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au défi une monarchie qui donnerait la liberté de la presse de durer plus de trente-six mois.

« La question ne se posera plus désormais en Europe, dans les grands gouvernements, qu'entre la monarchie absolue et la république. >>

Ce serait avoir l'esprit trop hardi que de vouloir donner la solution d'une question ainsi posée. Les feuilles qui suivent se borneront donc à entrer dans la discussion des différents éléments dont elle se compose. Ces éléments ne sont pas ceux d'une théorie politique, mais bien ceux du mouvement social, tel qu'il existe aujourd'hui.

Nous changerons donc la position de la question, et nous demanderons :

Le développement des affaires pourra-t-il conduire l'Europe au but que veulent atteindre ceux qui se sont chargés de la direction de ses destinées ?

II.

De toutes parts surgit une question : le gouvernement représentatif parlementaire peut-il se soutenir? L'histoire de France, depuis l'année 1815, ne prouve-t-elle pas son impossibilité? Mais, s'il ne peut pas se soutenir, par quoi pourra-t-il être remplacé? Faudra-t-il sacrifier la liberté, qui est le principe du mouvement des États modernes ? Le vice n'est-il pas plutôt dans la forme que dans le principe? Et s'il faut sauver le principe de la liberté, peut-il être sauvé autrement que par une forme constitutionnelle? En effet, la liberté politique, pour ne pas devenir du despotisme ou de l'anarchie, a plus que tout autre état politique, besoin d'être fortement constituée; c'est-à-dire que l'idée de constitution est inséparable de l'idée de liberté.

Une femme qui avait assez d'esprit pour n'avoir pas besoin d'être belle, a dit que ce n'était pas la liberté qui était nouvelle en Europe, mais le despotisme. Il y avait dans le moyen âge beaucoup plus d'indépendance politique que dans les temps modernes. Cette indépendance avait pour base le fractionnement des États. Ce fractionnement nuisait au développement de la puissance. La vie des États les conduit nécessairement à un principe de cen

tralisation qui ne peut jamais se réaliser qu'aux dépens de l'indépendance des fractions. Dans ce cas, la puissance de l'État augmente à mesure que la liberté des fractions diminue. Il y a dans un emploi rationnel de la puissance le principe de l'augmentation de la richesse; parce que la puissance, qui n'a pu s'établir que par l'affaiblissement des fractions, possède tous les moyens de faire disparaître les obstacles que les intérêts particuliers opposaient à l'intérêt général. Dans une pareille situation, tout est préparé pour le despotisme. Nous l'avons vu s'établir. La force des choses amène la soumission d'esprits autrefois indépendants. Chaque fraction, chaque classe, chaque individualité regrette les libertés perdues. De ce sentiment de regret devait naître l'idée d'une liberté nouvelle. Il était impossible de revendiquer d'anciens droits de liberté. Tous avaient été détruits; leur principe, comme leur forme. Ce fut donc au nom de théories philosophiques que se fit l'infiltration dans tous les esprits de l'idée d'une nouvelle liberté. La scène s'agrandit. Ce ne fut plus au nom de provinces dépouillées, d'associations détruites, de corporations désarmées, ayant perdu tous les prestiges de positions qui avaient été fortes d'ancienne gloire et de richesse, qu'il aurait été possible de combattre un pouvoir concentré, qui réunissait en lui tant de forces jadis éparses. On opposa donc les droits de l'homme au pouvoir du prince, qui n'était lui-même qu'un homme semblable à tous les autres, et les droits de l'humanité à ceux que l'État avait usurpés.

La genèse de ces nouvelles théories est indiquée par les courtes observations qui précèdent; mais il faut leur donner plus de corps pour la faire mieux comprendre.

Y a-t-il dans l'organisation sociale de l'Europe actuelle la possibilité qu'une grande nation puisse se constituer en république?

Parmi les questions qui sont mises aujourd'hui en discussion, celle-ci est la plus essentielle; car sa solution doit nécessairement modifier toutes les autres. Ce qui constitue essentiellement le principe républicain, c'est l'idée que la base du gouvernement doit reposer sur une organisation collective. La mesure donnée à cette organisation formera une république aristocratique ou démocratique, ou bien une république mixte, tempérée par un simulacre de monarchie.

Une organisation collective, pour être républicaine, doit nécessairement reposer sur le principe de l'élection. Le caractère du gouvernement de la république sera déterminé par les modifications de l'élection, depuis le suffrage universel, jusqu'à l'élection la plus restreinte.

Une modification plus restreinte encore du principe républicain sera celle qu'une partie des pouvoirs soit héréditaire.

Mais n'importe la forme qui peut être donnée à un gouvernement républicain, cette forme et par conséquent la république elle-même ne pourra se maintenir, si les mœurs ne la soutiennent pas. Plus elle se rapprochera du principe pur de la république, plus elle aura besoin de l'appui des mœurs.

Au moyen du mécanisme des gouvernements représentatifs, la plus grande partie du peuple est appelée, par le droit électoral, à prendre part au gouvernement. Il y aurait, dans ce mécanisme, la possibilité d'organiser une république d'une manière assez solide pour la faire durer, s'il y avait dans les mœurs un contre-poids qui fût de nature à diminuer l'instabilité du principe d'élection.

L'étude des mœurs est donc nécessaire pour trouver réponse à la question qu'il s'agit de résoudre. Les mœurs d'un peuple se composent de ses principes et de ses intérêts.

Quand les principes dominent, le mouvement des intérêts diminue. Il augmente, au contraire, en raison de l'affaiblissement des principes.

Le caractère de notre époque se manifeste chaque jour davantage. Le monde devient une vaste manufacture dans laquelle chaque peuple est employé selon ses facultés. La vie n'a de prix qu'autant qu'elle est productive. La richesse, ce qui veut dire aujourd'hui la puissance, ne s'acquiert que par le travail. La loi qui règle les échanges est devenue la loi suprême. Le mouvement des intérêts auquel il serait impossible de se soustraire, sans se condamner à la misère, ou au moins à l'infériorité, exige donc la forme de gouvernement qui lui sera le plus favorable. Ce n'est donc plus l'homme seul qu'il faut étudier pour déterminer le principe d'après lequel il faudra le gouverner. C'est la question des intérêts qu'il faut mettre en délibération. Devenue la question dominante, elle n'est pas d'une nature aussi simple que le serait une question de

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