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qui alluma la guerre en 1793 pour ne la terminer qu'en 1815. Si cet antagonisme fut sincèrement dans l'origine celui des principes, les Anglais n'ont jamais été assez doctrinaires pour sacrifier leurs intérêts à des doctrines. Ainsi la lutte des intérêts vint bientôt se joindre à celle des principes. Cela en explique la longue durée.

Le parti whig, voulant être, par esprit d'opposition à ses rivaux, le défenseur à tout prix des idées de liberté, et ne cessant de voter pour le rétablissement de la paix avec la France, fut porté au pouvoir par la paix d'Amiens; mais, à peine au pouvoir, Fox donna la preuve la plus éclatante que des principes seuls n'étaient plus la cause de la guerre; car il ne tarda pas à la rallumer; lui pendant si longtemps l'ami de la France, l'homme de la paix, ayant reconnu que la guerre était nécessaire aux intérêts de l'Angleterre, il quitta le pouvoir pour le rendre aux hommes de la guerre; les whigs étaient dans l'impuissance de la faire; ils n'inspiraient pas assez de confiance aux adversaires de la France pour se mettre à la tête des alliances continentales, sans l'aide desquelles l'Angleterre ne pouvait pas la continuer. Pendant cette lutte si prolongée, l'Angleterre était à la fois l'alliée des gouvernements et des peuples; elle défendait les droits politiques des souverains et l'indépendance des nations; la France républicaine, au contraire, voulait renverser tous les princes, révolutionner l'Europe en appelant tous les peuples à la liberté, telle que la France la comprenait pour elle-même. Quand vint l'époque impériale, le rôle de l'Angle

terre resta le même; il devint encore plus facile, quoiqu'il s'agrandît; celui de la France avait changé.

Le résultat des temps les plus orageux de la révolution de France, celui qui devait suivre immédiatement tous les excès de la licence et de l'anarchie, devait être le despotisme militaire; c'est toujours la transition nécessaire au rétablissement de l'ordre; la forme que prend l'événement dépend uniquement du caractère de l'homme qui se sera emparé du pouvoir.

Napoléon avait alors deux voies ouvertes à son ambition. Il avait à choisir : il pouvait raffermir la monarchie en France et en Europe et se mettre alors en paix avec les rois; ou bien il pouvait laisser à son autorité la base du principe qui la lui avait donnée, se faire l'allié des peuples contre les rois, renverser toutes les anciennes monarchies, et donner à l'Europe une nouvelle forme. Cette dernière combinaison ne manquait pas de chances de succès. Il ne fit ni l'un ni l'autre.

La guerre lui avait donné le trône; son point de départ lui faisait une loi d'illustrer sa couronne par des triomphes qui eussent exclusivement le caractère impérial. Il en avait besoin pour soumettre la France à l'obéissance de l'admiration, et pour imposer aux dynasties par la preuve de la supériorité de sa puissance. Ainsi, ses trois guerres: en 1803, contre l'Autriche; en 1806, contre la Prusse; en 1807, contre la Russie, étaient, pour ainsi dire, une nécessité de sa position. Le général des armées de la république avait montré un instinct secret, un in

stinct presque inné du pouvoir. Il sut, au milieu des illusions et des folies de l'égalité, aller droit à son but. Il n'eut pas un seul rival digne de lui. Sa place au-dessus de tous lui fut bientôt assignée. La gloire l'y conduisit. Il avait su s'emparer du pouvoir suprême comme l'avait fait Octave. Les camées antiques nous montrent combien Napoléon ressemblait à cette tête romaine. Pourquoi, lui qui se disait un homme du destin, n'a-t-il pas trouvé dans cette ressemblance un signe qui l'appelait à une imitation plus complète? Pourquoi n'a-t-il pas su s'arrêter comme Auguste? Ne lui fallait-il pas, pour conserver, une autre conduite que pour conquérir? N'ayant donné à sa puissance que la base de la force matérielle, sa politique toute personnelle n'ayant aucune force morale, il devint lui-même le plus actif destructeur de ses propres ouvrages; car la force seule ne peut suffire ni à la conquête, ni au gouvernement du monde.

Le triomphe de l'Angleterre fut complet, aidée comme elle l'avait été par tous les monarques et par tous les peuples.

Cette grande lutte paraissait avoir décidé d'un long avenir. Cet avenir est venu aboutir au cataclysme politique de l'année 1848.

Avant de nous engager dans les détails historiques de ce période de temps, il faut nous arrêter un instant encore sur les deux points extrêmes de cette série d'événements, savoir le despotisme de Napoléon, renversé en 1815 par la coalition de l'Europe; - l'anarchie de toutes les forces sociales en 1848, et l'absence totale d'un système

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politique assez fort pour pouvoir la comprimer. L'influence sur le temps qui sépare ces deux époques n'a pas été la même.

L'Angleterre et la Russie ont dominé, d'une manière absolue, la première de ces deux époques par tout ce qu'un triomphe presque sans pareil dans l'histoire ajoutait de prestige à leur puissance positive. Il y avait de leur côté supériorité de fait et une supériorité morale que n'affaiblissait aucun souvenir d'hésitation.

L'Angleterre, en quittant les rangs de son ancienne alliance continentale pour se rapprocher de la France, avait créé un nouveau poids politique qu'elle mit en opposition à celui des trois puissances qu'elle venait de quitter. Ce furent ces deux gouvernements qui exercèrent alors la plus grande influence sur les événements qui ont rempli cette seconde époque, depuis l'année 1820 jusqu'à 1848. Ils l'ont exercée de fait par le poids naturel de leur puissance; mais plus encore comme un acte permanent de leur volonté. Ils ont tous deux, à chaque occasion, déclaré hautement qu'ils voulaient en agir ainsi; qu'ils avaient le devoir de protéger le mouvement de libre émancipation des peuples contre tous ceux qui voudraient le comprimer. Les moyens d'action d'une égale volonté sont cependant restés différents; ils ont été toujours fortement mo difiés par les principes constitutifs des deux pays, de nature essentiellement différente, et qui n'ont de semblable que l'apparence des formes. Il serait impossible de comprendre les événements que nous avons vus se préparer, se développer, et de faire la

part qui en revient à chacun, avant d'avoir bien fixé la différence entre le point de départ et celui de l'action. Il faut donc, malgré ce qui a déjà été dit à ce sujet, revenir encore pour quelques instants à des questions primordiales.

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M. Guizot a publié, en janvier 1849, un livre de la Démocratie en France. « Un peuple qui a fait une révolution, dit-il, n'en surmonte les périls et n'en recueille les fruits que lorsqu'il porte lui-même sur les principes, les intérêts, les passions, les mots qui ont présidé à cette révolution, la sentence du jugement dernier. Tant que ce jugement n'est pas rendu, c'est le chaos, et le chaos, s'il se prolongeait au sein d'un peuple, ce serait la mort. Ce chaos est caché tantôt sous le mot démocratie, tantôt sous celui de peuple, quand il ouvre à l'égalité toutes les portes et abat devant elle tous les remparts de la société. » Cherchons avec l'auteur la sentence du jugement dernier, qu'il paraît vouloir prononcer sur la démocratie.

Si personne ne peut nier que la base de la démocratie soit placée dans les régions inférieures de la société, n'a-t-on pas le droit de demander quel sera le sort d'un État qui veut prendre la démocratie pour le seul élément de son existence? Ainsi, tout ce qui se trouve faire nécessairement partie d'un État constitué d'après d'autres principes, le haut clergé, la haute administration, la riche propriété foncière, les riches capitalistes, la haute culture de l'intelligence, les sommités industrielles, en un mot, les éléments les plus divers doivent-ils tous être incorporés à la démocratie? Mais alors ce se

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