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je trouve, sur le chemin que j'ai à parcourir, des individus qui ont voulu ou qui veulent encore gouverner les nations, je dois me réserver le droit de parler d'eux, autant que me le commandera ma profonde conviction, qu'il faut, pour rendre plus vive la foi en Dieu, savoir rendre à l'homme ce qui est de l'homme.

Et, quand on dit que les maux infligés aux hommes sont la punition de leurs fautes, ce qui est vrai, il faut, au moins, savoir quelles sont ces fautes, et quels sont les coupables.

Les dogmes d'aucune confession chrétienne ne s'occupent des fautes commises dans la conduite des affaires temporelles de ce monde. Ces fautes font cependant le malheur des nations. Comme la justice, parmi les hommes, ne peut être qu'incomplète, il en résulte que les événements punissent les innocents et les confondent avec les coupables. Cette circonstance n'impose-t-elle donc pas à chacun le devoir de chercher à prévenir des fautes dont tous doivent être solidaires?

C'est le sentiment de ce devoir qui peut seul donner le courage d'exercer cette sorte de ministère public et qui devient en même temps l'excuse de celui qui ose l'entreprendre.

Les événements de l'année 1848 ont eu pour effet de produire un nouveau danger: celui du découragement. Aussi le premier besoin du moment actuel a-t-il été celui de reprendre courage. Les hommes qui avaient eu la force de tout renverser n'ont rien su fonder. Leurs armes de destruction étaient des idées. Ces idées, victorieuses, n'en sont pas

moins impuissantes. Elles manquent donc de vérité. Il faut dès lors, pour expliquer notre époque, faire deux choses montrer les fautes et prouver les erreurs.

Parmi les événements graves, la révolution qu'a eu à subir l'empire d'Autriche est celui qui a le plus étonné. Il a été, en effet, difficile de comprendre comment un corps politique aussi considérable, qui s'était toujours maintenu sur la première ligne de résistance, a pu si facilement être renversé par l'ennemi qu'il n'avait cessé de vouloir combattre. L'illusion que produit la distance ne laisse pas à l'observateur la possibilité de distinguer les véritables causes des événements qui le frappent; il se trompe alors sur la nature des forces qui sont entrées en action. C'est ainsi qu'au premier choc l'Europe a dit: l'Autriche est perdue. Et le vide que devait produire la chute d'un pareil corps fit faire fausse route à l'opinion publique et même à plus d'un gouvernement.

Plus les événements sont grands, plus ils doivent nécessairement se rattacher à des causes positives. Et, quand ils arrivent d'une manière instantanée, c'est que ces causes agissaient depuis longtemps d'une manière, pour ainsi dire, occulte, et qu'elles ne peuvent être aperçues que par les hommes qui sont placés assez près d'elles pour les découvrir sous des dehors qui trompent l'observateur éloigné ou superficiel.

Les voies par lesquelles les pays entrent en révolution sont de différentes sortes. Pour le montrer, nous ne ferons le rapprochement que des deux plus

grands États du continent européen la France et

l'Autriche.

On ne sait que trop, et déjà depuis trop longtemps, comment la France est entrée en révolution. Elle était puissante, éclairée, riche de commerce et d'industrie, autant que les États l'étaient alors. Elle était fière d'elle-même. Elle se mettait au premier rang. Mais de nouvelles doctrines, adoptées par tous les hommes d'intelligence et de savoir, conduisirent tout son état social dans des voies nouvelles. On a dit la force de la révolution irrésistible, et on s'est servi de cet exemple de la France pour dire, depuis, aux autres peuples qu'il y avait en chacun d'eux une force à laquelle rien ne pouvait résister. Mais les uns n'ont pas remarqué, les autres n'ont pas voulu remarquer, que la révolution française de 1789 était déjà faite quand on la vit éclater. Elle se montra irrésistible, parce qu'aucun des principes de l'ancien ordre social n'existait déjà plus. C'est par la philosophie, par la littérature et par les mœurs, que s'était faite la révolution française. Quand elle fut proclamée, ce ne fut que la prise de possession de tout ce qu'elle avait déjà conquis. Elle n'a fait, depuis, que vivre du butin qu'elle avait fait alors, sans s'occuper d'ensemencer de nouveau le terrain moral duquel on avait tout déraciné. Ce peu de mots suffisent pour expliquer l'état dans lequel la France se trouve encore aujourd'hui.

La situation de l'Autriche en face de sa révolution est d'une nature entièrement différente. L'Autriche y a été amenée par des voies purement matérielles. Son histoire nous conduira mieux que

l'histoire d'aucun autre État à une plus juste appréciation des événements de notre époque.

Un mouvement de révolution aussi subit, aussi général, n'est pas un événement simple qui puisse s'expliquer par de l'audace d'un côté, et de la faiblesse de l'autre. Il faut, pour produire de pareils résultats, des causes premières, préexistantes de longue main; des causes secondes qui viennent en préparer l'explosion; et enfin des causes de troisième ordre, fortuites, accidentelles, qui, ne trouvant nul obstacle, mettent la révolution en scène.

Le caractère particulier de l'empire d'Autriche, corps politique de nature mixte, ajoute des difficultés à l'explication du mouvement révolutionnaire qui l'a fait entrer dans de nouvelles voies. Un sujet d'une nature aussi complexe exige, pour être compris, que les éléments dont il se compose soient rigoureusement classés.

Il y a des révolutions qui sont amenées par une surabondance de vie à laquelle l'état social ne donne point d'emploi et qui est refoulée sur ellemême par la langueur d'un système politique qui se refuse à l'activité, ou par un degré de modération qui aime à donner à cette langueur le nom d'une vertu. Mais, comme il sera toujours aussi dangereux pour un État de ne pas remplir la mission qui lui est assignée par sa position et par ses forces que de vouloir en passer les limites, les événements ne lui tiennent aucun compte d'une modération qui ne manque jamais d'avoir les mêmes résultats qu'aurait eus sa faiblesse. La révolution de l'Autriche, en 1848, a été, en effet,

une révolution de faiblesse. Depuis longtemps, personne n'y voulait du pouvoir. Les princes, qui par leur rang et par les fonctions qui leur étaient attribuées, étaient les premiers appelés à suppléer à ce qui manquait à l'exercice de la souveraineté, s'y refusaient, soit par respect pour le trône, soit par vertu privée. Chacun d'eux restait dans la sphère circonscrite de sa position, laissant au temps le soin de suppléer à ce qui faisait défaut. Les ministres qui, par leur place, auraient pu le vouloir, ne le voulaient pas, par des raisons à peu près semblables. Mais les plus humbles comme les plus hautes vertus ne suffisent pas aux soins du gouvernement. Conjointement assises sur le trône, elles n'exerçaient pas le pouvoir de la manière que l'époque l'eût exigé; son action, sans être suspendue, n'était pas assez forte. On paraissait craindre de le compromettre en le rendant plus actif. Il y eut donc comme une espèce d'interrègne du pouvoir souverain. On n'était pas aveugle. On voyait les signes que le siècle donnait de toutes parts. On ne se refusait pas à l'évidence de certaines nécessités. On sentait du danger. Mais ce danger venait de loin. La pression des événements restait encore extérieure. On ne travaillait qu'à les tenir éloignés. Un culte peut-être trop idolâtre du principe monarchique, dans de semblables circonstances, ne laissait toutefois pas admettre qu'il fût possible de fortifier de quelque manière que ce fût la puissance souveraine, sans que l'initiative en vînt du souverain lui-même. On craignait alors d'amener, par une autre voie, les secousses qu'une telle modifica

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