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ment, sont soumis à des règles qu'aucun de ses membres n'oserait enfreindre. Si la liberté forme les associations, c'est la discipline de l'esprit qui seule les rend fortes et durables.

Même les grands partis politiques sont constitués de la même manière; ils sont animés du même esprit. Un Anglais peut ne pas être content de toutes les mesures que prend son parti; mais il dit: Je suis né whig, je ne puis pas me séparer du parti auquel appartient ma famille. S'il est homme de grande capacité, il cherchera à ramener son parti à son opinion. S'il ne possède pas les qualités qui commandent aux hommes, il suivra ses chefs malgré une conviction contraire. Enfin celui qui, ne voulant pas forfaire à ce que l'honneur politique exige d'un homme de parti, ne veut pas davantage capituler avec sa conscience, se retire des affaires et rentre dans la vie privée.

Voilà l'esprit de discipline qui fait la force de l'Angleterre; et c'est l'alliance de cet esprit avec celui de la liberté (qu'on l'appelle alors constitutionnelle si l'on veut) qui fait sa grandeur.

Ce qui distingue le peuple anglais entre tous les peuples, c'est que chacun a su comprendre pourquoi et comment l'obéissance lui est utile. L'ordre paraît alors le résultat d'une loi de liberté, tandis qu'il n'est, au contraire, qu'une suite de sa limi

tation.

Ce qui distingue également le gouvernement anglais entre tous les gouvernements, c'est qu'il n'exige pas l'obéissance en vertu du droit qu'il a de commander, mais en vertu de la faculté qu'il a

de prouver que l'ordre qu'il donne repose sur un principe de justice et qu'il sera utile aux intérêts publics de l'accomplir.

C'est également par suite de ce double principe d'obéissance et de liberté que l'état militaire n'est d'obligation pour personne; il est entièrement volontaire; et, cependant, la discipline n'est dans aucune autre armée aussi sévère que l'est celle de l'armée anglaise.

Qui donc ne serait pas heureux de voir à son pays une aussi puissante organisation? Mais plus on l'étudie, moins on comprend cette propagande anglaise qui dit vouloir donner la liberté à tous les peuples, sans qu'elle puisse leur donner l'organisation qui la produit en Angleterre.

L'opinion publique, entraînée par de fausses apparences, croit arriver à la liberté par le mouvement de l'industrie beaucoup plus sûrement que par toute autre voie. J'ai essayé d'éclairer cette question sous le point de vue strictement industriel, maintenant il faut aussi l'examiner sous le point de vue politique. Il sera facile de montrer que le mouvement du commerce et de l'industrie en s'agrandissant, c'est-à-dire en devenant international, doit assujettir le pays moins riche de capitaux à celui qui en possède davantage. Il restera constant que l'argent ne peut donner de l'indépendance et de la liberté qu'à ceux qui le possèdent. Les États qui vivent dans un système de communauté politique sont placés, sous ce rapport, dans la même condition que les particuliers.

Tous les peuples de l'Europe centrale commen

çaient à comprendre la connexité de la politique et du commerce. L'exemple de l'Angleterre, après avoir été depuis longtemps un objet d'envie, était devenu celui de l'étude; on cherchait à la comprendre, afin de pouvoir l'imiter. Mais les intérêts matériels n'ont de puissance que quand un long travail préparatoire leur en a donné les moyens par l'accumulation de riches capitaux. Les États qui veulent entrer dans cette carrière, avant d'en posséder les moyens, sont obligés de demander au crédit la force que l'Angleterre possède depuis longtemps.

La lutte industrielle qui s'engage et à laquelle l'Angleterre convie toutes les nations par le principe du libre échange, pourrait-elle être égale, quand un crédit qui manque de base, loin d'augmenter la richesse, ne montre, au contraire, que la faiblesse. Le particulier qui emprunte pour bâtir une maison ou pour acheter une propriété territoriale, livre son avenir au hasard, car il contracte une dette dont les intérêts sont invariables, tandis que le rapport de la propriété qu'il acquiert, dépendant de circonstances qui ne peuvent pas être soumises à un calcul exact, sera souvent inférieur aux intérêts qu'il doit payer.

Il faut excepter le cas d'un acheteur qui spécule sur le malheur des autres, et qui cherche des achats au-dessous de leur valeur. Mais ce cas, de nos jours très-fréquent partout, même en Angleterre, et particulièrement en Irlande, montre surtout combien est despotique la puissance de l'argent.

C'est ici qu'on peut, à l'aide d'une échelle plus

vaste, prendre une plus juste mesure de cette puis

sance.

Le crédit ne donne avec avantage de l'argent qu'au pays qui en possède assez pour établir une juste proportion entre l'emprunt et la richesse qui doit le garantir.

Tous les gouvernements qui sont entrés dans la voie du crédit, avant que le pays ne fût riche, ont abdiqué une partie de leur indépendance; ils sont livrés à la merci des étrangers. Qu'on ne dise pas que les papiers à intérêts, en passant dans des mains étrangères, augmentent les capitaux du pays. C'est une erreur; car ce qui est un emprunt n'est pas une propriété. Aussi voit-on ces capitaux user de la faculté qui leur appartient de pouvoir sortir du pays aussi vite qu'ils y sont entrés; ce qui ne manque jamais d'arriver dans les moments de crise, et ce qui en augmente les dangers. Mais quelle que soit la crise et sans égard à la sortie des capitaux, il faut, sous peine de mort politique, continuer à en solder les intérêts.

Ce même cas se présente sous une autre forme. Quand le capital emprunté est dépensé, ce qui arrive promptement, car l'État n'emprunte que quand il y est forcé par une nécessité pressante, les intérêts deviennent un tribut imposé par le plus riche au plus faible. Pour payer ce tribut, il faut un impôt, ou bien il faut retrancher de la dépense de l'État ces avances qui ont force productive; de manière que les opérations du crédit tournent toujours au dommage de celui qui emprunte.

L'art du crédit moderne pour les États peu ri

ches de fait, ou appauvris par des malheurs politiques, ou par incapacité, tient beaucoup des opérations de banqueroute.

Suivant les nouvelles formes dans l'existence desquelles on veut trouver la plus grande garantie, le gouvernement présente tous les ans son bilan. Il dit aux prêteurs : Je suis en état de faillite; si vous ne venez pas à mon secours, vous perdrez ce que vous m'avez déjà prêté.

N'est-ce pas ce que l'on voit dans la plupart des États constitutionnels? Que l'on veuille bien se donner la peine d'observer la progression croissante des budgets.

L'Angleterre elle-même s'est trouvée dans une position semblable à la fin des grandes guerres qu'elle avait soutenues contre la France. Mais, pendant que le gouvernement empruntait et dépensait, le pays s'était enrichi; il avait acquis la force de prendre la dette à son compte.

La dette fondée de l'Angleterre monte encore aujourd'hui à trente-deux millions de livres sterling d'annuités. Mais ce n'est pas un tribut payé à des étrangers; les Anglais se doivent cette somme à euxmêmes. Le gouvernement n'a eu que deux choses à faire introduire de l'économie dans les dépenses, afin de mettre de l'équilibre entre ses dépenses et ce qui restait de disponible du revenu, après en avoir prélevé les intérêts de la dette publique; puis, ouvrir de larges voies à l'industrie et au commerce.

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Quand les habitants d'un pays sont riches, ils dépensent davantage; le rapport des impôts indirects croît dans la même proportion.

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