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La décadence qui menace l'Europe datera de l'émancipation des colonies. Cet événement est de sa nature inévitable. Car une colonie, pour durer, doit prospérer; et sa prospérité la conduit nécessairement à l'émancipation. Mais les puissances coloniales en ont devancé le moment naturel par leur rivalité.

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La France et l'Espagne s'étaient coalisées en faveur de la révolte des colonies anglaises, qui sont devenues les États-Unis du nord de l'Amérique. La France avait voulu se venger de la perte du Canada, que l'Angleterre lui avait enlevé antérieurement. L'Angleterre, à son tour animée du même esprit, saisit l'occasion de l'invasion de Napoléon en Espagne et en Portugal pour rompre les liens qui unissaient l'Amérique du Sud à l'Europe. Cette séparation prit dans son origine une couleur de fidélité monarchique. C'étaient des Espagnols américains qui voulaient se soustraire à une mère patrie envahie par un étranger qui en avait expulsé la maison régnante. Mais bientôt cette couleur devint exclusivement américaine; comme l'émigration portugaise qui avait suivi la maison de Bragance devint bientôt brésilienne.

La diplomatie anglaise créa l'empire du Brésil; ce qui fit tomber le Portugal dans l'état où nous le voyons depuis.

Les possessions espagnoles étaient trop étendues, trop séparées, trop différentes les unes des autres, pour pouvoir avoir été réunies autrement que par la force et le prestige d'une domination étrangère. Dès le moment que cette force et ce prestige vinrent

également à cesser, elles devaient tomber en fractions territoriales et se gouverner chacune comme elles le pourraient. Personne ne peut méconnaître ce qu'il y eut de grand dans les établissements que fondèrent les Espagnols en Amérique, après en avoir fait la conquête. Mais l'abaissement de la puissance politique de l'Espagne en Europe lui enleva ce génie créateur dont les premières œuvres avaient été si brillantes. Elle laissa languir ses possessions lointaines, comme elle languissait ellemême.

C'est en sens inverse de celui de l'Espagne que se fit le mouvement colonial anglais. A mesure que les forces de l'Angleterre grandissaient en Europe, son système colonial s'agrandissait aussi. Mais il eut bientôt à subir une révolution complète. Ce sujet est si vaste, que je ne puis, pour ainsi dire, qu'en tracer le sommaire.

Peu d'années après la séparation des États-Unis, vint en Europe l'époque des révolutions et des guerres. L'Europe et l'Angleterre se replièrent sur elles-mêmes. La nouvelle Amérique, éloignée du bruit, grandit en silence. Pavillon neutre, la guerre maritime lui facilita les moyens de s'enrichir par le commerce.

L'Angleterre, après avoir détruit pendant les premières années de la guerre, les marines française, espagnole, hollandaise et portugaise, fit, pour ainsi dire, virer de bord à sa politique coloniale. Elle ne s'amusa pas à troubler la jeunesse des nouveaux États-Unis d'Amérique; elle dirigea toute son attention et ses forces vers les Indes

orientales. Il y avait là une proie riche et plus facile.

Elle expulsa les Français de la presqu'île de l'Inde, et travailla sans relâche à y fonder son empire indo-britannique.

Elle s'empara de toutes les colonies hollandaises. Elle gårda pour elle le cap de Bonne-Espérance et l'île de Ceylan, que sa proximité rendait inséparable du continent indien. A la paix générale elle rendit à la Hollande toutes ses autres colonies. Elle s'empara d'immenses terres dans l'Australie. De sages calculs d'avenir lui font attacher de l'importance à peupler, à cultiver et à civiliser ces nouvelles possessions.

C'est dans cette partie des mers de l'Inde que se trouvent aujourd'hui la force d'avenir et la richesse coloniale de l'Angleterre.

A peine la paix générale avait-elle été conclue en Europe en 1814, que l'Angleterre voulut cependant encore une fois essayer de compter avec les États-Unis d'Amérique. Après s'être emparée de quelques points, après avoir détruit et brûlé quelques établissements, elle reconnut bientôt que ce nouvel État était déjà trop fortement constitué, qu'il était déjà trop fort de population et d'argent, pour qu'elle s'obstinât à continuer une guerre dont la base d'opération était si éloignée. L'Angleterre fit la paix et invita le gouvernement des États-Unis à envoyer des plénipotentiaires en Europe pour y régler, d'un commun accord, des points encore en litige depuis l'époque de la séparation. Ils se réunirent en congrès à Gand avec les négociateurs

anglais. Ces républicains, devenus si fiers depuis, avaient alors consenti à se soumettre à l'arbitrage du roi de Hollande.

Pour mesurer le chemin qui depuis a été fait des deux côtés, il suffira d'observer que c'est l'Angleterre qui envoya, il y a peu de temps, un plénipotentiaire à Washington pour s'y arranger sur plusieurs difficultés de délimitation et de possession territoriale. La reine d'Angleterre en élevant son négociateur à la pairie, voulut exprimer la satisfaction que lui avait donnée l'accommodement pacifique du différend.

Et les États-Unis venaient cependant, depuis peu, de s'annexer le Texas, terre riveraine du golfe du Mexique, si fertile, et qui peut devenir si riche de produits. Ils s'étaient approprié les vastes régions de l'Orégon, par lesquelles ils voulaient se frayer une route vers l'océan Pacifique. Mais leur guerre contre le Mexique les y conduisit par une ligne plus courte. Ils firent la conquête, à main armée, du nouveau Mexique (Santa-Fé), que le gouvernement mexicain leur céda comme prix de la délivrance de son ancien territoire et de sa capitale.

Ils viennent enfin de s'emparer de la Californie. La richesse inattendue des mines de cette contrée est le plus petit des avantages de cette possession.

Le pavillon américain médite déjà la domination des mers de l'Inde et de la Chine, et, comme pour lui en faciliter la route, les îles Sandwich, station intermédiaire, paraissent solliciter le protectorat des États-Unis.

Et le cabinet anglais qui a fait tant de bruit pour

quelques cantares de soufre en Sicile, pour quelques milliers de drachmes à Athènes, pour quelques franchises de commerce en-Espagne et en Portugal, n'a pas proféré une seule parole sur des événements qui sont gros de l'avenir. La presse anglaise, si occupée des petites affaires de l'Europe continentale, qui surveille et gourmande si souvent outre mesure son propre gouvernement, mais bien plus encore les gouvernements étrangers, a gardé le silence, comme le cabinet. L'Angleterre tout entière semble reconnaître à l'Amérique du Nord une puissance contre laquelle elle n'ose plus lutter. L'Amérique n'est plus pour elle une question d'honneur, une question de suprématie; elle ne se permet même plus l'expression d'humeur que pourrait lui donner une jalousie secrète. Ce n'est plus qu'une question d'argent. La cité de Londres a reconnu que de bonnes relations commerciales apportent plus de profit que des disputes de suprématie politique.

Le tableau comparatif de la progression des deux villes qui sont les points aboutissants et les centres de ces relations donnera la mesure de leur importance. Il ne sera pas sans intérêt de le placer ici.

LIVERPOOL.

Sous le règne de Charles II, Liverpool n'avait, dans son port, que quinze bâtiments de 2500 tonneaux. Sous la reine Anne, ses vaisseaux montaient à cent soixante-dix.

En 1756, ses chantiers (docks) percevaient seulement 2200 livr. sterl. de droits. En 1801, ils

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