Page images
PDF
EPUB

riorité se dirige contre les gouvernements qu'ils appellent despotiques, et contre lesquels ils veulent soulever toutes les passions.

Deux faux principes troublent l'Europe :

Le premier est de séparer les peuples de leurs gouvernements, comme d'une autorité qui leur serait hostile.

Le second est de séparer les gouvernements en deux catégories et d'opposer l'une à l'autre, dans un esprit d'incompatibilité.

Si ces deux principes découlent théoriquement des doctrines d'une liberté mal comprise, qui veut se faire le premier élément de l'état social, tandis qu'elle ne peut être que le produit de son développement naturel, il est important de savoir comment ils se sont établis historiquement dans l'esprit de notre époque.

L'Angleterre est le premier peuple moderne qui soit entré dans la carrière des innovations. Il y avait dans tous les États catholiques, tels que le moyen âge les avait faits, une barrière à la puissance politique des princes. L'autorité religieuse, indépendante de l'autorité civile, prenait le parti des faibles et défendait leurs droits l'Évangile à la main. Le prince et le sujet avaient tous deux à soumettre leur conscience à un même tribunal. Le principe religieux était non-seulement une barrière à la puissance politique, mais les peuples étaient aussi tranquillisés par l'opinion qu'ils avaient que le prince trouvait cette barrière dans sa propre conscience. Le protestantisme vint donner à l'homme une plus grande indépendance; il devint

le seul juge de ses propres actions, et son intention l'excusa souvent là où un juge étranger l'aurait condamné. Chaque homme trouva dans le sentiment de l'indépendance de sa conscience la preuve de celle que le prince avait acquise; il a donc commencé à désirer de lui voir imposer un autre frein. C'est ainsi que se fit sentir le besoin de liberté politique. L'habitude prise par le protestantisme d'examiner le principe de l'autorité, et principalement le désir défensif de remplacer par des lois le frein religieux, que le catholicisme imposait aux princes, conduisirent aux révolutions politiques.

Quoique le protestantisme eût livré chaque individu au for de sa propre conscience, il n'en restait cependant pas moins nécessaire que le nouvel établissement religieux fût soumis à des règles et dépendît d'une direction; car malgré toutes les exagérations de l'idée d'émancipation morale, rien parmi les hommes ne peut exister sans le secours d'une autorité; l'ordre veut une règle, la règle veut une loi, et la loi veut un législateur. Ainsi partout les princes furent investis de cette part d'autorité religieuse dont l'établissement du protestantisme avait besoin.

L'Angleterre fut le premier pays qui devint en entier protestant. Les rois d'Angleterre, exerçant à la fois une double autorité politique et religieuse, se seraient donc trouvés investis d'une puissance plus arbitraire et plus illimitée. On a vu comment Henri VIII en avait usé et abusé. Ce fut donc en Angleterre plus qu'en aucun autre pays que se fit

sentir le besoin de mettre des bornes à la puissance du prince.

La tribune politique vint donc y remplacer cette chaire de vérité du haut de laquelle des hommes de savoir et de courage instruisaient à la fois les peuples et les rois de leurs devoirs. Les mouvements, dans l'État, prirent un double caractère, politique et religieux; cette double révolution fut consommée plus tard par l'expulsion de la maison régnante. La nouvelle royauté se laissa plus facilement dicter des lois. L'établissement religieux avait conservé du catholicisme une forme hiérarchique, qui lui donnait plus de consistance qu'il n'y en avait dans les autres pays protestants. Le nouveau trône et la nouvelle église, solidaires tous deux d'un même principe, devinrent parties intégrantes d'un système politique dont la principale puissance résidait dans l'aristocratie, qui avait su le fonder.

Cependant toute l'aristocratie ne professait pas les mêmes opinions sur la nature de l'autorité souveraine. Elle se divisa donc en deux factions qui n'ont pas cessé depuis de se disputer le pouvoir. Cet état de lutte civile perpétuelle fut rendu légal par une fiction honorée sous le nom d'opposition, cette fiction n'était possible, qu'en renfermant la lutte dans le cercle de la puissante et peu nombreuse aristocratie. Il y eut donc des conditions admises pour ce combat politique, dont le pouvoir était le prix; le champ était clos; les règles du combat ne pouvaient pas être transgressées; c'était un tournoi législatif. Le roi était le juge du camp, et

le peuple, sans jamais être appelé à prendre part au combat, applaudissait au vainqueur. Malgré la divergence des principes qui garantissait toujours l'appui secret du trône au parti dont les doctrines lui étaient le plus favorables, on combattait cependant à armes égales : c'étaient celles de l'aristocratie. La supériorité de l'intelligence décidait seule de la victoire, qui donnait au pays la garantie d'être gouverné par les plus habiles.

Mais, de nos jours, un parti fatigué de se voir trop longtemps exclu du pouvoir a violé les lois du combat; les armes d'opposition ont été changées; on a défendu d'autres principes; les barrières du champ clos ont été renversées; le peuple, qui ne devait être que le témoin de la lutte, a été pris pour auxiliaire; les agresseurs sont enfin arrivés au pouvoir; mais cette ancienne opposition, à l'aide de nouveaux principes, victorieuse de ses vieux adversaires, n'est plus libre dans ses mouvements et dans l'usage qu'elle voudrait faire du pouvoir; poussée par la foule dont elle a invoqué le secours, elle est obligée de marcher à la démolition de l'ancien édifice dont elle faisait partie; elle le fait méthodiquement encore; elle voudrait relever les barrières abattues et maintenir le peuple hors de l'arène; elle lui fait des concessions pour l'arrêter; le pourra-t-elle longtemps? Quand elle voudra résister et reprendre la défense du pouvoir, l'Angleterre sera livrée à toutes les conséquences de ce principe, qui range le peuple d'un côté et le gouvernement de l'autre. Le parti whig, si longtemps l'avocat du peuple, a créé ce principe comme uns

arme d'opposition; il devait rester une fiction; il a cessé de l'être; l'Angleterre prouve aujourd'hui combien il est dangereux. Mais la preuve du danger est trop tardive; les hommes entraînés par l'exemple d'un état factice auquel la haute prospérité de l'Angleterre fut faussement attribuée, ont érigé le mécanisme de la constitution anglaise en axiome politique. On a institué l'opposition au gouvernement comme un droit; cet état d'agression perpétuelle a été rendu légal; on est membre de l'opposition comme on est membre du ministère; c'est même un titre plus honorable; cela ressemble à un service gratuit au profit de l'opprimé. Cet état de choses a pu exister une fois sous la condition que le peuple ne prêterait que son nom, sans jamais prendre part à la lutte; mais il ne pouvait exister qu'en Angleterre, où l'aristocratie jouissait de la confiance du peuple, parce qu'elle avait pendant des siècles défendu ses intérêts contre le trône. C'était une opposition basée sur de longs antécédents et dont le rôle était convenu entre les partis, ce qui lui avait fait donner ce nom de constitutionnelle; mais elle a fini son rôle; en changeant les conditions de la lutte, elle est devenue factieuse, comme elle l'est dans tous les pays qui ont voulu imiter l'Angleterre.

Voyons, en effet, quels ont été pour la France les résultats des formes politiques anglaises. Le mouvement constitutionnel régularisé en Angleterre par des conditions particulières à ce pays, indépendantes de cette forme de gouvernement et antérieures au développement qu'il y avait pris, n'a

« PreviousContinue »