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lui, étaient plongées dans les ténèbres de la barbarie. Cet incident, que je recueille sur le chemin de lord Palmerston, est une preuve de plus des soins qu'il met à rattacher tous les efforts isolés des Anglais au système politique qu'il poursuit. Il ajoute à sa propagande constitutionnelle la protection diplomatique qu'il accorde à tous les intérêts et à toutes les entreprises des Anglais, de quelque nature qu'elles puissent être.

Nous n'aurions rien à ajouter à ce qui a été dit avec tant d'éloquence dans les deux chambres du parlement d'Angleterre pour prouver combien cette protection dépasse quelquefois les limites du droit public. On y a fait justice de cet orgueil romain, civis romanus sum, qu'il voulait donner à chaque Anglais. Un étranger n'a pas, du reste, le droit de parler comme un Anglais et d'assigner des limites aux sentiments d'un autre peuple. Je ne puis donc pas avoir l'intention d'attaquer lord Palmerston comme l'ont attaqué lord Stanley, M. Gladstone et ses autres adversaires. Ce n'est pas de ce que pense l'Angleterre, mais de ce qu'elle fait que nous avons le droit de nous occuper. Or, après le vote qui a terminé la célèbre discussion qu'avait suscitée l'affaire de la Grèce en consacrant la politique suivie dans cette occasion par le principal secrétaire d'État, la question du fait reste entière. Nous aurions de nombreux arguments de droit à lui opposer; nous ne rappelons cet incident de don Pacifico, que parce que le vote du parlement lui a donné une nouvelle importance.

Le droit se résume en deux mots :

Nul individu établi dans un pays étranger ne peut être affranchi des lois du pays pendant le séjour qu'il y fait. S'il y commet un crime, il ne doit être jugé que par les tribunaux du pays. Les capitaux qu'il engage dans des entreprises qui se rattachent au sol ne peuvent pas être indépendants des lois du pays. Prétendre qu'il en soit autrement, ce serait assimiler les pays civilisés à ceux qui n'ont encore adopté aucun des principes de législation et de justice qui les gouvernent, et dans lesquels les gouvernements européens ont des capitulations pour leurs nationaux. Mais laissons de côté cette question de droit; elle aura pour défenseurs ceux qui sont appelés à l'être. Je ne veux que montrer comment le caractère despotique que je crois avoir prouvé être inséparable de l'argent, doit nécessairement devenir celui d'une politique qui prend pour première base de son action les intérêts isolés du commerce et qui prétend vouloir soutenir partout chaque négociant anglais comme un représentant de la cité marchande, en lui donnant la même importance que tout pays doit attacher à ce que les droits et les honneurs de son représentant diplomatique soient respectés.

La paix du monde serait-elle possible, si tous les ministres des affaires étrangères voulaient placer dans chaque affaire commerciale et par conséquent dans la personne de chaque marchand l'honneur, la dignité et les droits de leur pays? Protection lui est due sans doute; la lui accorder est un devoir de l'État; mais on ne peut, on ne doit le faire que dans les limites du droit des nations.

L'affaire de la Grèce à laquelle il faut donner le nom de don Pacifico, puisqu'il a été choisi pour en être la cause, a donné à lord Palmerston l'occasion de faire l'exposé de son système. C'est donc lui que nous laisserons parler. Nous ne lui prêterons pas une seule pensée, pas une seule intention qui ne soit la sienne.

Accusé par ses adversaires, lord Palmerston a eu à se défendre devant le parlement. Son discours doit être envisagé sous deux rapports celui de l'avocat qui défend une cause, celui de l'homme d'État qui défend un système politique. Malgré l'habileté de la défense, l'avocat ne fut sauvé que par le ministre. La cause fut blâmée, sans doute, comme peu digne de servir à proclamer les droits, la dignité et les immunités des citoyens anglais à l'étranger; mais le système politique exposé par le ministre fut approuvé par le vote du parlement.

Un mois après, au mois de juillet 1850, le club de la réforme donna un grand banquet à lord Palmerston pour célébrer son triomphe personnel et celui de son système. Lord Palmerston profita de cette ovation populaire pour faire une fois de plus l'exposé des bases de ce système. Cette circonstance donne à ce discours d'après-dîner une valeur aussi officielle, aussi solennelle que peut l'être une déclaration faite par-devant jury. Elle est d'autant plus importante, qu'elle n'était pas obligatoire, comme l'avait été la défense devant le parlement. Elle était l'expression spontanée du fond de sa pensée, qu'il voulait faire connaître dans cette forme plus libre, plus indépendante, et qui plaît davantage aux An

glais. Il faut donc la prendre pour l'assurance la plus positive que lord Palmerston continuera à suivre son ancienne propagande constitutionnelle avec autant sinon plus de zèle encore qu'auparavant.

Nous devons, par cette raison, consigner ici, tel que l'ont publié les journaux anglais, ce discours de valeur déjà historique et encore gros d'avenir. «Messieurs, vous vous êtes rassemblés ici aujourd'hui, non-seulement pour témoigner vos sentiments d'amitié à un individu, mais aussi, je le crois, pour rappeler, par cette publique démonstration, les grands principes directeurs d'une politique générale. Je pense être autorisé à en conclure que les principes de politique qui ont guidé le gouvernement dont j'ai l'honneur d'être membre et que l'administration des affaires étrangères de ce pays ont été, généralement parlant et dans leur teneur générale, de nature à mériter votre approbation. Peu de paroles peuvent suffire pour expliquer cette politique. Les vues qui ont dirigé la politique du gouvernement de Sa Majesté dans ses relations avec l'étranger ont été les intérêts de l'Angleterre ; intérêts qui ont pour point de départ le bien-être de ce pays, et qui comprennent dans leur développement le bien-être de tous les autres pays. Relativement à ce pays, il n'est pas nécessaire de dire que le premier but de ceux qui sont chargés des affaires étrangères est de maintenir intacts son honneur, sa dignité et ses droits. Il est ainsi de leur devoir de protéger nos compatriotes dans quelque pays qu'ils puissent se trouver. Messieurs, nous sommes un peuple essentiellement

voyageur, investigateur et commerçant. Il n'est aucune partie du grand Océan qui couvre une si vaste partie du globe, qui ne voie flotter nos vaisseaux et nos marchandises. Il n'y a aucun pays, rapproché ou éloigné, sauvage ou civilisé, dans lequel on ne trouve des Anglais, soit pour cause de santé ou de plaisir, ou pour des recherches scientifiques, ou pour des affaires de commerce, ou avec la vocation plus élevée de répandre dans des régions de ténèbres la lumière de notre foi chrétienne.

« Je soutiens, messieurs, que nos concitoyens, quels qu'ils puissent être, ont le droit de penser et de savoir qu'ils sont placés sous la sauvegarde attentive de leur pays, et que le bras de l'Angleterre saura les préserver du mal, ou que, si du mal devait leur être fait, ce bras sera assez puissant pour en obtenir réparation.

« J'ai dit, messieurs, que les intérêts de l'Angleterre ne se trouvent pas seulement dans nos propres affaires, mais aussi dans le bien-être de toutes. les autres nations. Ils sont passés ces temps, au moins pour ce pays où des hommes pensaient et des peuples imaginaient que leur prospérité ne pouvait être augmentée (promoted) que par l'adversité des autres. Nous nous glorifions de notre bien-être, de notre bonheur et de notre propre liberté; mais nous ne désirons pas posséder le monopole de ces bienfaits; nous pensons, au contraire, que le devoir du gouvernement est de contribuer, autant que cela nous est possible, à aider les autres nations à suivre notre exemple, et de les encourager dans

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