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són exemple et par l'instruction, ramené des hommes égarés au devoir et à la raison. Et ce n'est pas la moins importante des victoires qu'elle a remportées.

Il appartient aux Anglais mieux qu'à personne d'apprécier cette puissance d'organisation de l'armée autrichienne. L'armée anglaise, dans l'Inde, exerce le même genre d'influence morale sur les troupes du pays qui veulent lui résister. C'est ainsi qu'on a vu, il y a peu de temps encore, l'armée anglaise, après avoir défait les Sikhs, ses ennemis les plus belliqueux, en incorporer une partie dans les rangs de ses divisions. C'est par l'intermédiaire de l'armée indo-britannique que les populations indiennes acquièrent ces notions d'ordre et de justice qui leur sont si étrangères, ainsi que le sentiment de la protection de la loi. L'armée indobritannique n'est donc pas seulement la force armée qui maintient cet empire en obéissance; elle est aussi une grande institution, faisant partie du peuple par sa composition et contribuant à le civiliser, à le rapprocher des mœurs et des idées européennes par l'exemple de l'ordre, de la discipline et dés qualités morales que présente sa vie journalière.

Tel est aussi le genre d'influence que l'arméé autrichienne a exercée sur la nombreuse armée rébelle et révolutionnaire de la Hongrie, que l'empereur n'hésita pas à faire entrer dans ses rangs.

Déjà, à l'époque de l'entrevue des deux empereurs à Olmütz, à la fin du mois de mai 1851, on vit quatre régiments de hussards faire partie du corps de troupes qui s'y trouvait réuni. Tous ne parlaient plus de la guerre dans laquelle on les avait

jetés que comme d'une époque de délire et d'eni

vrement.

Un autre fait qu'il faut consigner et qui prouve combien le pays désirait rentrer dans des relations d'ordre et de soumission, c'est que, depuis le dernier coup de canon des champs de bataille, aucun acte d'agression n'a été commis contre aucun individu de l'armée. Des soldats isolés ont traversé tout le pays dans toutes les directions avec la plus entière sécurité. La Hongrie pourra peut-être encore essayer de ce genre d'opposition dont son histoire lui a donné l'habitude, mais elle ne prendra plus les armes. Elle ne voudra plus ni déchirer les liens qui unissent depuis si longtemps ses destinées à celles de la race allemande ni dicter des lois aux races slaves et valaques qui l'entourent.

Les anciens agitateurs ont, sous ce double rapport, fini leur rôle. Leurs paroles, s'ils en prononcent encore, resteront inintelligibles, comme le sont ces bruits des forêts agitées par les vents: ce ne sont que des signes d'orages que l'on redoute, loin de les désirer, et contre lesquels l'expérience indique la nécessité de se prémunir. La Hongrie veut espérer de meilleurs jours; et, quand c'est la raison qui mesure l'espoir, il devient une garantie d'avenir.

L'empire d'Autriche, placé comme il l'est au centre de l'Europe, ne pouvait rester étranger à aucun des mouvements des trois grandes races qui l'habitent. Il était ouvert à toutes leurs impressions. Mais ces trois races, entrant dans la composition

de ces divers États, ne pouvaient, de leur côté, rien ignorer de son organisation intérieure. Elles avaient toutes eu l'occasion dans les derniers temps de connaître ses côtés faibles; ce qui explique comment il a pu se faire qu'un aussi grand corps politique ait pu être simultanément attaqué de tous les côtés à la fois. On vit des hommes se faire ennemis, lesquels n'avaient, pour ainsi dire, d'autres moyens d'entrer dans une aussi grande lutte qu'un acte de leur simple volonté. Il fallait mépriser sa puissance pour oser ainsi l'attaquer, et l'avoir fait apparaît aujourd'hui comme une véritable insulte.

Vienne, terrain vierge encore pour la révolution, fut facile à égarer. L'illusion dura aussi longtemps que le mot de liberté semblait devoir être le lien qui devait unir tous ceux qui la demandaient et tous ceux qui la désiraient.

Mais, quand il fut clair à tous les esprits que chacun voulait la sienne aux dépens de celle des autres; quand il fut évident que l'empire allait tomber en débris, l'excès du mal produisit alors le remède. Un vieil orgueil historique se réveilla. Le souvenir du passé sauva l'avenir. Ce qui avait été calculé comme devant être le signal d'un démembrement général fut le coup de canon d'alarme qui fit prendre les armes à tout ce qui voulait rester autrichien. Personne ne voulut plus d'une liberté qui commençait par exiger le sacrifice de l'honneur, pour détruire ensuite une ancienne et glorieuse

existence.

La perfidie avec laquelle le Piémont vint au secours de la révolte des populations lombardes et

vénitiennes serait, en effet, restée comme le plus haut degré d'humiliation, si elle n'avait pas été punie ou châtiée comme elle avait mérité de l'être.

Qu'est-ce donc, en effet, que le Piémont, pour oser ainsi attaquer, les armes à la main, un empire comme celui d'Autriche?

On sait quels sont les pays dont il se compose. D'abord, la Savoie, province française de langue, de mœurs et de position, et qui n'a d'autres rapports avec le Piémont que d'avoir été la souche des rois qui le gouvernent. Si cette maison perdait le trône, aussitôt se romprait le faible lien qui rattache la Savoie à l'Italie. Puis, le Novarais, province détachée de la Lombardie, cédée au roi de Sardaigne pour acheter sa neutralité dans la guerre que Marie-Thérèse allait entreprendre contre le roi de Prusse. Tous les grands propriétaires du Novarais sont restés Lombards de fait. Ils habitaient tous Milan. Cette position ambiguë en a fait des instruments faciles de conspiration. Les derniers événements ne les ont pas élevés plus haut.

L'État de Gènes, récemment annexé au Piémont, lequel, fier de ses anciens souvenirs, avait trouvé, l'année 1815, l'occasion d'exprimer les regrets que lui donnait la nouvelle position qu'on lui faisait. Les mouvements des années 1847 et 1848 ont mis au grand jour le désir qu'il conservait de redevenir indépendant.

Enfin, la Sardaigne, qui n'a donné jusqu'à présent à la maison régnante que le titre de roi, sans rien ajouter à sa puissance.

Et c'est avec un ensemble de quatre millions et

demi de population, composé de parties si peu homogènes, que le Piémont se mit en campagne.

Cet événement est, de sa nature, tellement hors de toute proportion, qu'il faut l'expliquer, si l'on veut comprendre notre époque.

Il est évident que le roi de Sardaigne, prince qui avait eu la réputation d'un homme sage et réfléchi, n'agissait pas de propos délibéré et que des conseils secrets le dirigeaient, que des forces occultes l'entraînaient.

Il y avait en Allemagne, à cette même époque, une école politique qui disait philosophiquement : « L'empire d'Autriche ne peut plus exister. Il ne peut pas résister à la fois au double principe de la souveraineté du peuple et du droit de nationalité. Donc il n'existe plus. Ce n'est plus qu'une question de temps. L'homme d'État éclairé doit savoir devancer le temps. >>

Tel a été le raisonnement des publicistes d'université qui s'étaient réunis en parlement à Franc

fort.

La même politique s'était établie comme une sorte d'axiome en Italie; mais elle avait une autre source.

Napoléon, après avoir expulsé l'Autriche de toute l'Italie, faisait entrer dans ses calculs, à l'époque de la guerre de 1809, la destruction totale de cet empire. M. de Talleyrand, qui avait cette mesure de sagesse que donne un esprit éclairé, quand le caractère manque de force, écrivit à Napoléon une lettre, dans laquelle, après l'avoir loué de ce qu'il avait expulsé l'Autriche de l'Italie, il l'engageait cependant à conserver cet empire, pour

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