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considérables pour la soie brute et manufacturée, et pour tant d'autres articles, tels que riz, fromage, salaisons, pâtes, etc., etc., etc. En outre, la plus grande partie de l'impôt restait dans le pays. Il y était employé à la solde de l'administration et des troupes, dont le nombre était toujours supérieur à celui que fournissait le royaume lombardo-vénitien. C'est donc ce royaume qui s'enrichissait par la liberté de commerce, dont il jouissait dans tout l'empire.

Tous les arguments étaient employés pour détruire la confiance et pour susciter la haine. Avec quelle perfidie on savait agir sur l'ignorance des masses! En veut-on une preuve? Le bien-être des populations était tel, qu'elles furent en état de construire des chemins vicinaux qui reliaient entre elles la presque totalité des communes. Toutes ces routes aboutissaient aux grands centres de communication du commerce. L'industrie agricole y trouva un immense développement. Les communes de la Lombardie y dépensèrent, dans vingt ans, plus de quarante millions de lire autrichiennes. Ces travaux, entrepris plus tard dans le Vénitien s'y firent à peu près dans la même proportion. L'avantage en fut d'autant plus visible que l'agriculture y était plus arriérée. « Que deviendrons-nous, disaient ces écrivains économistes, sous ce gouvernement autrichien, tellement inerte, qu'il ne sait rien faire et que nous sommes obligés de soigner nousmêmes tous nos intérêts? Et puisque, seuls, nous pouvons y suffire, qu'avons-nous besoin d'un pareil gouvernement? Nous ne serons heureux qu'en

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nous détachant de lui. » Et ces hommes, qui avaient la prétention de faire de la politique anglaise, prenaient pour motif d'accusation, contre le gouvernement autrichien, un résultat qui est de la nature de ceux qu'on admire le plus en Angleterre. N'y voit-on pas les intérêts privés faire librement et à leurs frais tout ce qui peut favoriser leur développement progressif? Et si les provinces italiennes étaient assez riches pour faire de pareilles dépenses, cela ne prouve-t-il pas que l'administration ne faisait tarir aucune des sources de leur prospérité? Il y avait des sujets de plainte qui sans doute étaient fondés. Mais ils se rattachaient à des causes d'une application générale à tout l'empire. Les tarifs et les règlements en matière de commerce n'avaient rien d'exceptionnel. Toutes les autres provinces avaient à en souffrir comme l'Italie. Mais la Lombardie, ouverte de tous les côtés, souffrait davantage d'une surveillance qui gênait de toute manière le commerce licite au profit d'une contrebande qu'elle ne pouvait pas réprimer.

La loi du timbre, rédigée d'après le calcul que c'était dans la masse des petites affaires, plutôt que dans les grandes, que devait se trouver l'augmentation du revenu, avait un caractère opposé à l'esprit habituel de la législation autrichienne, qui avait toujours eu pour maxime de protéger spécialement les petits intérêts. Le peuple italien souffrait de cette loi plus que celui des autres provinces de l'empire; parce que le mouvement des petites affaires y est beaucoup plus considérable, et qu'un principe naturel de défiance ne permet à personne

d'y faire même la plus petite affaire, sans la soumettre à toutes les formalités exigées par la loi; tandis qu'en Allemagne un sentiment de confiance réciproque faisait souvent éluder la loi du timbre. Cette loi se faisait sentir à tous, en Italie, comme un poids inévitable et de tous les instants.

La direction des études donnait lieu aux mêmes récriminations en Italie que dans les autres parties de l'empire. Mais les ennemis de l'Autriche, toujours actifs dans la recherche des moyens d'augmenter la défiance et d'exciter la haine, ne perdaient aucune occasion de dénaturer les meilleures intentions.

Par un sentiment de ménagement pour la susceptibilité nationale, le gouvernement autrichien n'avait introduit l'enseignement de la langue allemande que dans quelques établissements d'éducation publique. De sorte que cette étude, loin d'être obligatoire, n'était pas même toujours facultative, puisque les moyens n'en existaient pas pour tous les habitants. Beaucoup de pères de famille des classes moyennes, soigneux de l'avenir de leurs enfants, regrettaient qu'il en fût ainsi; car savoir la langue de l'empire devait devenir pour eux un plus prompt moyen d'avancement.

<< Vous voyez bien, disaient les agents de cette vaste conspiration qu'on tramait de toutes parts, que le gouvernement autrichien ne veut pas que nous apprenions l'allemand, parce que notre ignorance doit devenir pour lui le prétexte de continuer à introduire dans notre administration des employés allemands auxquels il a soin de faire enseigner

l'italien. Il a de plus pour objet de nous fermer à tous la carrière des emplois, dans les autres parties de l'empire, et de nous enlever la possibilité de nous réunir. Il veut nous maintenir dans une position séparée, comme des étrangers, qu'il pourra plus facilement gouverner à son gré. »

Des égards, de bienveillantes intentions, pour la nationalité italienne, mais qui manquaient de cette raison d'État que les hommes savent comprendre quand elle est fondée sur la réciprocité des intérêts, donnèrent lieu à cette maligne interprétation.

Le gouvernement central de Vienne continuait donc à vivre dans la plus complète ignorance sur la véritable situation morale des provinces italiennes. La longue et timide résignation des Italiens à supporter, sans mot dire, une administration, quelquefois nuisible par ses interminables longueurs, mais jamais vexatoire par ses rigueurs, faisait mépriser les avis, qui commençaient à devenir nombreux, sur l'existence d'un véritable danger. On ne croyait pas au mécontentement; et, dût-il exister, on ne le craignait pas. A côté des hommes du gouvernement central qui étaient sincèrement tranquilles, parce qu'ils avaient la conscience de bien gouverner et parce qu'un peuple d'apparence si soumise ne leur donnait aucune inquiétude, il y avait, à Vienne, des complices affiliés qui n'auraient pas voulu aider à renforcer la position du gouvernement en Italie. Ils abondaient donc dans le sens de ceux qui croyaient à sa solidité. Un des calculs ordinaires des conspirations n'a-t-il pas toujours été d'inspirer une fausse confiance?

Outre ce travail de conspiration générale, il y avait à Vienne plus de trente mille Italiens qui s'y trouvaient établis pour leurs affaires de commerce et d'industrie. Un grand nombre d'entre eux avaient chaudement épousé la cause de l'indépendance italienne. Ils devinrent des agents intermédiaires, dont se servirent des chefs habiles pour établir, entre la Hongrie et l'Italie, une intelligence d'abord secrète, mais qui ne tarda pas à être hautement avouée. La conviction que cette intelligence existait pénétra bientôt dans les provinces allemandes, qui, bien que révolutionnaires sous quelques rapports, voulaient cependant avant tout être fidèles.

Ce fut dans ce moment que les nombreuses populations slaves de l'empire, séparées les unes des autres par leur position géographique, donnèrent à l'empereur des preuves de leur fidélité. Quelques sommités littéraires seules étaient factieuses; elles ne faisaient toutefois qu'agiter le présent sans pouvoir même lui donner la perspective d'un avenir quelconque. Leurs paroles pleines d'illusions séduisirent cependant le parti slave de Prague, au point de lui mettre, pour un instant, les armes à la main. Mais ce mouvement, quoique seulement local, étant de nature à pouvoir s'étendre, il fallait le combattre. Le commandant général de Bohême n'hésita pas; bien que dès le premier instant frappé dans sa plus chère affection, le prince de Windischgrætz sut réunir à l'habileté de son opération militaire le triomphe plus élevé de sa propre douleur; il fut sage et modéré. Son cœur n'eut, après

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