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sera pas pour cela moins justifiée. Considéré en lui-même, le flottage a pour assiette le cours d'eau ; c'est sur la rivière qu'il s'exerce; c'est la rivière qui est le fonds servant; l'article 6 précité de l'ordonnance le dit expressément, et le pourvoi le reconnaît, Comment donc se pourrait-il qu'one servitude ainsi déterminée donnât aux flotteurs le droit de faire un travail quelconque sur les fonds riverains? Les rivières ne sont pas et n'ont jamais été la propriété des riverains. Or, si j'ai une servitude sur le fonds de Primus, les articles 697 et 698 du Code civil ne m'autorisent certainement pas à exécuter les travaux, même les plus nécessaires à son exercice, sur le fonds de Secundus. De même, le droit accordé aux marchands de bois par l'ordonnance de 1672 de jeter leur bois dans les cours d'eau, qui appartenaient autrefois aux seigneurs et qui aujourd'hui n'appartiennent à personne, ne saurait, en le tenant pour une servitude, emporter à leur profit la faculté de créer des berges artificielles sur les fonds qui appartiennent aux propriétaires riverains.

Sur le second moyen, l'avocat du défendeur a reproduit la thèse développée dans les motifs du jugement du Tribunal civil d'Avallon et de l'arrêt attaqué.

ARRÊT.

LA COUR: Sur le premier moyen, concernant le chef de l'arrêt attaqué relatif à la demande principale des époux Chopard : - Attendu que l'ordonnance de 1672 n'a imposé aux propriétaires d'héritages riverains des rivières et ruisseaux flottables à bûches perdues d'autre obligation que celle de laisser un chemin de 4 pieds pour le passage des ouvriers préposés par les marchands pour, suivant les termes mêmes de l'article 7 de ladite ordonnance, pousser aval de l'eau les bois flottés; - Qu'au moyen de cette servitude créée dans un but d'utilité publique, les marchands de bois peuvent faire surveiller la direction des flots de bois et exécuter les actes déterminés par l'article 7 comme nécessaires à l'exercice du droit qui leur est concédé; - Que la plantation, sur les propriétés riveraines du cours d'eau, de pieux destinés, ainsi qu'il est dit dans les conclusions du demandeur, à empêcher les bois flottés de sortir du lit de la rivière, et de faire irruption sur ces propriétés, constitue une aggravation non autorisée par la loi de la servitude dont les héritages riverains sont grevés pour l'exercice du flottage; — Qu'en le jugeant ainsi, l'arrêt attaqué, loin de violer les dispositions des articles 6 et 7, chap. xvII, de l'ordonnance de 1672, en fait une saine application; - Rejette, sur ce premier chef, le pourvoi formé par le syndic des marchands de bois de la Cure contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 avril 1870; Sur le second moyen du pourvoi, relatif à la demande reconventionnelle du syndic des marchands de bois : - Vu l'article 7 de l'ordonnance de décembre 1672, chap. xvii; Attendu que, par des conclusions subsidiaires prises en appel le syndic des marchands de bois flottés demandait qu'avant faire droit sur ses conclusions principales, la Cour d'appel l'autorisât à prouver, soit par témoins, soit par experts: « Que le marchepied était obstrué au-devant des époux Chopard par des plantations qui nuisaient au travail des ouvriers flotteurs et entravaient l'écoulement des bois » ;- Que l'arrêt attaqué a déclaré le fait articulé non pertinent par le motif « que la preuve faite de l'obstacle que l'existence des plantations en question pourrait apporter aux travaux des ouvriers flotteurs serait sans force en l'absence de tous titres qui imposent aux riverains l'obligation de ne point planter les bords de la Cure »; Attendu qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a méconnu le droit résultant incontestablement, pour les marchands de bois, de l'article 7 de l'ordonnance de 1672, d'exiger l'enlèvement des plantations qui feraient obstacle au passage des ouvriers flotteurs et à l'accomplissement des actes pour lesquels l'établissement du chemin a été prescrit; Que l'offre faite par les

́époux Chopard, et dont il a été donné acte au syndic, ne pouvait, quel que fût d'ailleurs son effet juridique pour l'avenir, dispenser la Cour d'appel d'ordonner la preuve offerte afin de faire constater quels arbres devaient être enlevés et aussi quel préjudice leur existence avait pu causer au demandeur; - Qu'en déclarant avant toute expertise ou enquête, et par le motif ci-dessus rappelé, le syndic mal fondé dans sa demande, soit d'enlèvement des arbres, soit de dommages-intérêts, et en le condamnant aux dépens, l'arrêt attaqué a formellement violé les dispositions de l'article précité; Par ces motifs, casse et annule, sur le chef de la demande reconventionnelle du syndic des marchands de bois flottés contre les époux Chopard, l'arrêt rendu par la Cour de Paris, etc.

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Du 17 décembre 1872. Ch. civ. fier, rapp.; Charrins, av. gén., c. conf.; Bosviel et Larnac, av.

MM. Devienne, prem. prés.; Gref

N° 161.-COUR D'APPEL
· Cour d'appel de DIJON (Ch. corr.) — 16 avril 1873.

、 Pêche dans un étang mis en communication avec une rivière par une inondation, délimitation, propriété privée, loi du 15 avril 1829.

Les amas d'eau susceptibles d'une propriété privée ne rentrent dans l'attribution faite au domaine public d'une manière générale par l'article 538 du Code civil qu'à la condition qu'ils sont par leur assiette et par la disposition des lieux en communication naturelle avec les rivières.

(Clémence.)

Le 12 juin 1872, un garde-pêche attaché au service spécial de la Saône dressait un procès-verbal pour pêche en temps prohibé et avec engins prohibés contre un sieur Clémence qui, monté sur un batelet, jetait des verveux (filets imitant la nasse) dans les eaux de la Saône en ce moment confondues avec celles d'un étang, dit lac de l'ile Chaumette, dont le sieur Clémence est propriétaire. Le bateau du pêcheur se trouvait alors au-dessus du lit de l'étang, séparé en temps ordinaire de celui de la Saône par une digue construite en 1856 et élevée de 6 mètres au-dessus des plus basses eaux de la rivière. Mais une crue de la Saône avait rompu la digue sur une longueur de 140 mètres, et par cette large brèche ses eaux avaient envahi le lac, qu'elles recouvraient entièrement en en faisant disparaître les bords. Il n'existait plus aucun point de repère propre à fixer l'étendue de la propriété privée, et la crête de la digue, dans ses parties solides, était submergée par 85 centimètres d'eau provenant de l'inondation, de manière que l'étang ne faisait qu'un avec la rivière.

Poursuivi pour ce fait devant le Tribunal correctionnel de Châlon-surSaône, le sieur Clémence fut acquitté par jugement du 10 août 1872; appel fut interjeté de cette décision.

Un arrêt de la Cour de Dijon, en date du 14 novembre, commit un expert pour visiter les lieux du délit et pour déterminer les travaux d'art qui, en temps normal, délimitaient le lac, établi sur un ancien lit de la Saône, et en faisaient une propriété privée. Les inondations de l'hiver interdirent toute opération jusqu'au printemps, et l'affaire ne put se présenter en état devant la Cour que le 16 avril.

A cette audience, M. l'avocat général Beaune, s'appuyant sur l'exposé des motifs de la loi du 15 avril 1829, sur l'interprétation donnée à l'article 30 de cette loi dans la discussion législative, sur les arrêts de la Cour de cassation

des 7 avril 1848 et 4 août 1871, soutient que la police de la pêche fluviale est applicable, même aux propriétés privées, étangs ou réservoirs, lorsqu'elles sont en communication accidentelle avec des cours d'eau soumis à cette police; que l'expression naturellement, » contenue dans l'article 30, doit s'entendre de tout fait de nature, même passager, qui établit une commnnication entre les eaux du domaine public et celles du domaine privé; que tant que cette communication ou plutôt ce mélange, cette confusion existe, le propriétaire de l'étang n'a le droit d'y pêcher qu'en se conformant aux prescriptions de la loi de 1829, parce qu'il ne peut alors établir une distinction entre ses poissons et ceux de la rivière; que sa situation, dans ce cas, est assimilable à celle du propriétaire d'un parc attenant à une maison d'habitation, qui perd son droit de chasse en tout temps, dès que ce parc cesse d'être clos, et il requit, en conséquence, la réformation du jugement qui prononçait l'acquittement du sieur Clémence.

Me Massin, avocat du prévenu, défendit, au contraire, cette décision en invoquant les droits de la propriété en faveur desquels la disposition finale de l'article 30 a été introduite dans la loi de 1829, droits qu'un cas fortuit ne saurait jamais suspendre ou amoindrir, lorsque le propriétaire est hors d'état de s'y opposer. Il cita à l'appui de son opinion un arrêt de la Cour de Chambéry, du 1er février 1870.

Après un long délibéré, la Cour a rendu, le 16 avril, l'arrêt suivant :

Considérant que les amas d'eau susceptibles d'une propriété privée ne rentrent dans l'attribution faite au domaine public d'une manière générale par l'aticle 538 du Code civil qu'à la condition qu'ils sont, par leur assiette et par la disposition des lieux, en communication naturelle avec les rivières; que l'article 537 du même Code, loin d'avoir trouvé une restriction dans les législations spéciales, reçoit une consécration nouvelle dans l'article 30 de la loi du 15 mai 1829;

«Que Clémence, prévenu de fait de pêche en temps et avec des engins prohibés, ayant excipé d'un droit de propriété, la Cour, avant de statuer sur le mérite de l'inculpation, a, par son arrêt du 14 novembre dernier, fait vérifier la situation des lieux; qu'il résulte du rapport de l'expert que les eaux, emmagasinées dans le lac de l'île Chaumette, reposent sur l'ancien lit de la Saône; que ce vaste bassin, d'une superficie de 21,90, est alimenté, du côté de l'amont, par les eaux qui descendent du lac d'Ornans, et, de l'aval, par celles qui arrivent de la plaine; que le repeuplement du poisson est entretenu par le propriétaire; qu'il n'existe aucune communication entre ces eaux et le nouveau cours de la rivière, dont elles sont séparées par une digue dont la crête, soutenue par un large talus, est élevée de 6 mètres audessus du niveau normal de la Saône, et dans laquelle ont été pratiquées deux vannes en fer, dont les clefs sont confiées à un agent du syndicat, préposé pour en ouvrir les portes lorsque les eaux de la Saône sont à un niveau inférieur à celles du lac, et pour les fermer quand les eaux de la rivière croissent, de sorte que ces vannes ne sont réellement destinées qu'à permettre aux eaux de l'île Chaumette de fuir et de se déverser dans la rivière, laquelle reçoit ainsi, sans jamais lui en apporter, les eaux du lac;

a

Que ces constatations démontrent que, par sa destination, par l'aliénation qui en a été faite, par les ouvrages d'art exécutés depuis l'année 1857, l'île Chaumette n'est pas en communication naturelle avec la Saône, et que ce n'a été qu'occasionnellement, par la rupture de la digue ébréchée en un point et en un jour d'inondation, que les eaux de la rivière, échappées du domaine public, se sont trouvées mêlées avec celles de l'étang;

Que ce fait, de force majeure survenu sur un périmètre circonscrit et isolé de la rivière n'a pu anéantir l'exercice des droits utiles que la propriété privée comporte; qu'en effet, il est de principe que le déplacement momentané des eaux d'une rivière n'étend ni ne transporte le domaine public au

delà des limites qu'atteignent ces eaux parvenues dans leur cours normal à leur plus haut degré d'élévation;

«Que c'est donc le cas pour la Cour de s'approprier les motifs sur lesquels repose l'arrêt émané de la Cour de cassation, le 1er février 1866 (1), et de refuser à la poursuite une sorte de droit de suite sur des eaux chassées de leur domaine régulier par une inondation fortuite et accidentellement superposées sur des eaux privées;

«Que s'il pouvait en être autrement, la solution proposée au nom de l'administration semblerait avoir pour conséquence de faire reconnaître en faveur des adjudicataires des droits de pêche sur les rivières, la faculté d'exercer leur industrie sur toute la surface inondée, et de s'approprier ainsi le poisson que le propriétaire y aurait placé et entretenu sur la foi et sur les garanties des articles 537, 524 du Code civil;

Par ces motifs,

La Cour renvoie Clémence des poursuites dirigées contre lui. » Du 16 avril 1873, Cour de Dijon."

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Rivière navigable, délimitation, propriété, indemnité, compétence. Les terrains situés en dehors des limites naturelles d'une rivière navigable ne peuvent, même sous la réserve d'une indemnité, être compris par voie de délimitation administrative dans le lit du cours d'eau, sans qu'il en résulte un excès de pouvoirs ouvrant aux intéressés un recours, devant le Conseil d'Etat, contre l'acte de délimitation (2).

Les Tribunaux civils n'ont aucun pouvoir pour reviser la délimitation administrative d'une semblable rivière, aussi bien au point de vue d'une indemnité à accorder aux riverains qu'au point de vue de la possession des terrains. On ne saurait donc leur reconnaître, quant à l'allocation d'une indemnité, la compétence que supposerait un tel pouvoir (3).

(Patron.)

Le sieur Patron a fait assigner l'Etat devant le Tribunal civil de Castel-Sarrazin pour s'entendre condamner à payer au demandeur une indemnité à raison de ce qu'un terrain dont ce dernier était propriétaire avait été compris abusivement, par l'administration, dans les limites du lit de la Garonne.

(1) L'arrêt de la Cour de cassation auquel il est fait allusion plus haut reconnait au propriétaire d'une ile inondée par les eaux d'une rivière navigable le droit exclusif de chasser à la surface de sa proprieté. On comprend, en effet, que le fait de l'inondation n'a pas pour résultat de rendre impossible l'exercice de ce droit de chasse, puisqu'on peut chasser le gibier d'eau sur l'ile inondée, comme on y chasserait le gibier de terre en un autre temps. Mais en est-il dé même de la pêche d'un étang dont les eaux sont confondues intimement avec celles d'un fleuve voisin, et le propriétaire de cet étang peut-il distinguer le poisson qui lui appartient de celui qui lui est apporté par le debordement de la rivière? Qu'est-ce qu'une inondation, si ce n'est le fait naturel qui, dans ce cas, met en communication le lac et le fleuve? Et quelle doit en être, ce semble, la conséquence, si ce n'est de placer momentanement les eaux réunies sous le même régime? La question est donc au moins fort delicate.

(2 et 3) Voir conf., sur ces deux points, Conseil d'Etat, 7 mai 1871, Ozanneau (S., 1872, II, 317; P. chr.). Mais voir la décision du Tribunal des coudits, du 11 janvier 1873, suprà, p. 274 de ce recueil.

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Le demandeur a conclu à ce que le Tribunal commît des experts à l'effet de constater que son terrain était situé en dehors des limites naturelles du fleuve. Le préfet a revendiqué pour l'autorité administrative la connaissance du litige, cette autorité étant seule compétente pour délimiter les fleuves et rivières navigables.

Le 9 inars 1866, jugement par lequel le Tribunal, rejetant le déclinatoire, ordonne une expertise pour reconnaître les limites de la Garonne au droit de la propriété du sieur Patron. Sur l'appel de l'Etat, le préfet a proposé un nouveau déclinatoire qui a été rejeté par un arrêt de la Cour de Toulouse du 29 août 1871. — Conflit.

-

LE PRÉSIDENT de la République, etc.; Vu l'ordonnance de 1669, sur les eaux et forêts, tit. XXVII, art. 41; Vu la loi des 22 décembre 1789, 40 janvier 1790, sect. III, art. 2, nos 5 et 6, et art. 7 ; — Vu la loi des 16-24 août 1790, tit. II, art. 13; - Vu la loi des 22 novembre, 1er décembre 1790, art. 2; — Vu la loi du 16 fructidor an III ; — Vu la loi du 28 pluviôse an III, art. 3;-Vu les articles 538 et 556 du Code civil; - Vu l'ordonnance royale du 1er juin 1828 et celle du 12 mars 1831; Considérant que le droit qui appartient à l'administration, en vertu de la loi ci-dessus visée des 22 décembre 1789, 10 janvier 1790, de délimiter les cours d'eau navigables, ne donne aux préfets d'autre pouvoir que celui de reconnaître et déclarer la ligne séparative du domaine public et de la propriété privée; qu'il s'ensuit que les limites fixées par l'administration doivent se confondre avec les limites naturelles du cours d'eau, et qu'aucune parcelle de terrain située en dehors desdites limites naturelles ne saurait, même sous la réserve d'une indemnité, être comprise par voie de délimitation administrative dans le lit du cours d'eau, sans qu'il en résulte un excès de pouvoir ouvrant aux intéressés le recours autorisé par la loi; qu'ainsi les dispositions légales qui cousacrent et circonscrivent tout à la fois le droit de l'administration, excluent pour les Tribunaux civils tout pouvoir de reviser la délimitation administrative, aussi bien au point de vue d'une indemnité à accorder aux riveraius qu'au point de vue de la possession même des terrains, et, par suite, de la compétence que supposerait un tel pouvoir; Art. 1er. L'arrêté du 17 septembre 1871, par lequel le préfet du département de Tarn-et-Garonne a élevé le conflit d'attribution, est confirmé.

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Du 12 mars 1872. Comm. faisant fonct. de Cons. d'Etat. MM. Hérold, rapp.; Laferrière, comm. du gouv.; Pougnet, av.

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1o Magistrats, garde particulier, délit, compétence exceptionnelle, dénonciation fausse, dommages-intérêts; 2° responsabilité, garde particulier, propriétaire.

1° L'incompétence des Tribunaux de droit commun pour connaitre de farts imputés à un fonctionnaire de l'ordre judiciaire est d'ordre public, et peut être opposée en tout état de cause et devant toutes les juridictions (C. inst. crim., 479 et 483) (1).

Un garde particulier qui adresse au parquet une dénonciation d'un prétendu délit de chasse sur un terrain non confié à sa garde, n'agit pas

(1) Voir conf., Limoges, 6 juin 1851 (S., 1851, II, 621; P., 1852, I, 36).— Voir sur l'exception d'incompétence en matière criminelle, M. Faustin-Hélie, Instr. crim., t. V, no 2385 et suiv.

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