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Depuis l'année 1848, le ministère anglais a, chaque année, saisi l'occasion de l'ouverture du parlement pour féliciter le peuple anglais du calme de son attitude et de la paix politique que le gouvernement savait conserver au milieu des révolutions qui déchiraient le continent.

Le langage du ministère anglais est simple, naturel et candide, comme le serait celui de l'innocence. Cependant nous avons à lui poser une question aussi très-simple et très-naturelle.

Aucun pays n'a été, depuis longtemps, aussi jaloux de son influence que l'est l'Angleterre de la sienne. Aucun ministre n'a non plus, depuis longtemps, donné à l'exercice de cette influence un degré d'activité pareil à celui que lui a imprimé lord Palmerston. Aucun ministre, avant lui, n'avait jamais aussi hautement que lui proclamé la volonté de l'Angleterre d'exercer cette influence. Le parti tory avait pris pour base de sa conduite politique le principe de non-intervention. Les discussions dans lesquelles il s'est engagé avec les puissances du continent ont été amenées par la défense de ce principe, qu'il opposait au droit d'intervention qu'elles réclamaient pour certains cas donnés.

Lord Palmerston a quitté franchement cette politique, qu'il trouvait trop timide pour la fierté de l'Angleterre, trop peu productive pour ses besoins. Il n'a cessé d'intervenir dans toutes les affaires, dans les grandes comme dans les petites, en déclarant cette intervention comme un droit qui appartenait à l'Angleterre.

Pour motiver ce droit, lord Palmerston ajouta à la politique des intérêts celle des doctrines et des principes. L'élasticité de cette politique des principes se prêtait merveilleusement à l'ambition de celui qui voulait se mêler de tout. Là où n'existait pas une question d'intérêts positifs existait, au gré de l'Angleterre, la question des doctrines.

On a donc le droit de poser à l'Angleterre le dilemme suivant :

Ou bien l'influence qu'elle voulait exercer a été nulle; elle n'a rien su prévoir, rien diriger, rien régler; elle n'a rien atteint de ce qu'elle voulait atteindre; elle n'a rien empêché de ce qu'elle voulait empêcher; - ou bien, si, ne voulant pas descendre à ce degré de nullité, l'Angleterre ne recule pas devant l'influence qu'elle voulait exercer et qu'elle a exercée en effet, si elle accuse la résistance qui a été opposée à ses doctrines, à ses conseils, ou les fautes qu'ont faites les gouvernements, comme les causes des révolutions, dans ce cas sa politique aurait éprouvé une défaite complète; elle aurait été malhabile, insuffisante à l'œuvre qu'elle entreprenait. Si l'Angleterre ne veut pas, si elle ne peut pas nier la part qu'elle a prise à tous les événements de l'Europe, soit par son influence directe, soit par la prédication de ses doctrines; si, d'un autre côté, elle soutient n'avoir commis aucune faute, ne s'être trompée dans aucune de ses opérations, il ne reste plus alors qu'une troisième hypothèse celle qu'elle a voulu tout ce qui arrive.

Lord Palmerston a plus d'une fois déclaré officiellement et confidentiellement que le gouverne

ment anglais avait pris la résolution de ne faire alliance qu'avec des gouvernements qui professeraient des principes semblables à ceux de l'Angleterre. Telle a été la base de l'alliance de la France et de l'Angleterre, en opposition à celle des trois grandes puissances continentales.

Mais il n'y a entre la nature des gouvernements de France et d'Angleterre d'autre similitude que celle des formes. Les bases de l'ordre social des deux pays sont entièrement différentes.

Le gouvernement anglais repose sur un principe de classification qui n'admet pas celui de l'égalité, et sur un principe d'hérédité qui assigne des bornes étroites à celui de l'élection.

Le gouvernement français exclut, au contraire, le principe de classification et celui de l'hérédité. L'égalité est la base du nouvel ordre social de la France, comme l'élection est la base de son ordre politique.

Il résulte de cette première différence que l'élément aristocratique est celui qui domine en Angleterre et qui gouverne le pays, tandis que l'élément démocratique est le seul qui règne en France.

Il résulte de cette seconde différence que les luttes intérieures constitutionnelles sont décidées en Angleterre par la supériorité de l'intelligence, tandis qu'en France la force seule les décide.

L'histoire le prouve depuis longtemps. Ce fait découle des principes comme une nécessité. Pour qui voudrait mettre en doute cette nécessité, il en est encore une autre preuve dans la manière si différente dont sont conduites les affaires étrangères

des deux pays. Depuis que leur alliance les a fait entrer dans les mêmes voies diplomatiques de propagande constitutionnelle, nous avons vu leurs agents conduire les relations internationales dans un esprit semblable à celui du pays qu'ils représentent. Ainsi, pendant que l'Angleterre n'employait que son habileté pour fonder son influence sur la division des partis, on a vu la France toujours prête à décider les questions de politique constitutionnelle par l'emploi de sa force matérielle.

La France a fait cinq expéditions, pendant que l'Angleterre, tout en paraissant ne se tenir qu'en observation, agissait au moyen de l'action des partis. Elle exerçait de cette manière une influence qui lui mettait en mains des ressorts plus intimes, et qui ne cessait pas, tandis que celle de la France diminuait dès l'instant que cessait l'action de sa force matérielle. Tel a été le cas lors de l'expédition du duc d'Angoulême en Espagne, du maréchal Maison en Grèce, du maréchal Gérard en Belgique et de celle d'Ancône. Il en sera de même de l'occupation de Rome, quand elle aura cessé. La vanité nationale ne manque jamais, en pareil cas, de qualifier d'oppression le secours étranger.

C'est de concert, ou tout au moins avec l'assentiment du gouvernement britannique que la France intervenait ainsi à main armée. L'Angleterre, loin d'y trouver du dommage ou un amoindrissement de son influence, savait, au contraire, ce qu'elle devait y gagner. Pour qui voudrait en douter, qu'on se rappelle qu'elle demandait à Louis-Philippe de faire entrer une armée française en Espagne.

Mais le service rendu est bientôt oublié. Il ne reste dans la mémoire que comme un souvenir d'humiliation pour lequel il a fallu payer. La protection morale, au contraire, apparaît comme un sentiment de bienveillance désintéressée; la confiance que donne ce sentiment assure l'influence du protecteur; il n'y a là de dépense pour personne, ni pour le protecteur ni pour le protégé.

Les deux premières des cinq expéditions que je viens de citer ont eu lieu sous la restauration; les deux suivantes sous Louis-Philippe; la dernière sous le président de la république. La différence des principes des gouvernements de ces trois époques n'en a produit aucune dans leur manière de procéder. Il y a donc là une cause permanente qui les a dominés. Il doit être utile de s'en rendre raison.

Bien que les principes sur lesquels repose l'ordre social en France et en Angleterre soient diamétralement opposés, il y a toutefois, dans la similitude des formes gouvernementales, un même esprit. On y voit la monarchie sur le trône, tandis que les grands conseils des deux nations sont de constitution républicaine; la différence est que l'esprit du parlement anglais est aristocratique, tandis que celui des chambres françaises a toujours été démocratique.

La proclamation de la république, en 1848, n'a été que la suite naturelle, inévitable de cette autre proclamation de l'année 1830, prononcée par un homme toujours instrument plutôt que chef de parti, fausse copie d'un modèle qu'il avait vu sans

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