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la Hongrie, telle qu'elle se l'était faite et qu'elle voulait la maintenir, embarrassait la position politique du cabinet de Vienne.

Cette position, si gênée à l'intérieur, l'était encore, d'une autre manière, par les rapports que l'Autriche avait avec l'Allemagne, lesquels ne lui imposaient que des devoirs, des obligations, sans lui rien donner de ce genre de force qui aurait pu devenir une partie de sa propre vie, et corroborer son organisation politique.

Si la faiblesse de cette organisation donnait à ceux qui gouvernaient l'empire peu de moyens de lutter contre les dangers d'une révolution que l'on voyait approcher de toutes parts, il reste à examiner si l'organisation du gouvernement intérieur était de nature à donner ces moyens.

Il suffira d'un examen sommaire pour prouver, au contraire, que ce sont les vices ou, pour dire plus juste, les difficultés de cette organisation qui ont amené la crise, et que ce n'est qu'en dehors des règles de cette organisation que la force de résistance a pu se trouver.

L'État cherchait, depuis longtemps, dans les voies de l'administration, la force que sa composition politique ne pouvait lui donner. L'action souveraine était affaiblie par la nature fédérative de l'empire. Cette cause de faiblesse provenait surtout de la grande inégalité des parties, et ce qui y ajoutait encore, c'était la résistance des nationalités, qui repoussaient l'idée de l'unité, bien plus par orgueil que par la diversité de leurs intérêts. On croyait pouvoir trouver dans la concentration ad

que

ministrative ce qui manquait à l'union politique. Ce nouveau terrain présentait des difficultés d'un autre genre, mais qui n'étaient pas moins grandes celles dont on cherchait à s'affranchir. Il y avait, dans l'état de civilisation, de culture et de richesse des diverses parties de l'empire, des différences si profondes, qu'il était impossible de faire à toutes, avec le même avantage, l'application des mêmes maximes politiques et des mêmes mesures administratives.

Une partie des provinces de l'empire pouvait supporter, sans autre dommage que celui du retard, les mesures restrictives nécessitées par un mouvement que la prudence politique conseillait de modérer, dans la crainte qu'étant trop hâtif, il ne devînt dangereux. Mais ce système de retenue, qui retardait le développement de toutes les ressources, pouvait-il convenir à des provinces comme la Gallicie, la Bukowine, la Transylvanie, et toutes celles qui étaient dans la dépendance de la Hongrie, où ce développement n'avait, pour ainsi dire, pas encore commencé? Laisser ces provinces sans moyens de communication, sans industrie, sans agriculture, c'était se priver des richesses qui auraient pu se trouver dans cette moitié de l'empire.

La faiblesse inhérente à la nature fédérative de l'empire n'aurait donc pu être compensée que par une puissante administration. Toutefois la force que l'administration peut donner à l'État ne se trouve pas dans le pouvoir qu'elle exerce, mais dans l'intelligence qu'elle sait mettre à éloigner tous les obstacles qui s'opposent au libre dévelop

pement des intérêts et des éléments de richesse dont le pays est doué, comme de ceux qu'il peut acquérir par son industrie.

L'organisation politique des anciens pays héréditaires autrichiens avait été réduite à de simples formes, qui n'avaient plus rien de la vie qui les avait animées autrefois. Ces formes traînaient encore avec elles toutes les barrières, toutes les rèstrictions faisant partie d'un système dans lequel on croyait trouver la garantie de la stabilité du pouvoir. Mais privée du principe de vie qui lui était propre, cette stabilité ne fut plus que de l'im

mobilité.

En face d'un mouvement qui grandissait chaque jour, le sol était immobile comme l'étaient les hommes destinés à le cultiver. Une partie du pays marchait, l'autre ne marchait pas.

Dans la situation actuelle des États modernes, un gouvernement ne peut pas exister sans un budget considérable, que l'administration seule peut lui donner.

L'administration, ce qui veut dire le gouvernement des intérêts, a des besoins de tous les jours, qui varient selon tous les mouvements de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, même selon les mœurs qui font qu'une société est plus ou moins restreinte dans ses habitudes, comme dans ses dépenses. Un pareil état de choses exige liberté de mouvement à la fois pour les hommes et pour les choses.

L'État, ne voulant pas, ou plutôt ne pouvant pas encore donner isolément à l'industrie, qu'il avait

appelée à la vie, toute la liberté de mouvement sans laquelle elle ne peut pas prospérer, se vit forcé de lui accorder une protection qui alla jusqu'au système prohibitif.

Des impôts indirects, prélevés sur les principaux objets de consommation, avaient élevé le prix de toutes les denrées. Les arts et métiers n'avaient déjà plus la protection de leur ancienne organisation. Ils n'avaient pas encore les avantages concédés à la nouvelle industrie. On vit donc la bourgeoisie, à l'exception de celle des villes manufacturières, s'appauvrir. Tandis que l'industrie manufacturière était seule en voie de prospérité, toutes les professions languissaient. L'équilibre était rompu entre les besoins de la vie et les moyens de gagner de quoi les satisfaire.

Le rapport absolu qui existe entre la nécessité d'avoir de l'argent et la recherche des sources qui doivent le produire, demande la plus intime connexión entre l'organisation politique administrative et le ministère des finances. C'est dans cette connexion d'un ordre plus élevé, et uniquement en elle, qu'il faut chercher l'esprit de centralisation. On n'avait pas su placer ce principe assez haut. On avait pensé qu'il suffirait, pour en recueillir les bienfaits, de faire aboutir toutes les affaires des provinces à Vienne. Elles s'y traitaient sans doute dans des vues voisines les unes des autres, mais sans accord et dans un esprit différent. Il y avait lacune dans l'organisation. On l'avait senti. On avait cru y porter remède par la réforme de l'ancien conseil d'État, qui eut lieu en 1836. Mais la

formation de ce corps, divisé en sections correspondantes aux différents ministères, n'en faisant qu'une autorité de surveillance de plus, chargée de la révision des travaux de tous les ministères et du soin de mettre sous les yeux de l'empereur ceux qui avaient besoin de la sanction souveraine, ou qui devaient être censurés et renvoyés aux ministères pour meilleur ou plus ample informé. Le conseil d'État n'était qu'un degré de plus pour la gestion des affaires. Les attributions qui lui étaient dévolues détruisaient l'ordre hiérarchique, qui doit toujours être soigneusement conservé, car il est la base de toute bonne discipline. Une organisation qui met les honneurs et les rangs d'un côté, tandis qu'elle place les affaires et le pouvoir qu'elles donnent de l'autre, sera toujours dangereuse. Un conseiller au conseil d'État, ayant à parler en dernier ressort, devenait plus puissant que les chefs des chancelleries auliques. Ces chefs furent annulés dans l'esprit des administrés, comme dans celui de leurs employés. Le pouvoir fut placé dans des mains subalternes. On ne le voulait sans doute pas ainsi. Mais l'action continue d'un collége placé si haut ne pouvait manquer d'avoir ce résultat. Les chefs de toutes les branches de l'administration, pour la sanction des mesures auxquelles ils attachaient de l'importance, comme les particuliers, pour leurs intérêts privés, devinrent tous des clients du conseil d'État. Les affaires traînaient plus en longueur, leur issue devenait plus incer

taine.

Le grand vice d'une échelle de surveillance trop

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