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veaux États-Unis n'avaient d'autres voisins que des Indiens, peuples chasseurs, sauvages et désarmés. Washington devint législateur pacifique, parce qu'il ne pouvait pas être autre chose. Il devint le fondateur de la liberté américaine; mais pouvait-il fonder autre chose, quand les immenses espaces qui séparaient les hommes faisaient de la liberté la seule condition possible de leur existence?

Napoléon devait être guerrier; ce n'est qu'à ce titre qu'il pouvait parvenir au pouvoir. Il avait à vaincre l'anarchie; celle des idées comme celle des passions; la raison seule n'y a jamais suffi nulle part; il a toujours fallu l'épée. Mais des victoires, ou trop faciles, ou trop décisives, rendent souvent l'épée dangereuse à celui qui ne sait plus en modérer l'usage. Celle de Napoléon fut brisée. Les traités signés à Paris, qui servirent de base aux transactions du congrès de Vienne, devaient être naturellement conçus dans un esprit de réaction contre la France. La base commune de l'action des puissances alliées avait été le rétablissement de l'indépendance nationale des États; l'Angleterre y ajoutait son principe permanent de protection de leur liberté politique. On verra plus tard comment de cette seule différence est sorti tout le mouvement politique qui a conduit l'Europe aux révolutions de l'année 1848. L'élévation et la chute de Napoléon avaient laissé la France sans conviction. Les principales bases de son ordre social et politique se trouvaient toutes remises en question. Louis XVIII, en rétablissant, sous la nouvelle égide de la restauration, un gouvernement de discussion, ouvrit

un champ légal à la lutte de toutes les opinions. C'était l'influence des idées anglaises.

Le demi-siècle qui vient de s'écouler est certainement un des plus riches de l'histoire en enseignements utiles. Rien ne prouve la difficulté de l'art de gouverner comme de voir comment les peuples peuvent être amenés, par des fautes, des erreurs, ou par l'ambition, à devenir les victimes de leurs mauvaises, comme quelquefois aussi de leurs plus nobles passions.

Avant d'entrer dans cette matière, il faut fixer en traits rapides les principaux résultats de la grande guerre qui venait de finir.

L'Angleterre sortit de la lutte riche de dépouilles, plus forte encore de l'affaiblissement des autres, mais avec une dette consolidée annuelle de trente et quelques millions de livres sterling. Cette dette devint le principe générateur du nouveau système politique de l'Angleterre.

L'empereur Alexandre, qui était venu au secours de l'Europe avec tous les moyens de son empire, était personnellement satisfait de la gloire qu'il avait acquise; mais la Russie lui demandait des indemnités pour les pertes et les sacrifices qu'elle avait eu à supporter. Une apparence de réparation fut le sauf-conduit à l'aide duquel devait passer un nouvel agrandissement. Le grand-duché de Varsovie, tel que Napoléon l'avait formé de territoires conquis sur l'Autriche et sur la Prusse, fut érigé en royaume de Pologne.

Avec le titre de roi de Pologue, l'empereur Alexandre prit celui de restaurateur de la nationa

lité polonaise. Ce titre, à lui tout seul, portait le caractère d'un acte de repentir et de large promesse. Il renfermait donc en lui-même le germe de graves événements. Les traités relatifs à cette création furent inscrits en tête de l'acte général du congrès de Vienne. Cette préséance annonçait l'importance qu'on voulait leur donner et prouvait en même temps la prépondérance de l'empereur.

Le royaume de Pologne devint, en effet, une des causes les plus influentes de l'agitation politique de l'Europe. L'Allemagne en ressentit tout d'abord les effets. La Russie elle-même n'en resta pas exempte; car les intérêts de la Pologne, séparés comme les Polonais voulaient les avoir, ne pouvaient pas être conformes aux intérêts russes.

Quelle était à cette époque la position de l'Autriche envers l'Europe et envers l'Allemagne? Napoléon avait cherché à donner au traité de paix de Tilsitt la portée d'une alliance: l'entrevue d'Erfurt y fut convenue. Cette entrevue avait pour objet de faire prendre corps à la pensée d'une alliance et d'en faire un nouveau système politique. Rien n'indiquait encore que les deux empereurs se fussent séparés plus défiants l'un de l'autre qu'ils ne l'étaient auparavant. La fortune du nouvel empereur était à son apogée. L'Angleterre était expulsée du continent il n'y avait plus de coalition possible contre lui. Tandis qu'il laissait voir que son ambition n'avait pas de mesure, il se trompa dans l'idée qu'il prit de l'empereur Alexandre. Il prit les formes ardentes et faciles d'un entraînement qui était un moyen d'observation, pour l'indice d'un carac

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tère ambitieux et faible tout à la fois, qu'il saurait, dans toute occasion, soumettre à la supériorité du sien. Cette fausse opinion devint la base de son entreprise contre la Russie.

Pendant ce temps, les Espagnols venaient d'entrer en lice; la trahison de Bayonne les ayant réveillés d'une longue léthargie. L'unanimité de leur soulèvement avait inquiété Napoléon. Un de ses calculs à Erfurt avait été de s'assurer du temps qui lui serait nécessaire pour les châtier et les soumettre à sa domination. Cependant leurs premiers succès, grandis encore par l'illusion d'optique que leur prêtait l'éloignement, devaient parler à l'esprit des peuples du continent, qui tous gémissaient sous le poids de la même oppression.

L'empereur François, qui voyait de plusieurs côtés se préparer des événements de nature à frapper son empire d'une véritable destruction, s'ils venaient à s'accomplir, jugea que le moment était venu de tenter un dernier effort:

A la fin de l'année 1808, l'empire d'Autriche avait une armée supérieure à toutes celles qu'il avait jusqu'alors mises en campagne. L'esprit de l'armée, d'accord avec tout le pays, était celui d'une attente silencieuse, mais impatiente. Le sentiment qu'on avait à Vienne de la gravité de la situation recouvrait cette impatience d'une apparence calme, qui ne l'avait cependant pas dérobée à l'attention de l'ambassadeur de France, le général Andreossy, homme trop éclairé pour ne pas avoir pressenti les projets que l'Autriche cherchait encore à cacher. Quoique les relations personnelles dans

de

lesquelles Napoléon était entré avec l'empereur Alexandre n'eussent aucune probabilité de durée, tant était grande la différence des caractères et des positions, tant aussi était positive la divergence des intérêts, Napoléon cependant tenait l'Europe trop enchaînée, il surveillait tous les cabinets de trop près, pour qu'il eût été possible à l'Autriche de préparer par des négociations secrètes une nouvelle coalition contre lui.

Ce fut donc par un acte de dévouement personnel, ce fut par sa déclaration de guerre en avril 1809 que l'empereur François fit appel à l'Europe. L'Espagne, et l'Angleterre pour la guerre qu'elle soutenait dans la Péninsule, recueillirent les premiers fruits de cette généreuse résolution. Quant à l'Europe, intimidée qu'elle fut par les premiers revers de Ratisbonne, elle se leva tout entière contre l'Autriche.

Une armée russe, peu importe quelles aient pu être les intentions secrètes, vint se réunir en Pologne à l'armée polonaise concentrée près de Varsovie. Cinquante mille Allemands, de toutes les dénominations, combattirent à Wagram, et trente mille Italiens avaient fait irruption dans les provinces méridionales de la monarchie.

Les journées d'Aspern et de Wagram resteront à jamais mémorables; car elles ont changé les destinées de l'Europe, telles qu'elles paraissaient sur le point de s'accomplir; les chances d'alors semblant devoir être : un seul maître ou deux seuls maîtres. La gloire qui revient à l'armée autrichienne de les avoir écartées est impérissable.

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