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le comprendre, par Lafayette, qui donna la main à Louis-Philippe, pour le faire monter sur un trône entouré d'institutions républicaines. Quand les hommes se comptent, les plus nombreux ne se contentent pas du pouvoir seul, ils en veulent encore le titre; la royauté n'existait plus déjà depuis longtemps; le trône, en 1848, a été mis de côté comme un meuble inutile qui faisait encore obstacle. Cela explique la facilité de l'opération et l'aveuglement de la plupart des hommes qui la préparaient sans le vouloir.

Telle est encore l'erreur de ceux qui demandent au suffrage universel le rétablissement d'une royauté.

L'antagonisme entre le principe monarchique et le principe démocratique est trop hostile pour ne pas être destructeur. Le trône doit périr, ou les conseils doivent devenir monarchiques ou du moins se tempérer par des éléments aristocratiques.

Napoléon avait aussi cru en finir avec la révolution, en fondant son pouvoir sur un simulacre de suffrage universel. L'esprit républicain de France prit, après sa chute, ce simulacre pour un droit de son avenir.

L'aristocratie anglaise, qui gouverne en vertu d'un principe de liberté républicaine, est cependant pénétrée de cet esprit de conservation qui sera toujours le caractère de toute aristocratie. Quand elle gouverne, elle veut conserver l'État; quand elle ne gouverne pas, elle travaille à se conserver elle-même. L'aristocratie anglaise a donc voulu conserver la royauté, quoique le caractère irres

ponsable qui lui a été donné n'en fasse, pour ainsi dire, qu'un simulacre: simulacre, cependant, qui a quelque chose de sacré; car personne n'ose y porter la main. C'est l'arche sainte.

Les hommes pris en masse ont malheureusement quelque chose de la race des mouches : ils salissent tout ce qu'ils touchent.

Il sera donc toujours important, pour tout le monde, qu'il y ait dans l'ordre social quelque chose sur quoi aucun homme ne puisse se poser.

Le titre de cet écrit demande une explication. Elle vient se placer ici naturellement, et je vais la donner.Il pourrait, en effet, paraître extraordinaire de placer un nom propre en tête des questions les plus graves des intérêts publics.

Le principe fondamental des théories constitutionnelles est de faire du prince un être moral irresponsable; il doit être le représentant de la souveraineté; sa personne doit être sacrée; mais le culte qu'on lui porte ressemble à celui des idoles qui représentent la divinité sans en avoir la puissance. Cette puissance, qui est celle de la souveraineté elle-même, ne pouvait pas être annulée; elle n'a donc été que déplacée.

Les théories constitutionnelles ont donc pris pour base de leur action le principe que, dans l'État, aucun individu ne doit s'élever à un degré de pouvoir assez considérable pour ramener tous les dangers que la position fictive donnée au prince a pour but d'éviter.

Ainsi les dépositaires de l'exercice du pouvoir sont responsables de leurs actes aux assemblées dé

libérantes dans le concours desquelles réside la souveraineté.

Tout le monde, en Europe, les gouvernements et les peuples se sont demandé comment il se faisait qu'en opposition à un principe constitutionnel fondamental, il fût possible qu'un ministre anglais suivît une marche politique, évidemment arbitraire, puisqu'elle était pleine de contradictions; évidemment violente, puisque tant de voix s'élevaient pour s'en plaindre, tenant peu de compte des principes, puisqu'elle les proclamait ou les violait à son gré.

Telle est, en effet, la manière dont lord Palmerston a conduit la politique de l'Angleterre. Il faut, pour le comprendre, examiner comment la carrière qu'il a parcourue a pu le rendre propre à jouer un pareil rôle. Il réunit en lui la double nature des des deux partis qui, depuis deux siècles environ, se disputent alternativement le gouvernement de l'Angleterre. Le mouvement d'oscillation qui devait nécessairement toujours en résulter était plus ou moins rapide, selon la durée du temps que chacun de ces partis conservait le pouvoir. Ce mouvement, se personnifiant dans la double nature d'un seul et même individu, a gagné un degré de vitesse que déterminait la mobilité de son esprit, et qui devait nécessairement prendre le caractère de révolution qui consiste à faire, par des moyens de violence et avant maturité des changements que le temps amène d'une manière plus sûre et plus profitable, quand la sagesse sait les attendre.

Depuis la première révolution de France, l'An

gleterre s'était mise résolûment à la tête du mouvement du monde. Elle a été, selon les circonstances, ou force de résistance ou force d'agression. Elle s'est mêlée à tous les événements, ou pour les faire naître ou pour dominer ceux qu'elle trouvait sur sa route; dans tous les cas, pour tirer parti de tous à son profit. L'Angleterre était enfin sortie victorieuse de sa double lutte; elle avait fini par vaincre à la fois la France révolutionnaire et la France impériale. Louis XVIII, se croyant sage comme Solon à son retour d'Égypte, donnait, aux Tuileries, une constitution de forme anglaise; Napoléon qui, certes, devait sentir ses fautes, dictait des Mémoires, à Sainte-Hélène, pour les effacer de son histoire.

Lors de cette longue époque du pouvoir des tories, lord Palmerston avait occupé quelque temps la place de secrétaire d'État pour le département de la guerre; il a hérité de cette école la grandeur des combinaisons, le courage de l'action, l'art de combattre à la fois ses ennemis par des alliances régulières et par l'excitation des peuples. Tous ces moyens étaient alors employés avec l'intention de raffermir le principe monarchique.

Les whigs, de leur côté, ont, au contraire, dans tous les temps cherché à fortifier leur position par le principe politique qui les établissait partout comme les défenseurs de la liberté des peuples. Ne se sentant pas assez forts en Angleterre pour y lutter contre la couronne, quand elle y était soutenue par le parti sincèrement monarchique, et pour la forcer à leur donner accès au pouvoir, ils ont tou

jours cherché des auxiliaires au dehors; ce principe a fini par les rendre propagandistes. On trouve des traces de ce double mouvement dans plusieurs des épisodes de la longue guerre contre la France. Il sera utile de les montrer, parce qu'alors les complications de la politique anglaise deviennent plus faciles à comprendre.

Napier, militaire distingué d'une famille whig, dit dans l'histoire qu'il écrivit sur la guerre de l'indépendance d'Espagne (t. ler, p. 31; traduction française):

tel

<< Si Napoléon, en entrant en Espagne, eût pris soin de mettre le peuple et le gouvernement d'abord dans un contact hostile (et combien d'occasions un gouvernement n'offrait-il pas pour cela!) au lieu de se montrer arbitre perfide dans une querelle domestique, il aurait été accueilli comme le libérateur d'un grand peuple. »

Voilà le fond de la politique du parti whig. Lord Wellington, au contraire, pendant tout le temps de sa guerre en Espagne, s'est maintenu sur le terrain militaire. L'Espagne était pour lui le champ de bataille sur lequel devait se décider la grande lutte entre la France et l'Angleterre. Il se tint le plus éloigné que possible des intrigues des cortès, qui siégeaient à Cadix. On en trouve des preuves nombreuses dans la publication qui a été faite de sa correspondance. En voici une (extrait d'une lettre du duc de Wellington au comte Bathurst. Sesaco, 5 septembre 1813, vol. VI, p. 743):

Après avoir parlé du mauvais système des cortès à Cadix, le duc dit dans cette lettre :

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