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moelle des os. On voit, d'autre part, tant d'honnêtetés que l'on fait dépendre des revenus ou des diamants!

Néanmoins, l'idée gagna petit à petit du terrain, et, si les femmes qui s'y ralliaient n'étaient pas nombreuses. elles étaient du moins convaincues.

en

Lorsque Me de Grandpré quitta Paris, sa succession passa entre les mains de Mme de Barrau et de Mme Bogelot, directrice-adjointe. L'Euvre prend alors une impulsion nouvelle et entre dans la voie des transformations et du progrès. Elle ne se contente plus de s'occuper des femmes, mais songe aussi aux fants que le règlement autorise à garder dans la prison, et qui souffrent de son atmosphère dépressive. Elle ajoute à l'idée du rélèvement celle de la préservation. Les asiles temporaires pour femmes et enfants sont fondés. Inspirés par l'esprit le plus libéral, organisés non pas comme des refuges ou des maisons de correction, mais comme de petites familles ayant chacune sa maisonnette, ils rendent des services inappréciables. En 1885, l'Euvre avait été reconnue d'utilité publique. On n'en était plus à l'époque où l'influence de M. Lecour, toute-puissante dans les bureaux. faisait refuser l'entrée de la prison aux dames de l'Euvre. Bien au contraire, le ministère et la préfecture de police, étonnés de l'activité déployée par les directrices et des merveilleux résultats obtenus, leur offraient d'instituer un service du Dépôt qui fonctionne depuis un an. Au moment même de leur arrestation, les femmes trouvent une main tendue pour les soutenir, et plus d'une ordonnance de non lieu est sortie de ce nouveau service, évitant ainsi à la femme cette tache indélébile qui s'appelle le casier judiciaire.

Certainement, la manière dont l'Œuvre a marché depuis dix ans n'est pas une des moindres raisons qui ont poussé M. Herbette à faire les réformes depuis si longtemps réclamées. Aussi, pouvons-nous le dire avec joie et fierté, c'est l'inspiration féminine qui a gagné la partie. Que ces messieurs recueillent les lauriers, peu nous importe ! Nous ne demandons qu'une chose, c'est qu'ils continuent à en gagner en suivant nos conseils.

Chose curieuse, c'est au moment même où, par suite de la démission de Mme de Barrau, Mme Bogelot a été appelée à la direction générale, que l'Euvre va subir une seconde et plus profonde transformation qui équivaudra presque à une création nouvelle. Or, cette transformation, Mme Bogelot l'avait préparée sans le savoir.

Il n'y a pas de hasards dans la vie.

Nous indiquerons maintenant le plan des réformes tel qu'il a été préparé par M. Herbette, directeur de l'administration des prisons au ministère de l'Intérieur.

La prison de Saint-Lazare sera désormasi

affectée exclusivement aux prostituées condamnées administrativement ou en traitement médical, c'est-à-dire ce qui restera de la prison, car la plus grande partie sera démolie pour faire place à une mairie.

En dehors des prostituées, il n'y aura donc plus aucune femme détenue à Saint-Lazare.

Les femmes prévenues ou condamnées à des peines variant de deux mois à un an seront détenues à la maison de Doullens, en attendant que le département de la Seine. puisse faire construire une prison pour les condamnées à de courtes peines. Le département payera de ce chef une redevance à l'Etat.

Désormais on n'enverra plus d'enfants au Dépôt. Les petites filles en dépôt, mendiantes ou vagabondes, seront envoyées dans un quartier spécial de la Conciergerie confondu avec la prison.

non

Les petits garçons en dépôt seront transférés dans un quartier spécial de la Roquette. Les enfants abandonnés seront mis d'office dans des établissements de bienfaisance. Enfin, les contrevenants et les contrevenantes - hommes et femmes ne seront plus désormais envoyés au Dépôt ou à SaintLazare comme les délinquants.

Les contrevenants seront envoyés dans un quartier spécial de la Petite-Roquette, et les contrevenantes dans un quartier spécial de la Conciergerie.

D'après cet exposé, on voit que l'Euvre. dite des Libérées de Saint-Lazare » n'aura plus rien à faire avec ce qui restera de la prison de ce nom.

Mais pour nous, partisans de l'abolition de la police des mœurs, la question de Saint-Lazare demeure tout entière, et ce nom restera comme la représentation de l'injustice typique dont la femme est victime. On pourra dire qu'il y a dans Paris, la ville qui se prétend la plus avancée dans les idées libérales, une prison spécialement destinée à séquestrer les femmes qui n'ont pas été condamnées légalement, parce qu'elles ne sont coupables d'aucun délit prévu par la loi. En fait de justice, de fraternité et d'égalité, c'est bien trouvé.

Donc, plus que jamais, et malgré les réformes très réelles de M. Herbette, nous demandons la démolition et l'abolition totale de Saint-Lazare. E. de M.

Une triste fin.

Le 21 décembre dernier, un convoi de dernière classe, comme ceux que la charité officielle accorde aux pauvres, transportait le corps d'une vieille femme de l'hôpital de Nindorf au cimetière d'Altona. Le cercueil n'était accompagné par aucun parent ou ami, et cependant celle qu'on conduisait ainsi à sa dernière demeure, sans cérémonie et sans glas funèbre, n'était autre que la comtesse

Marie d'Abercron, descendante de la fière famille royale de Suède.

A l'âge de dix-sept ans, elle se faisait remarquer par son opulence et son éblouissante beauté, mais malheureusement aussi par des écarts de conduite d'une telle nature, que son père se vit obligé de la chasser. Elle tomba très vite dans le demi-monde, parcourut l'Europe en quête d'aventures, et acquit ainsi une triste célébrité. Mais peu à peu, elle descendit les échelons et fut bientôt classée dans la prostitution la plus vulgaire. Lorsque les dernières traces de sa beauté eurent disparu, elle se livra à la mendicité; son existence vagabonde la fit échouer à Altona, où elle se fixa. Depuis l'âge de cinquante ans, n'ayant plus de domicile, elle vécut du produit de petits vols pendant les mois qu'elle ne passait pas en prison, faisant absolument partie du monde des vagabonds, où elle était bien connue. L'unique souvenir qui lui restait de son opulence passée, était un médaillon d'or orné des armes de la famille d'Abercron, qu'elle portait toujonrs sur la poitrine. Il y a deux ans, pendant qu'elle dormait profondément à la belle étoile, un filou réussit à lui dérober ce précieux bijou. Peu de jours après on l'admettait à l'hospice où elle devait bientôt mourir à l'âge de quatre-vingts ans.

Cette page de la vie réelle n'est-elle pas plus riche d'enseignements et plus poignante que tous les romans?

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Nous sommes heureux de pouvoir annoncer à la fois denx publications de notre vieil ami et collaborateur le Dr Giersing, de Copenhague, dont le dévouement et l'activité sont estimés par tous les abolitionnistes d'Europe.

La première, écrite en français, est la reproduction de deux articles publiés dans la Revue de morale progressive. Le D' Giersing ne se contente pas d'accumuler des chiffres avec la patience d'un statisticien ; il sait encore les interpréter en hygiéniste et en tirer les leçons qu'ils contiennent. On aime toujours à rencontrer un médecin qui, tout en faisant cas de son art et en se plaçant sur son terrain spécial. ne fait cependant abstraction ni de la morale ni du droit. Cette ouverture de jugement, cette largeur de vues, peu de gens la possèdent mieux que le Dr Giersing: c'est pourquoi ses travaux, bien que très riches en matériaux statistiques, contiennent cependant toujours de fortes leçons générales qui leur donnent une portée considérable.

Dans ses deux articles, le Dr Giersing

prend corps à corps et détruit la légende que les règlements danois améliorent la santé publique dans les localités où ils sont appliqués. Les statistiques de l'armée, de la flotte, de la population civile et de la prostitution sont tour à tour passées en revue et commentées avec une grande sûreté de critique.

Ce qui augmente encore l'impression produite, c'est que M. Giersing ne sort jamais des limites de la plus grande impartialité et de la plus grande modération. Il a voulu faire. œuvre scientifique. et il ne permet pas aux passions, même les plus généreuses, de venir obscurcir son jugement. En forçant un peu la note ou en groupant les chiffres avec un peu d'artifice, il aurait pu frapper bien davantage les esprits superficiels; mais il a préféré n'avancer que des faits incontestables, et il a réussi.

Nous recommandons cette brochure à tous ceux qui veulent s'éclairer sur l'efficacité prétendue des règlements hygiéniques'. Ce serait une erreur de croire qu'elle n'a qu'un intérêt local, car elle abonde en comparaisons avec d'autres pays, ainsi qu'en idées générales. Enfin, la perfection relative des statistiques danoises permet des investigations et des observations directes qu'on ne pourrait peut-être faire nulle part ailleurs.

Dans la seconde brochure, écrite en danois, le Dr Giersing quitte le terrain de l'observation statistique et attaque les préjugés qui règnent encore dans une partie du corps médical de son pays au sujet de la réglementation. Tous les lieux communs des réglementaristes sont examinés et ramenés à quatre points principaux: 1° L'organisation contestée a été faite à un point de vue purement sanitaire; ainsi donc les médecins sont seuls compétents pour la juger; 2° la prostitution est un mal nécessaire; 3° tous les médecins intelligents reconnaissent la nécessité de la réglementation; 4° le maintien de cette institution est indispensable au salut public. Nos lecteurs connaissent depuis longtemps la valeur de ces arguments; aussi nous contenterons-nous de dire que M. Giersing en a fait une fois de plus et très bien la réfutation. Il était bon que certaines choses fussent dites par un médecin, car en pareille matière les laïques sont toujours un peu suspects. Il était bon qu'un médecin vint dire à ses collègues que dans leur très grande généralité ils ne connaissent les maladies spéciales que par ouï-dire, tout comme le grand public, et que lorsqu'ils affirment si hardiment la nécessité des règlements, ils en jugent sur l'autorité de quelques spécialistes dont l'opinion est du reste contredite par d'autres spécialistes, et qu'ils font ainsi non pas œuvre de savants, mais acte de foi.

1. On peut se la procurer au bureau du Secrétariat de la Fédération, 36, place du Bourg-de-Four, Geneve. Prix 50

centimes.

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Le Bulletin continental est envoyé gratuitement aux membres effectifs de la Fédération.

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Comité-Exécutif de la Fédération.
EXTRAIT

du procès-verbal de la séance trimestrielle réglementaire tenue à Genève le vendredi 20 janvier 1888.

Présidence de M. Léopold MONOD. Membres présents: Mmes H. de Gingins, Marie Gogg; MM. Aimé Humbert, H. Minod, Léopold Monod, Emile Poulin.

Un certain nombre de membres de la Fédération assistent à la séance avec voix consultative.

Les comptes du quatrième trimestre 1887 sont approuvés avec 12259 fr. 70 aux recettes et 11840 fr. 65 aux dépenses. Les comptes de l'exercice 1887 n'ont pu être définitivement bouclés, parce qu'il n'est pas certain que

toutes les recettes soient effectuées. Il est néanmoins donné un aperçu fort complet de la situation, qui est redevenue pleinement satisfaisante. Ôn commence l'exercice 1888 avec un découvert insignifiant, tout en faisant face à une dépense imprévue de 2500 fr. pour achat du Bulletin continental, qui devient ainsi la propriété de la Fédération. Cet arrangement permettra dans l'avenir de faire une économie notable.

Le budget du premier trimestre 1888 est ensuite adopté. Recettes prévues, 3580 fr.; dépenses. 3045 fr.

Les brochures récemment publiées sont soumises au Comité, qui approuve la publication d'une série de Leaflets ou petites feuilles d'un caractère populaire.

Le Secrétariat rend compte des démarches qu'il a faites obtenir des travaux sur les pour questions qui seront portées à l'ordre du jour de la prochaine Conférence.

Le Secrétariat présente ensuite un rapport sur le choix de la ville où doit être convoquée la Conférence de 1888. Après un examen approfondi de la situation, on reconnaît que Copenhague remplit pour cette année toutes les conditions désirables, et on vote à l'unanimité la résolution suivante :

Le Comité-Exécutif de la Fédération,
Vu les rapports qui lui ont été faits,
Décide :

Que la Conférence de 1888 aura lieu à Copenhague dans la première quinzaine de septembre, si toutefois les Comités abolitionnistes danois et suédois s'y montrent favorables et veulent bien accorder leur indispensable concours.

La présente Résolution ne sera définitive qu'après entente avec le Comité de Londres.

Le bureau reste chargé de faire toutes les démarches nécessaires pour préparer le succès de la réunion. Il aura surtout à s'entendre pour cela avec les groupes scandinaves.

Après un entretien sur la situation à Genève et sur quelques autres sujets d'une importance secondaire, le Comité-Exécutif vote des remerciements au Secrétariat pour la bonne gestion des affaires et tout spécialement des affaires financières pendant l'exercice écoulé.

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CHRONIQUE DU MOIS

On sait que le Conseil municipal de Paris a pris depuis un certain nombre d'années l'habitude de rejeter en bloc le budget de la préfecture de police. Ce vote réitéré n'atteint pas matériellement une institution que tous les libéraux dignes de ce nom voudraient voir disparaître, mais il la ruine peu à peu moralement, car la préfecture imposée ainsi chaque année par décision administrative, prend un caractère de plus en plus arbitraire et de plus en plus odieux. Un certain nombre de sénateurs viennent de déposer un projet qui tend à soustraire complètement la police au contrôle de la ville de Paris. Il serait alloué en bloc à la préfecture un crédit de 25 millions, qui formerait un seul chapitre au budget général de l'Etat.

On conçoit que la perspective de disposer d'une somme aussi considérable avec le droit de faire des virements soit on ne peut plus agréable aux hommes de la préfecture; mais si par impossible la proposition était adoptée, ils ont tort de croire que leur position en serait affermie. L'arbitraire ruine infailliblement les pouvoirs qui y ont recours, et il ne faut pas oublier que si la préfecture de police a survécu jusqu'ici, elle ne le doit qu'à l'attitude modeste qu'elle a prise depuis quelques années. Encore est-elle agonisante.

Une modification profonde du régime auquel est soumise la prostitution se prépare en Italie. Nous espérons être bientôt à même de donner à nos lecteurs des détails précis et authentiques sur le systéme adopté. Les renseignements qui nous sont parvenus de nos amis d'Italie sont de telle nature, que nous préférons pour le moment nous abstenir de toute appréciation. Nous nous bornons à reproduire quelques fragments d'un article de 'Italie du 31 janvier :

Le gouvernement est en train de préparer une réforme qui mérite d'être signalée. Après de longues études, il a résolu de supprimer le règlement actuel de la police des mœurs. Ce règlement date de 1860 et a été calqué sur le règlement français. Il a soulevé à plusieurs reprises de violentes protestations....

Les efforts des abolitionnistes ont amené la nomination d'une commission qui, après avoir fait une enquête, a présenté un rapport publié en deux volumes. Le rapporteur, qui était le regretté Dr Bertani, a pris des conclusions très

radicales à ce sujet. La réglementation actuelle est condamnée définitivement et il s'agit de lui subsistuer un régime plus libéral.

M. Crispi, parvenu au pouvoir, a nommé encore une autre commission, avec le mandat de contrôler le travail de la première et d'en tirer des dispositions pratiques On assure que cette nouvelle commission, présidée par M. Tommasi-Crudelli, a déjà présenté au nouveau ministre un nouveau règlement qui adopte en grande partie les conclusions du Dr Bertani. Au fond, on veut adopter le système anglais : la police conserve le droit de surveiller les lieux mal famés; mais cette surveillance ne diffère plus de celle qu'on exerce sur un grand nombre d'autres établissements plus ou moins suspects; elle ne pourrait jamais revêtir le caractère d'une contrainte sur les personnes, pas même pour ce qui concerne la santé publique. La liberté personnelle serait à l'abri de toute atteinte...

Il nous a paru nécessaire de faire connaître les résolutions du gouvernement sur un point aussi délicat; mais nous nous abstenons de commentaires qui exigeraient de longs développements. On peut tenter l'expérience...

Nous avons le regret d'apprendre que M. F.-C. Banks, de Londres, vient, pour des motifs de santé, de résigner son poste de secrétaire de l'Association des Droits personnels. Pendant toute la durée de la lutte abolitionniste en Angleterre, c'est-à-dire pendant dixsept ans, M. Banks a été le zélé secrétaire de l'Association nationale pour le rappel des Actes sur les maladies contagieuses; à ce titre, il a rendu d'inappréciables services à la cause en général ainsi qu'à la Fédération. Nous nous plaisons à espérer que cette retraite pas définitive et que ce valeureux champion de la justice retrouvera les forces qui lui permettront de continuer à se vouer à la défense de toutes les libertés pour lesquelles il a si noblement payé de sa personne.

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Une discussion à l'Académie de Médecine.

L'Académie de médecine de Paris, dans sa séance du 7 février, a commencé une importante discussion sur la prophylaxie publique de la syphilis. On sait que la commission chargée de préparer l'étude de cet objet a rapporté par l'organe du Dr Fournier, dont le travail a déjà été analysé dans le Bulletin1.

Les conclusions du Dr Fournier admettent un certain nombre de réformes de détail qui sont évidemment désirables. Au fond, le but principal du projet semble être de porter un coup mortel à l'organisation actuelle de SaintLazare, qu'on voudrait faire blamer par l'une des premières autorités scientifiques de la France. Mais quant au reste, tout en se donnant l'air de faire neuf, on reviendrait indirectement, et avec quelques précautions lé

1. Voir le numéro du 13 juin 1887.

gales, au système de l'inscription et de la visite obligatoire.

L'Académie a adopté sans discussion les articles 1, 2 et 3. qui attirent l'attention de l'autorité sur divers modes de provocation; mais l'art. 4 a soulevé de nombreuses difficultés.

Voici le texte de cet article :

Elle (l'Académie) déclare que, au nom de la santé publique non moins que de la morale publique, ces divers ordres de provocation constituent un délit qui doit être réprimé légalement. Elle réclame donc une loi définissant le délit de provocation publique et en confiant la répression à qui de droit.

Ce texte nous semble frappant. Il confirme pleinement ce que nous avons sans cesse affirmé, savoir que la prostitution est un phénomene social extraordinairement complexe; qu'elle ne relève pas seulement de l'hygiène publique, mais aussi de la morale et du droit; qu'on l'a toujours considérée à un point de vue beaucoup trop étroit et trop spécial, et que les médecins. en voulant en faire leur chose, sortent absolument de leur compétence. Il n'appartient donc pas à une Académie de médecine de trancher la question er cathedra. Quand elle parle au nom de T'hygiène publique, nous pouvons l'écouter jusqu'à un certain point et rechercher si ses exigences peuvent s'accorder avec celles de la morale et du droit. Mais quand un corps composé exclusivement de médecins élève la voix au nom de la morale publique pour demander une répression légale ainsi que la création et la définition d'un nouveau délit, il ne semble pas que son opinion puisse être d'un grand poids, parce qu'elle est incompétente.

Le détail de la discussion ne fait que nous affermir dans notre opinion. Le débat, on peut le dire, a été exclusivement juridique.

On a commencé par remplacer les mots : l'Académie déclare, par l'Académie estime. C'est mieux et plus modeste; mais une fois arrivée à ce point, la docte assemblée a bien dù reconnaitre qu'elle était embourbée absolument et dans l'impuissance d'aller plus loin.

M. Lagneau se demande s'il est bien facile d'assimiler la provocation à un délit, et, avec une bonne foi qui l'honore, il regrette que l'Académie ne possède pas dans son sein des juristes qui puissent l'éclairer. Il faut vraiment qu'un médecin se sente sur un bien mauvais terrain pour en venir à regretter qu'on n'ait pas fait entrer les légistes à l'Académie !

M. Brouardel craint qu'on n'aborde sans profit les mesures d'ordre judiciaire. C'est tout à fait notre opinion, et nous croyons même que s'il y a un profit quelconque, il sera pour les abolitionnistes.

M. Lagneau pense que la provocation à la

porte des lycées est déjà punie par l'art. 334 du Code pénal, qui vise l'excitation des mineurs à la débauche.

M. Fournier défend naturellement son projet, mais laisse échapper l'aveu suivant, qui est profondément vrai: «L'opinion publique proteste contre le pouvoir actuel, lequel est abusif, excessif, et demande que la prostitution relève du droit commun. »

M. Hardy voudrait renvoyer l'art. 4 à la commission, afin qu'elle s'adjoigne des gens compétents.

M. Eruest Besnier se demande si le projet de la commission est ou n'est pas exécutable; aussi propose-t-il de renvoyer à la commission non plus l'art. 4, mais tout le projet, « afin qu'elle puisse interroger les hommes compétents. » N'est-ce pas admirable? Et ce qu'il y a de plus admirable, c'est que l'assemblée s'est empressée d'adopter la proposition de M. Besnier.

L'Académie en est restée là, et il n'est pas probable qu'elle y revienne de longtemps. Nous, abolitionnistes, nous n'avons aucune raison pour regretter cette petite escarmouche. La commission, par la plume éloquente de M. Fournier, a solennellement flétri le système actuel, et il lui est désormais impossible d'en proposer le maintien. D'autre part, le ton général de la discussion doit lui avoir démontré qu'il est bien malaisé d'en proposer un nouveau, et que, dans tous les cas, l'Académie de médecine manque de gens compétents pour accomplir cette besogne. Comment sortira-t-elle de l'impasse où elle s'est engagée, et en sortira-t-elle jamais? C'est ce que nous ignorons, mais nous avons l'impression bien nette que jusqu'ici elle n'a réussi qu'à travailler contre la police des mœurs.

L'attitude actuelle de l'Académie est pour nous un symptôme encourageant. On n'ose plus trancher la question comme autrefois; on l'envisage déjà d'une façon moins étroite; on reconnait qu'il faut tenir compte de l'opinion publique. Or, l'opinion publique en France réprouve la police des mœurs, et il faudra bien l'abolir.

La situation aux Indes.

Dans la séance du Comité de la branche anglaise qui a eu lieu le 3 décembre, M. le professeur Stuart a fait un très beau rapport sur la réglementation dans les Indes. Nous voudrions donner un bref résumé de la situation dans ce vaste pays, où nos amis poursuivent si courageusement la lutte.

Les Actes sur les maladies contagieuses pour l'Inde datent de 1868. Ils instituent la réglementation, à quelques détails près, telle que nous la connaissons.

Les Actes sur les cantonnements ont égale

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