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que, et l'esprit public du peuple anglais qui devint son droit public. Dès ce moment, le mouvement de la politique extérieure de l'Angleterre devint semblable à celui de son intérieur; il prit la même direction et les mêmes formes. Sa politique devint à la fois aristocratique et marchande.

Les nations étrangères ne sont le plus souvent que des jetons avec lesquels les ministres anglais marquent leur jeu parlementaire. Mais, pour jouer ce jeu avec avantage, il leur faut des analogues dans les pays étrangers. La propagande constitutionnelle a pour objet de les créer là où ils n'existent pas encore. Aucun homme n'a été plus habile dans ce jeu que lord Palmerston.

Sir Robert Peel, le chef du parti dont lord Palmerston était devenu l'adversaire, avait fondé l'autorité dont il jouissait sur la connaissance profonde qu'il avait du jeu intérieur des grandes institutions constitutionnelles de l'Angleterre. Il ne voulait de pouvoir que celui qui devait lui donner la prépondérance dans le parlement; il ne voulait de réforme que celle que demanderait, non pas l'intérêt d'un parti, mais l'intérêt bien compris, bien démontré du peuple anglais. Il avait combattu des projets de réforme qu'il regardait comme devant changer l'esprit de pondération de la constitution anglaise. Il avait donné au parti qui l'avait choisi pour chef le titre de conservatif, mais conservatif de choses spéciales déterminées; ce qui n'excluait pas ce mouvement progressif qui doit rester inséparable de toute institution politique, car l'immobilité de la vie serait la mort.

Sir Robert Peel s'opposait de tous ses moyens à l'invasion des nouvelles doctrines démocratiques professées par un parti qui exigeait une réforme électorale et demandait que le nombre des électeurs fût augmenté, que le mode d'élection fût modifié, que la durée septennale du parlement fût abrégée, etc., etc.; mais il voulait en même temps réunir à l'esprit de conservation de son parti tous les avantages et tous les bénéfices d'une plus grande liberté dans les affaires; il voulut être à la fois aristocrate politique, libéral industriel. Aucun homme ne peut réunir en lui l'antagonisme de doctrines opposées. Il devait donc, malgré son incontestable habileté, malgré la pureté de ses vues, malgré la véritable philanthropie qui l'animait à travailler au soulagement des classes pauvres (persuadé, comme il l'était, que c'était en même temps travailler à garantir les droits de toutes les autres classes), il devait, dis-je, succomber sous le poids des difficultés d'une pareille entreprise.

Il faut en dire la raison.

La désorganisation des anciens partis a laissé le pouvoir à l'intérieur chancelant, incertain; l'union des intérêts, qui devrait le donner et le rendre fort, n'existe plus; l'équilibre a été rompu. Ce n'est plus une opposition factice et conventionnelle qui se dispute le pouvoir; ce n'est plus l'ambition de deux partis rangés en ordre de bataille, comme le sont deux armées, qui produit le mouvement politique de nouvelles forces vives créées par la double augmentation de la population et des richesses sont entrées en lice. Les intérêts les plus impor

tants du pays, profondément divisés entre eux, agitent l'Angleterre tout entière. Les intérêts de l'Église nationale, ceux de l'agriculture et ceux de l'industrie, sont en présence pour se combattre.

Lord Palmerston, plus habile que n'a voulu l'être son rival, a pris position en dehors de cette lutte. Lui, ancien tory, il s'est jeté au travers de cette mêlée, sans y entrer, mais sans la craindre pour lui-même, parce qu'en imprimant à la politique extérieure de l'Angleterre un mouvement correspondant à celui dont il prévoyait le triomphe à l'intérieur, il appuyait sa position ministérielle sur les nouvelles théories du nombre et de l'argent; théories qui exigent le mouvement; car le nombre qui ne serait pas remué et l'argent qui ne circulerait pas seraient des poids mais ne seraient pas des forces. Le danger consiste à ne pas savoir ou à ne plus pouvoir régler la vitesse du mouvement.

On voit à Londres, dans l'abbaye de Westminster, un monument dont l'inscription porte : Érigé par le roi et le parlement comme un témoignage des vertus et de l'habileté de William Pitt, comte de Chatham, durant l'administration duquel, sous les règnes de George II et de Georges III, la divine Providence a élevé la Grande-Bretagne à une hauteur de prospérité et de gloire qu'elle n'avait pas connue jusqu'alors. Né en 1708, mort en 1778. Ses biographes y ont ajouté la paraphrase suivante : Au ministre qui, le premier, a découvert le moyen de faire fleurir l'industrie et le commerce pendant la guerre encore plus que pendant la paix. Cet acte de reconnaissance du peuple anglais se rapporte à l'époque de la guerre

de sept ans, qui paraît avoir donné pour la première fois au peuple anglais le sentiment que la guerre sur le continent ne pouvait que favoriser le développement de l'industrie anglaise et lui donner la supériorité sur les industries étrangères. Ce fut d'ailleurs l'époque à laquelle l'Angleterre brisa, par la conquête du Canada, l'avenir colonial de la France en Amérique.

Les longues guerres de la révolution de France, en donnant plus tard à l'Angleterre l'occasion de conquérir à main armée la suprématie commerciale qu'elle a conservée depuis, ont cependant imposé au peuple anglais une dette nationale tellement élevée, qu'il lui serait impossible de soutenir une seconde fois une pareille lutte. Sa marche politique a donc été changée. L'état de ses finances lui commandait les économies de la paix, tandis que la possession de la suprématie qu'elle avait acquise par la guerre ne pouvait lui être conservée que par la guerre.

Lord Palmerston a droit à un monument qui dirait que c'est à lui que le peuple anglais doit la solution de ce problème; car, si la paix règne en Angleterre, il y a eu chez tous les peuples du continent un état de guerre presque continuel.

Est-ce une époque de paix que celle où l'on vit quatre années de guerre civile entre don Pédro et don Miguel; sept ans de guerre entre don Carlos et les deux reines? Les soulèvements successifs de l'Italie, qui ont fini par la catastrophe de CharlesAlbert, sont-ils un état de paix ? Deux années de guerre entre la Pologne et la Russie; les troubles

du grand-duché de Posen, ceux de Cracovie, ceux de la Gallicie, sont-ils un état de paix? Quel nom donner à la guerre des nationalités en Hongrie et à deux campagnes de guerre civile? Quel nom donner à la sanglante querelle entre le Danemark et les deux duchés, qui veulent être à la fois réunis et séparés ? Était-ce un état de paix que celui de la confédération germanique, à la fin de l'année 1850, où les hommes de politique aventureuse et les surexcités de bonne foi ne reculèrent que devant la grandeur des préparatifs de la guerre ?

Les sourdes machinations qui tiennent depuis si longtemps les gouvernements et les peuples sur un qui vive continuel, impriment-elles à notre époque le caractère d'un état de paix?

L'Angleterre, dans sa grande lutte, avait fait la guerre avec ses flottes et ses armées dans toutes les parties du monde à la fois. Elle payait des subsides ou prêtait de l'argent aux gouvernements ses alliés. Elle appelait les peuples aux armes en faisant appel à leurs passions. Elle a, depuis la paix, rayé de son budget toutes les dépenses de la guerre; mais elle continue l'appel aux passions; elle sait les rendre, pour ainsi dire, permanentes, en les excitant au moyen des questions les plus difficiles de l'ordre social et de l'ordre politique. On en voit les résultats.

Les grands événements n'ont jamais rien de spontané. Les causes qui les produisent doivent nécessairement les précéder. Ce qu'ils ont d'accidentel et d'imprévu, ce n'est que la forme que leur donne le moment de l'explosion.

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