal sont applicables d'une manière genérale en toute matière de crimes ou délits, et, par conséquent, en matière de délit de chasse; - Que rien n'autorise à distinguer entre la complicité par recel et les divers autres modes de complicité prévus par la loi ; -- Que c'est arbitrairement que l'on voudrait restreindre le recel punissable au cas où il s'agirait de choses provenant du vol, de l'escroquerie ou de l'abus de confiance; qu'une telle restriction est contraire à la loi qui déclare expressément punissables comme complices ceux qui ont sciemment recelé des choses obtenues à l'aide d'un délit ; Attendu, d'ailleurs, que si la loi sur la chasse a spécialement prévu les faits de mise en vente, de vente et de colportage du gibier en temps prohibé, et si elle a puni ces faits comme délits principaux, on ne saurait prétendre qu'en prévoyant ainsi expressément les cas les plus graves et les plus fréquents, elle ait entendu exclure en cette matière l'appli cation des règles générales de la complicité et du recel; Par ces motifs, etc.

Du 9 juin 1871. nier, av. gén.

N° 91.

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- C. de Rouen (Ch. corr.). - MM. Lehucher, prés.; Gre

COUR DE BOURGES. 27 novembre 1871.

Chasse, garde particulier, délit, aggravation de peine.

Le garde particulier qui a chassé sans permis dans les lieux confiés à sa surveillance, n'est pas passible de l'aggravation de peine prononcée

par l'article 198 du Code pénal contre les fonctionnaires qui ont participé aux délits qu'ils étaient chargés de surveiller (1).

Le paragraphe 8, art. 12 de la loi du 3 mai 1844, a entendu exclure de l'aggravation de peine qu'il prononce, les fonctionnaires qu'il ne désigne pas, spécialement les gardes champêtres particuliers (2).

(Maréchal.) ARRÊT.

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LA COUR: - Considérant qu'il résulte tant du procès-verbal dressé par les gendarmes le 22 octobre dernier que de la déposition faite à l'audience par le brigadier Macquier, que, à la date dudit jour 22 octobre, Maréchal a été vu, sur des terres confiées à sa garde sur le territoire de la commune de Marcy, armé d'un fusil chargé et amorcé, parcourant les champs, précédé d'un chien courant, qu'il excitait à la recherche du gibier; Que Maréchal n'avait pas de permis de chasse; qu'il a, par conséquent, commis le délit qui lui est reproché; Sur les réquisitions de l'avocat général tendant à ce qu'il soit fait application à Maréchal, à raison de sa qualité de garde particulier, de l'article 12, § 8, de la loi du 3 mai 1844, en tout cas de l'article 198 du Code pénal: Considérant que l'article. 12, § 8, de la loi du 3 mai 1844 ne désigne que les gardes champêtres ou forestiers des communes, de l'Etat et des établissements publics; qu'il ne peut être étendu aux gardes particuliers; Que bien que la connaissance en soit attribuée à la même juridiction particulière, les infractions commises par les premiers, à qui la chasse est formellement interdite, ont un caractère nécessairement plus grave et méritent une répression plus sévère que celles commises par les gardes particuliers, puisque ceux-ci peuvent légalement recevoir des permis de chasse; Cousidérant que la loi spéciale du 3 mai 1844 ayant précisément déterminé les officiers publics passibles de l'aggravation de peine qu'elle prononce, on ne saurait, par application de la loi générale qui lui est antérieure (art. 198, C. pén.), en ajouter d'autres à son énumération; Qu'une telle extension serait en opposition directe avec la volonté du législateur de 1844; — Par ces motifs, etc.

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Cour de Bourges (Ch. civ.).

MM. Baudoin,

N° 92. COUR DE CASSATION (Ch. crim.).-4 août 1871.

1. Question préjudicielle, exception de propriété, admission, chose jugée, délit; 2o pêche fluviale, propriété, délit, vannage.

Le renvoi à fins civiles, notamment dans une poursuite pour délit de pêche, pour faire statuer sur l'exception de propriété soulevée par le prévenu, n'implique pas que, dans le cas de reconnaissance par le juge civil du droit dont il a été excipé, le délit poursuivi n'existe pas, alors que le juge correctionnel a réservé l'examen du point de savoir s'il a été fait usage de ce même droit conformément aux prescriptions des règlements (C. civ., 1350 et 1351; C. forest., 182) (3).

L'interdiction de pêcher, autrement qu'à la ligne flottante tenue à la

(1-2) V. conf. sur les deux points, Nancy, 18 novembre 1869 (P., 1870, 835.— S., 1870, II, 209), et la note.

(3) Dans lespèce, le renvoi à fins civiles avait été à tort ordonné, puisqu'il s'agissait de la poursuite d'une contravention a une prescription obligatoire pour cefui qui est proprietaire comme pour celui qui ne l'est pas. V., sur cette règle, à un point de vue général, Faustin-Hélie, Instr. crimin., 2o édií., t. VI, no 2680;

REPERT. DE LÉGISL. FOREST. JUIN 1872.

T. V.-12

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