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Napoléon changea de résolution. Il trouva qu'il serait d'un plus grand avantage pour lui de s'attacher l'adversaire qu'il venait de rencontrer que de le détruire. Il fit donc la paix. Cette paix fut bientôt suivie d'une alliance intime. Le ressentiment que devait éprouver l'empereur François de n'avoir trouvé que des ennemis, quand le courage de son dévouement aurait dû lui donner des alliés, devait être pour Napoléon la garantie de la sincérité de sa nouvelle alliance. Une position d'entre deux ne peut d'ailleurs pas convenir à un État de premier ordre; la position que prit l'Autriche, suite inévitable de circonstances plus fortes que sa volonté, ne fut toutefois pas une capitulation après la défaite. Elle devait devenir un changement de système. Mais un système, pour être fort, doit savoir se prescrire des bornes. L'avenir de l'alliance que concluait l'Autriche dépendait donc de la sagesse de Napoléon. Cette sagesse lui manqua. Son ambition fut sans bornes. Il ne cherchait plus des alliés : il ne voulait plus que des instruments aveugles de sa volonté sa destinée devait s'accomplir.

Les négociations qui eurent lieu entre la cour de Vienne et Napoléon, à la suite de la campagne de Russie, resteront toujours comme un modèle de dignité et de convenance. Elles furent conduites avec une habileté qui sut réunir à une pensée de véritable paix pour l'Europe, les égards qu'exigeaient des relations personnelles trop rapprochées pour être dénoncées comme on dénonce un cartel. Il fallait qu'une conviction d'impossibilité, reconnue par tout le monde, vînt les dénoncer. Dresde

et Prague ont fourni des documents qu'il faut méditer pour apprécier les difficultés de l'époque. Ce qui en complète le caractère, c'est le passage inconditionnel de l'Autriche avec toutes ses forces dans les rangs des alliés. Il leur donna la supériorité du nombre. Après les deux batailles de Lutzen et de Bautzen, une bataille de Leipzig eût-elle été possible, si l'armée autrichienne était restée neutre derrière les montagnes de la Bohême?

L'importance du poids que l'Autriche venait de jeter dans la balance ne fut méconnue de personne, mais ce fut par des honneurs seuls que le prix lui en fut payé.

Les souverains se réunirent autour de la personne de l'empereur François. Le congrès fut placé sous la présidence du ministre qui dirigeait le cabinet de Vienne. Mais quand arriva la discussion des intérêts, les résolutions généreuses, sans être oubliées, n'étaient point des pièces de négociation. On ne tint compte que des engagements pris, que des stipulations écrites. C'est la force seule des positions qui donna l'influence. L'Angleterre et la Russie, tant à Paris qu'à Vienne, furent les puissances prépondérantes dans les nouveaux conseils de l'Europe. Elles devaient l'être; la persévérance de leur lutte et la grandeur des moyens qu'elles avaient mis en action leur en donnaient le droit; elles en firent usage.

L'Autriche, en effet, ne put rien empêcher de ce qu'elle voulait empêcher, ni rien obtenir de ce qu'elle voulait obtenir.

Elle voulait empêcher la reconstruction d'un

royaume de Pologne; elle ne le put pas. Elle voulait empêcher le partage de la Saxe; elle fut contrainte d'y souscrire.

Elle avait voulu empêcher que la Norvége fűt enlevée au Danemark. Il lui paraissait qu'il y avait contradiction de principe, à une époque où l'on parlait de restauration, à dépouiller une ancienne monarchie au profit d'un prince nouveau, dont on avait cru devoir s'engager d'avance à payer la défection.

L'Autriche aurait désiré régler les affaires religieuses de l'Allemagne. Elle aurait voulu stipuler des garanties en faveur de l'église catholique opprimée, dépouillée depuis trente ans; stipuler surtout en faveur des populations catholiques soumises à des gouvernements protestants. Il ne fut pas même possible d'aborder ce sujet au congrès.

Deux voix seules, celles de l'Autriche et de la Bavière, étaient trop faibles en face de la réunion de toutes les voix protestantes. Il fut donc convenu qu'on laisserait aux gouvernements le soin de régler les affaires religieuses de leur pays au moyen de négociations directes avec le saint-siége. La cour de Rome elle-même devait désirer qu'il en fût ainsi. Son plénipotentiaire au congrès se serait évidemment trouvé trop faible, assis dans une assemblée en face de tous les dissidents et des indifférents réunis.

L'ancienne influence de la puissance impériale protectrice des intérêts catholiques, en Allemagne, fut donc annulée de fait. Il n'en resta rien à l'Autriche. Le congrès de Vienne acheva, sous ce rap

port, l'œuvre du congrès de Munster. La position religieuse et politique du protestantisme avait alors été conquise par la guerre. Au congrès de Vienne, l'indifférence du siècle et la prépondérance politique des puissances catholiques consolidèrent son triomphe.

Le traité de paix de Campo Formio avait mis la maison d'Autriche en possession de Venise et des provinces vénitiennes en deçà de l'Adige, en indemnité de la cession définitive des Pays-Bas autrichiens, qui fut alors faite à la France.

Par la même raison, le congrès de Vienne remit l'Autriche en possession de Venise et de toutes les provinces vénitiennes de terre ferme. Venise, cette reine de l'Adriatique, n'aurait pas été honorée de ce titre, si elle n'avait pas été maîtresse de Corfou. La possession de ce point paraît en effet devoir être inséparable de son existence maritime. Le gouvernement britannique le pensait ainsi. Le congrès avait terminé tous ses travaux; il ne restait plus d'autre détermination à prendre que relativement aux sept îles Ioniennes.

Le plénipotentiaire de Sa Majesté Britannique ouvrit la séance du 4 juin 1815, en appelant l'attention de l'assemblée sur cet objet. Il exposa que le gouvernement britannique ayant occupé lui seul six desdites îles, et la septième (Corfou) au nom des alliés, il avait toujours eu à se louer des intentions et du bon esprit de leurs habitants; que, par cette raison, le gouvernement britannique leur avait fait la promesse de s'occuper de leur sort; que, le moment étant venu de remplir cette pro

il proposait d'y pourvoir en plaçant les sept iles sous la protection de Sa Majesté l'empereur d'Autriche, en assurant en même temps aux habitants de ces îles la garantie de leur liberté et de leur commerce.

En conséquence, le comte de Clancarty proposa la rédaction d'un article, et remit, à cet effet, une notice au protocole de cette séance.

Les plénipotentiaires d'Autriche déclarèrent « que la possession des îles Ioniennes étant liée à la tranquillité de l'Italie, ainsi qu'aux autres intérêts du golfe Adriatique et des provinces cidevant vénitiennes, leur cour se chargerait de la protection de ces îles et leur garantirait le maintien de leurs lois et priviléges.

« Les plénipotentiaires de Russie observèrent que Sa Majesté l'empereur de Russie, ne désirant apporter dans cette transaction que l'intention de faire jouir les habitants desdites îles du sort le plus avantageux et le plus approprié à leur situation, croyait devoir seconder le vœu que les habitants avaient manifesté de rester sous la protection de la Grande-Bretagne. »

«Le comte de Clancarty répliqua que les instructions de sa cour ne lui permettaient pas d'entrer, dans la continuation de l'état actuel des choses, dans les îles Ioniennes, et que le moment semblait venu de ne pas différer de prononcer sur leur

sort.

<< Les plénipotentiaires de Russie observèrent

que

le comte Capo d'Istria, qui avait été chargé de discuter cet objet avec les plénipotentiaires bri

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